Dominique Segall: « Le Palace, c’était un autre monde »

Incontournable attaché de presse du cinéma français, Dominique Segall a fait partie de l’épique équipe du Palace. 40 ans après, cette aventure reste unique.

« J’étais déjà attaché de presse mais de théâtre et de danse. Et un soir, au Sept, Fabrice Emaer m’a glissé  à l’oreille: « J’aurais besoin de toi pour participer à un évènement qui va être incroyable! » Quelques jours plus tard, on déjeunait au premier étage du Ruc et là il m’a dit: « J’ai racheté le Palace et je vais en faire la plus grande boîte du monde ! »… C’est comme ça qu’est née l’histoire pour moi. »

Dominique Segall est aujourd’hui au générique d’une liste de films au moins aussi longue que l’annuaire. Il y a quarante ans, séduit lui aussi par cet homme hors-normes qu’était Fabrice Emaer, il prêtait son concours et ses talents à ce rêve fou de créer, au coeur de Paris, un lieu comme on n’imaginait pas qu’il pût même exister. Qui mélangerait les uns et les autres, riches et moins riches, célèbres et anonymes, l’aristo comme le populo. Où se mêleraient la musique, le cinéma, la danse et la mode. Où chaque soir serait une fête et chaque fête un éblouissement.

©Jean-Marie Marion

« On était donc en 1976, je venais de travailler sur la Cage aux Folles au théâtre, et le Palace a été lancé deux ans plus tard. Je me souviens que Fabrice voulait ouvrir avant New-York, avant le Studio 54, mais il nous ont finalement court-circuités sur la dernière longueur grâce à l’administration française (rires) qui nous a un peu emmerdés avec les dégagements qui donnaient sur la cité Bergère, juste derrière. Quant à Fabrice, l’homme était absolument fascinant. Il y avait dans son attitude, au quotidien, un savoir-faire, une sagesse… on ne pouvait que tomber amoureux de cet homme et des idées qu’il avait en permanence. »

Comme son amie Sylvie Grumbach, elle aussi attachée de presse mais qui évoluait davantage dans le milieu de la mode et des créateurs, Dominique Segall s’est alors mis à travailler dans le monde de la nuit, ce qui n’était pas exactement la même récréation.

« Oui, d’autant que la nuit commençait pour nous le plus souvent l’après-midi (rires), avec des réunions, des discussions pour savoir ce qu’on allait faire le soir. En plus, quand le Palace est devenu ce qu’il était, entre les concerts, les défilés de mode, les spectacles, les projections de films, on n’arrêtait pas. Je me souviens d’ailleurs que le seul hiatus, c’était les femmes de ménage qui ne trouvaient pas le temps de le faire parce qu’il y avait tout le temps quelque chose ! (rires) Sylvie Grumbach avait besoin à huit heures du matin de faire tout propre parce qu’il y avait un défilé prévu à 21 heures, ou c’était moi avec des concerts… enfin, c’était un endroit qui fonctionnait 24 h/24 h ! Et c’est vrai que régnait à cette époque une liberté absolument totale ! Et le Palace est devenu très rapidement un phénomène social. Grâce à la multiplicité des choses qui s’y passaient, TOUS les genres artistiques étaient représentés.  Et quand ensuite, Fabrice a décidé par exemple d’inventer les tea dances du dimanche qui étaient réservés aux gays, seul moment d’ailleurs où mon amie et consoeur Sylvie était interdite (rires), c’était pour leur permettre, quels que soient leurs milieux, d’accéder à un lieu emblématique, à un prix bon marché, ça coûtait dix francs. C’est là où il a révolutionné la société ! Tout d’un coup, avec le Palace, ce qui était réservé, disons-le, à une élite a été ouvert à tous. »

Dominique les revoit aussi très bien ces jeunes clubbers aux tenues extravagantes, qu’ils mettaient toute une semaine, du dimanche au samedi soir suivant, à créer. Il fallait étonner, paraître et détonner. C’était le temps du look. Et les créateurs comme Gaultier ou Kenzo n’avaient au fond qu’à regarder le spectacle qu’offrait la salle, pour saisir les contours et les tendances de l’époque. Un brassage incroyable de genres et de milieux, sociaux et artistiques, un mix fabuleux et fabuleusement créatif que même le Studio 54, pourtant haut lieu de la branchitude new-yorkaise, n’a jamais su égaler. On se souvient d’ailleurs ici des mots de Jack Lang qui qualifia le Palace d’ « utopie vivante. »

« C’est une époque où on pouvait tout faire. Fabrice avait toujours des idées et toujours les bonnes idées pour trouver les bons partenaires, on dit sponsors aujourd’hui. Pendant ces années, ce que j’appelle les années Giscard, il y avait beaucoup d’argent. Et au Palace, tout était dans la démesure. Je me souviens de fêtes insensées où les gens arrivaient en calèche et même parfois en gondoles ! (rires) Et puis ces buffets ! Je me souviens d’un buffet de fruits de mer, avec des langoustes, qui partait des premières marches de l’entrée et traversait la salle jusqu’à la scène ! On ne voit plus ça aujourd’hui. Pourquoi, est-ce qu’il n’y a plus d’avant-première ? Parce qu’il n’y a plus d’argent. Si c’est pour picorer trois cacahuètes, les gens restent chez eux. »

©Jean-Marie Marion
Pour Dominique Segall, comme pour beaucoup d’autres, les années Palace auront été des années magnifiques de totale insouciance et de liberté absolue, qui ont aussi coïncidé et ce n’est pas qu’anecdotique avec la naissance et l’avènement d’une musique faite pour aimer et danser, le disco.

« Alors ça, même Fabrice ne l’avait pas prévu (rires). Jamais, et je crois que Guy Cuevas le dira mieux que moi, jamais on n’avait entendu de musique correspondre autant à une boîte de nuit et inversement. Ça a été complètement porteur ! Et si cette musique existe toujours, c’est qu’on n’a pas fait mieux. Pour nous, le disco a été une rampe de lancement incroyable ! »

Le Sida, que personne n’avait vu venir, est ensuite venu plomber ce moment de grâce et de légèreté de sa chape funèbre. Et le monde, fidèle à son habitude, a changé. Dominique, qui se refuse à toute nostalgie et ne voyage pas davantage en mélancolie, a résolument poursuivi son chemin. Le cinéma, toujours. Tout juste reconnaît-il aujourd’hui s’amuser un peu moins qu’hier.

« J’ai toujours fait en sorte de ne pas rester ancré dans une époque, sinon on meurt. Pour continuer à exister, il faut avancer avec son temps. Je n’ai pas de remèdes, c’est parfois compliqué. Mais quand les gens nous entendent, quand ils veulent bien nous écouter, je veux bien comprendre qu’ils soient pour le coup nostalgiques. Parce que maintenant, quand même… qu’est-ce qu’on se fait chier. (rires) »

O.D

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