Dans les Yeux de Totto Chan : « The Power of the Dog »

Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, The Power of the Dog de Jane Campion.

Avec ce film, Jane Campion a obtenu le Lion d’argent de la meilleure réalisatrice à la Mostra de Venise. Le film a également remporté 3 Golden Globes, dont celui du meilleur film dramatique. Jane Campion est au sommet de son art dans ce film, qu’elle avoue discrètement être le dernier.

L’histoire. Celle de deux frères, les Burbank, qui gèrent ensemble le ranch le plus important de la région, dans l’Ouest américain des années 1920. George, incarné par Jesse Plemons, en homme délicat et effacé, s’oppose en tout point à Phil, joué par Benedict Cumberbatch, à la masculinité virile, plutôt rude. George et Phil sont pourtant inséparables et dorment dans le même lit.

Lorsque George se marie avec Rose, une femme douce et énigmatique, jouée par la bouleversante Kirsten Dunst, sans informer son frère, Phil réagit avec une rage extrême. Et semble décidé à gâcher l’existence de Rose. Et surtout celle du jeune adolescent Peter qu’il méprise (Kodi Smit-McPhee, troublant jusqu’à l’extrème), le fils de Rose, né d’un premier mariage, un garçon étrange, à l’allure efféminée.

Leur relation évoluera cependant au cours de l’histoire, Phil cherchant à initier Peter aux joies viriles de la vie de cow-boy. Sans se douter un seul instant que Peter deviendra le bras armé de sa mère.

Ce film d’une grande beauté esthétique démontre une fois de plus l’attrait de la réalisatrice pour les liens familiaux dysfonctionnels, en particulier ceux de la fratrie, thème cher à son coeur. Celle des deux frères est symptomatique : Phil a l’ascendant sur George, le maltraite mais il ne peut se passer de son frère cadet, cherche sans arrêt son soutien, en souvenir d’une figure tutélaire idéalisante disparue, Bronco Henry.

Dans les Yeux de Totto Chan-The Power of the Dog-Paysage-ParisBazaar-Totto Chan

L’attachement à cet homme, qui a tout appris du métier de cow-boy aux deux frères, révèle peu à peu l’ambiguïté sexuelle du personnage de Phil, qui a éprouvé jadis envers Bronco un désir charnel, mais qu’il ne peut assumer. D’où sa haine de la faiblesse et les aspects tyranniques de sa personnalité, pour mieux cacher ce qu’il ressent comme une honte profonde.

Si Phil possède les ambiguïtés féroces d’un personnage atteint de troubles identitaires et sexuels, la personnalité de Peter semble encore plus troublante. Ce sont ses paroles que l’on entend en voix off dès le début du film, pendant le générique : « Après la mort de mon père, je ne voulais qu’une chose: le bonheur de ma mère. Quel homme serais-je si je n’aidais pas ma mère ? »

Ce puissant et souterrain lien mère-fils traverse le film de bout en bout. Peter, mi-ange, mi-démon, capable à la fois de créer de délicates fleurs en papier et de rompre le cou d’un lapin d’un coup sec sans état d’âme, donne au film une épaisseur psychologique dérangeante supplémentaire. 

Pour délivrer sa mère de l’emprise toxique de Phil, qui l’a fait sombrer dans l’alcool, Peter emploiera un stratagème d’une extrème ingéniosité, donnant ainsi sens au titre du film, qui s’inspire d’un psaume de la Bible : « Délivre mon âme de l’épée / Et mon être aimé, du pouvoir du chien ».

Comme dans tous les films de Jane, la nature a ici un rôle majeur.

L’histoire se déroule dans de paysages grandioses, écrasants, oniriques. Jane Campion aime et sait filmer avec un talent rare les grandes étendues désertiques, voire hostiles, mais qui peuvent accueillir, en miroir, les émotions humaines dans toute leur sauvagerie.

C’est ainsi que l’on découvre l’ombre d’un chien sur les montagnes grandioses du Montana. En réalité, il s’agit ici des terres de natales de Jane, la Nouvelle-Zélande, pays qu’elle aimait parcourir, enfant, à cheval.

Totto Chan

The Power of the Dog est un film western écrit, coproduit et réalisé par Jane Campion, sorti en 2021 sur la plateforme Netflix. Il s’agit de l’adaptation du roman américain éponyme de Thomas Savage (1967).

Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !

 

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