Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Thérèse Raquin de Marcel Carné.
Dans la ville de Lyon des années 50, Thérèse est vendeuse dans un magasin de tissus tenu par sa tante. Recueillie dans l’enfance au décès de son père, Thérèse grandit auprès de sa tante, Madame Raquin et de son cousin, Camille.
Jeune adulte, elle épouse Camille, un homme neurasthénique, dominé par l’amour étouffant de sa mère. Le ménage à trois a élu domicile au-dessus de la draperie et les jours s’écoulent dans une monotonie aussi grise que les murs de la ville.
Cette existence fade et sans relief bascule brutalement quand Thérèse fait la rencontre de Laurent, un camionneur italien subjugué par sa beauté. Le coup de foudre n’est pas tout-à-fait réciproque : si Thérèse se laisse séduire, elle réfléchit pourtant aux avances fougueuses du bel italien.
Fuir le confort bourgeois et sans âme de son ménage, les crises hypocondriaques de son mari, les injonctions autoritaires de sa belle-mère ? Mais la jeune femme se laisse envahir par les sentiments amoureux de Laurent, et succombe à ses baisers passionnés.
Laurent n’a rien à lui offrir qu’un amour libre et sans confort, dominé par la passion de la chair. Thérèse accepte de le suivre, à la condition qu’il avoue sans ambiguïté son dessein à Camille. La réaction de Camille, dépossédé de son épouse dévouée, au comble de la rage et du désespoir, pousse Laurent à commettre, en présence de Thérèse, un geste irréparable.
La disparition de Camille tourmente les amants, surtout Thérèse, qui doit supporter les soupçons de la police. Les amants ne peuvent jouir de leur amour : Madame Raquin mère, devenue muette de douleur à l’annonce de la mort de son fils, ne cesse de fixer d’un regard accusateur la pauvre Thérèse.
Henri, un matelot démobilisé, présent lors du soir du drame, tente également de leur soutirer de l’argent en échange de son silence. Ils parviendront à un accord mais un événement inattendu précipite le couple à sa perte.
Quatorze ans après son chef-d’oeuvre, « Le jour se lève » , Marcel Carné signe dans ce beau noir et blanc, grâce à l’adaptation de Charles Spaak (scénariste de Jean Renoir) un film dramatique d’une grande beauté poétique. Les visages et les regards captés en plans serrés laissent deviner les pensées et tourments de chaque personnage.
Thérèse, incarnée par une Simone Signoret au début de sa gloire, est une femme à la beauté sauvage et rêveuse, dont l’existence est corsetée par un dévouement sans amour auprès de son mari, dont l’attitude repoussoir ne la gêne nullement dans l’accomplissement de ses tâches. La rudesse de sa belle-mère ne semble guère l’émouvoir non plus.
Résignée sans doute à sa morne existence, Thérèse accueille avec retenue la demande d’amour impétueuse de Laurent, prêt à l’enlever à la première rencontre. Si Thérèse hésite devant l’empressement du bel italien, interprété par un Raf Vallone, tout en tendresse animale, c’est parce qu’elle se sait redevable de l’accueil de Madame Raquin. Le cœur convaincu par les baisers de Laurent, Thérèse accepte de partir de son foyer, mais non de fuir.
Laurent, lorsqu’il est confronté à un face-à-face violent avec le mari hors de lui, précipite le couple dans une voie sans issue. La culpabilité se refermera sur les amants sans leur laisser un seul moment de répit : le regard silencieux et accusateur de Madame Raquin, caressé par une lumière crue, fait écho au chantage du maître chanteur, à la langue bien pendue.
Le retour du refoulé s’exprime ainsi, de manière sublimée, à l’instar du roman d’Emile Zola. L’oeuvre poétique de Marcel Carné se double également d’une vision réaliste sur les déterminismes sociaux qui enferment chaque protagoniste dans son rôle. C’est ainsi que les jeunes loups de la Nouvelle Vague y dénonceront une morale étriquée et moribonde, un narratif souvent en décalage avec le réel pragmatique.
« Une femme mariée » de Jean-Luc Godard ou « Le Bonheur » d’Agnès Varda aborderont quelques années plus tard le thème de l’adultère sur un mode beaucoup plus libre et décomplexé, signant la fin du réalisme poétique.
Totto Chan
Thérèse Raquin est un film franco-italien réalisé par Marcel Carné et sorti en salles en 1953. Il est librement adapté du roman éponyme d’Emile Zola. Marcel Carné reçoit le Lion d’argent à la Mostra de Venise pour sa réalisation.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !