Acteur, comédien et metteur en scène, ce qu’il a envie de dire Nicolas Briançon prend ici le temps de l’écrire. Ses lettres parlent de lui, parlent de nous. Bonheurs épistolaires.
Chère C.,
Il fait une chaleur étouffante. Il y a dans l’air une lumière tremblée qui décourage. Ces quelques mots échangés m’ont rempli de tristesse et de nostalgie. J’ai l’impression de voir s’éloigner un être qui m’est cher. De voir mourir une relation à laquelle je tiens sans doute plus que vous. Mais on ne peut être seul à maintenir un fil, si ténu soit-il. On ne peut être seul à entretenir une amitié.
Oh, vous avez été charmante, comme toujours. Vous excusant avec beaucoup de convictions, de vos silences, de vos absences. Évoquant un épuisement, une lassitude qui me questionnent. Reprochant à votre travail de vous capter tout entière. Projetant un futur où nous nous croiserons peut-être. Mais vos mots ont sonné creux. Vos explications m’ont laissé sur le bord de la route. Je sais que vous avez éprouvé en me répondant, un remord, un regret et c’est un sentiment que je déteste provoquer. Vous voir vous débattre dans des explications que je veux bien entendre mais qui ne résistent pas à l’analyse m’a attristé et éloigné un peu plus. On a toujours du temps pour les êtres qu’on aime. On se libère toujours lorsqu’on le veut. Et si l’on va mal, c’est à ses amis que l’on s’adresse d’abord.
Et je sais pourtant que moi-même je me suis éloigné de bien des gens. J’ai manqué à bien des amis. J’ai laissé mourir bien des relations. Et j’ai éprouvé comme vous le remord et le regret de ces abandons tranquilles. Comme vous, je ne les ai pas empêchés. Comme vous, j’ai laissé filer entre mes doigts ce cadeau qu’est l’attention des autres, leur affection, leur tendresse. Comme vous, j’ai accusé mon travail. Et comme vous peut être, je sais que j’ai menti. Il en va de nos relations d’amitié comme de l’amour : elles passent. Et même si subsistent de la tendresse, de l’affection, manque l’essentiel : le besoin, la nécessité de l’autre, le sentiment du partage et de la réciprocité.
Je n’aime pas peser sur les gens. Je n’aime pas être un remord, un regret, ou un poids pour les autres. Trop d’orgueil sans doute. Et c’est un gros défaut lorsqu’on prétend s’intéresser aux êtres. Curieusement, cette faille qui fut longtemps présente dans mes relations amoureuses avant de trouver la réponse à mes questions, je la retrouve dans mes relations d’amitié et je ne sais pas m’en guérir : j’ai besoin de me sentir nécessaire. Je réalise en traçant ces mots la part de ridicule qui s’y attache.
« Je veux être aimé !! » criait un petit garçon que j’ai bien connu. Et cette aspiration à être indispensable à mes amis, je vois bien tout ce qu’elle peut avoir d’égoïste. Je sens bien qu’elle est inutile et peu généreuse. Mais même si je ne cesse de questionner le petit garçon que j’étais et qui semblait ne jamais recevoir assez d’amour, je ne résous pas cette question, je ne réponds pas à ce manque. Et je demande trop sans doute aux autres.
Mais… Comment dire ? Je sens aussi en vous une telle indifférence à tout ce qui n’est pas vos désirs, vos envies, vos caprices, un tel détachement pour tout ce qui ne sert pas vos ambitions, une si facile résignation pour l’abandon et l’oubli que je suis un peu effrayé. Il faut, là aussi sans doute, creuser dans votre enfance, et je veux croire qu’il y a bien des raisons à cette ambition. Qu’il y a bien des explications à cette dureté. « Tout comprendre, c’est tout pardonner », disait un philosophe dont j’ai oublié le nom… Peut-être… Sans doute… Je ne sais pas…
J’avais le sentiment depuis quelque temps de mendier votre amitié. De courir derrière une relation qui s’effilochait. L’intuition que vous vous forciez à cette relation, comme si je vous poursuivais d’un sentiment qui vous pesait parce que vous ne saviez pas y répondre. Tout d’un coup, j’avais l’impression de jouer le rôle de l’amant transi, mais je n’ai jamais été amoureux de vous. « Je ne vous aime pas Marquise… » disait Musset. Non, j’avais besoin de votre amitié, et j’étais heureux de vous offrir la mienne.
Cet éloignement, cette absence, ces mots qui se perdent dans le vide et qui ne me renvoient qu’un écho déformé, imprécis et peut être même fantasmé, je crains qu’ils ne soient le signe irrémédiable d’un achèvement, la marque d’une indifférence qui me peine. Est-ce que tout cela était réel ? Avons-nous vraiment été amis ? N’ai-je pas voulu cette relation plus que vous ? Ai-je oublié qu’en amitié comme en amour, il n’y a pas de sens unique ? Je vous en veux un peu aujourd’hui, et pourtant je ne peux pas, je ne veux pas m’exonérer de mes responsabilités. On ne commande pas l’amitié, pas plus que l’amour. Les êtres ne sont pas à notre disposition.
J’écris tout cela un peu en vrac, dans un désordre qui ressemble à ma vie, mais vous comprendrez, j’espère, ce besoin de comprendre. Vous pardonnerez peut-être ces reproches qui n’en sont pas. Je me sens orphelin d’une affection que j’ai trop rêvée. Je ne suis pas, ou plus, dans votre vie et il n’y a pas à vous en vouloir. Il y a à comprendre comment nous pouvons construire des châteaux de cartes. Il y a à saisir la fragilité de nos attaches. En somme, à comprendre ces liens que nous tissons dans notre coin, oubliant que les autres sont différents, ailleurs, comme dans un autre monde.
J’ai été très heureux de partager un moment votre vie. Heureux de vous avoir vu vivre. Heureux de ces moments passés ensemble. Même vite. Même mal. Heureux de ces lettres écrites et souvent sans réponses. Je me suis intéressé à vous, et j’ai aimé cette relation qui s’était instaurée entre nous. Vous m’avez fait le cadeau de votre confiance et de votre temps. Il faut accepter la fin des choses. Même si en vous écrivant une dernière fois j’espère sans doute provoquer une réaction, je sais que vous ne vous ferez pas violence. Que ces mots vous agaceront plus qu’ils ne vous toucheront. Tant pis.
J’avais envie de vous dire tout cela aujourd’hui, dans une campagne écrasée de chaleur, où tout semble s’être arrêté. Où tout apparaît sous le soleil : la vérité des paysages, celle des êtres et des choses. Les arbres semblent pétrifiés, on ne voit plus d’oiseaux. Derrière le château, l’étang semble figé dans une immobilité contagieuse. Plus loin, un train passe que je ne prendrai pas.
Je repense à mon adolescence. Aux trains dans la gare de Bordeaux l’été. À cette odeur de moleskine chauffée par le soleil. L’odeur des gares de mon enfance… J’aimais tellement l’idée du voyage à quinze ans, que je filais parfois à la gare, et montais dans des trains pour imaginer des voyages improbables, j’en redescendais avant qu’ils ne partent. Mais j’avais eu le frisson du voyage. Je rentrais chez moi sans rien avouer de mes escapades. Je me sentais seul alors, mais je pensais que la vie se chargerait de combler cette solitude. J’étais dans ces trains qui ne traversaient rien, plein d’un espoir sans limites en les autres, en la vie. Je voulais ne rien perdre. Je n’aime pas l’idée de vous avoir perdue. Mais il faut accepter.
Ma porte sera toujours ouverte. Je ne peux pas revenir sur mes affections, mes attachements. Ils sont en moi pour la vie. Mais je n’entretiendrai plus ce feu qui s’essouffle. Je vous laisserai faire ce chemin si vous le souhaitez et quand vous le souhaiterez. Nous verrons bien.
Je repense à mes rêves de petit garçon : « Un jour, je prendrai des trains qui partent… » disait Blondin. Il est temps, je crois.
Nicolas B.
Nicolas Briançon signe en ce moment la mise en scène de deux pièces, autant de succès :
Le Canard à l’Orange, de William Douglas Home, avec Nicolas Briançon, Anne Charrier, Sophie Artur, Alice Dufour, et François Vincentelli. Actuellement en tournée après avoir triomphé au théâtre de la Michodière.
Dix ans après, de David Foenkinos, avec Mélanie Page, Julien Boisselier et Bruno Solo, salle Réjane au théâtre de Paris.