Psychologue, psychanalyste, Caroline propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Un Été avec Monika.
Connu également sous les titres « Monika ou le Désir » ou plus simplement « Monika » , « Un Été avec Monika » est un drame romantique dont l’adaptation a été réalisée par le cinéaste à partir du roman de Per Anders Fogleström.
Harry et Monika sont de jeunes adultes à peine sortis de l’adolescence. Issus de milieux pauvres, ils occupent dans la ville de Stockholm un emploi d’ouvrier rébarbatif et peu rémunéré. A la sortie du travail, ils se rencontrent dans un bar. Ou plutôt, c’est Monika qui provoque la rencontre, cherchant auprès d’Harry un peu de réconfort et de joie de vivre.
Ensemble, ils vont au cinéma voir « Rêves de Femme » , film qui fait rêver Monika. Car sa vie est morne et triste, en proie aux difficultés matérielles de son milieu familial et aux maltraitances psychiques et sexuelles de ses collègues de travail. Monika n’a qu’une idée en tête : fuir sa vie qu’elle déteste.
Un soir où son père alcoolique la frappe violemment, Monika cherche à se réfugier chez Harry. Il lui propose de la cacher dans le petit bateau de loisir qui appartient à son père. Il passe la nuit avec elle et le lendemain, il arrive en retard sur son lieu de travail. En butte aux remontrances de son patron, Harry décide de quitter sur-le-champ son travail.
Ensemble, Harry et Monika larguent les amarres de leur bateau et quittent Stockholm, heureux de naviguer vers l’archipel des îles. Ils veulent vivre sans contraintes leur histoire d’amour qui s’annonce, avec le bel été débutant, sous les meilleurs auspices.
La vie de bivouac exalte la sensualité des corps. Monika apparaît sous le soleil d’une grande fraîcheur naturelle. Harry est subjugué par l’impudeur innocente et primesautière de Monika. Les jours passent sans grande inquiétude, hormis une rixe avec l’ex-petit ami de Monika, lequel avait mis le feu au bateau par jalousie et dépit.
Cet incident sans lendemain marque cependant le début des difficultés. L’argent vient à manquer. Monika est enceinte et doit voler de la nourriture pour faire face à la faim. Son humeur devient irritable, elle reproche à Harry de la laisser dans un grand dénuement.
L’automne approchant, la décision est prise de rentrer à Stockholm pour trouver du travail. Mais seul Harry s’attelle à cette tâche, prenant des cours du soir pour obtenir un poste mieux rétribué. Monika met au monde son bébé et ne s’en occupe pas. Elle fume cigarettes sur cigarettes, s’ennuie à nouveau dans un morne quotidien sans perspectives.
Les disputes deviennent de plus en plus violentes. Monika n’y tient plus : elle retrouve son ex-petit ami avec lequel elle a de nouvelles relations charnelles. Harry découvre la liaison et fou de douleur brutalise Monika. Cette dernière décide de quitter son foyer et Harry reste seul avec leur enfant.
Un été avec Monika est un magnifique triptyque en noir et blanc réalisé par un des grands maîtres de l’histoire du cinéma. Ce drame romantique aborde les désirs d’une femme non conformes aux attentes d’une société corsetée par les principes rigides du travail et de la morale.
Ingmar Bergman, tombé sous le charme d’Harriet Anderson, filme le corps d’une jeune fille simple, d’un érotisme pudique, ajustant sa robe pour le simple plaisir d’être belle. Le réalisateur a su capter le langage du corps de Monika découvrant le rapport amoureux au cours d’une escapade estivale, où les jeux de la chair tendre sont prêts à éclore sous le soleil caressant.
Les embruns de la mer dansant dans les cheveux de Monika enivrent Harry, joué par le jeune Lars Ekborg, heureux de partager ce huis-clos hors du temps et des contingences matérielles. Mais Monika attend un enfant et ne peut plus échapper à la cruauté du manque.
La dure réalité de l’existence s’empare du petit couple amoureux et chasse le sentiment de liberté. Monika refuse de s’occuper de leur enfant et se plaint de se sentir délaissée par Harry. Ses rêves de femme ne trouvent plus d’écho auprès de son homme.
Le trahir avec son ex-petit ami est le geste le plus grave et le plus libre qu’elle puisse commettre : son long et poignant regard caméra, le premier de l’histoire du cinéma, scrute le spectateur qui peut désormais la juger et la condamner pour son impardonnable légèreté.
Un été avec Monika s’achève sur le froid hiver où le rêve de jeunesse a laissé place aux responsabilités que Monika a fuies. Une vie laborieuse et sédentaire, consacrée à la nécessité matérielle de vivre n’est pas la vie que Monika s’est choisie. Devenir mère n’est pas une identité pour elle. Vivre et vibrer sous les caresses de l’amour semble son seul leitmotiv.
Ce beau portrait de femme impressionnera par sa modernité révolutionnaire les réalisateurs de la Nouvelle Vague, et inspirera Jean-Luc Godard, François Truffaut ou Roger Vadim.
Ceux-ci créeront pour leurs actrices fétiches des rôles de femme émancipée, où la sensualité de la chair, libre et spontanée, l’emportera sur les préjugés moraux et les codes rigides du rapport amoureux, transformant profondément le regard sur la femme à l’aube de la révolution de Mai 68.
Caroline Mehallel
Un Été avec Monika est un film suédois réalisé par Ingmar Bergman et sorti en Suède en 1953.
Lire Caroline est un bonheur. L’écouter est une joie !