Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda.
Florence, dite « Cléo », magnifique Corinne Marchand, chante merveilleusement bien, mais elle n’est plus à son art.
Hantée par la peur de tomber malade après avoir consulté une cartomancienne, elle cherche à calmer ses angoisses auprès de ses amis musiciens, de son amant qui ne s’attarde pas.
Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de sa biopsie à 19h00. Deux heures qui vont s’écouler comme une éternité. 
L’achat compulsif d’un chapeau avec sa gouvernante n’éloigne pas sa peur de mourir. Pour tromper son attente, elle erre dans les rues de Paris, à la recherche d’une âme compatissante qui la comprenne. Elle décide de rejoindre son amie modèle à la sortie de son atelier.
C’est l’occasion d’une balade magique en voiture, un doux vagabondage, dans les rues de Paris. De regarder un film muet aux accents prémonitoires.
L’attente se poursuit dans les allées d’un parc parisien où Cléo se retrouve avec elle-même, inquiète, solitaire. Elle y rencontre, près d’une fontaine, Antoine, un jeune homme désoeuvré (Antoine Bourseiller, superbe de tendresse), en départ imminent pour la guerre d’Algérie. Leur rencontre est bouleversante, pour l’un comme pour l’autre.
Ce pur chef-d’oeuvre du cinéma de la Nouvelle Vague, découpé en treize chapitres, n’est pas sans rappeler le Vivre sa Vie de Jean-Luc Godard, lui-même découpé en douze tableaux. La superbe musique de Michel Legrand accompagne la narration mélancolique de cette attente.
Plan serré sur le visage de l’actrice principale, nous regardons dans les yeux de Cléo les reflets de son âme, tels des nuages sombres à l’orage certain. Ce magnifique visage, à l’instar de celui d’Anna Karina, la brune dans Vivre sa Vie, est filmé avec une tendresse infinie. Cléo, la blonde, a beau être une femme un peu capricieuse, un peu frivole, un brin narcissique, nous lui pardonnons ses petits défauts, car nous aimons sa beauté, sa grâce, sa fraîcheur.
Comme elle, nous avons peur que le nom de la maladie soit prononcé. Comme elle, nous refusons que la mort enlaidisse sa beauté. Comme elle, nous cherchons l’oubli dans les rues d’un Paris intemporel.
L’ivresse d’un instant suspendu, entre la vie d’avant et l’épreuve qui s’annonce, avec la mort qui rôde, menaçante, telle qu’elle est apparue sur la dernière carte du tarot tirée par Cléo, de plus en plus menaçante au fil du temps qui passe.
La rencontre inattendue avec le jeune appelé Antoine est peut-être celle qui la sauvera d’un diagnostic sans appel. Il n’attendait qu’elle pour donner un sens à sa vie. Elle n’attendait que lui pour briller dans ses yeux, être aimée en dépit de la maladie qui pourrait la ravir.
L’angoisse de la maladie lui a fait perdre sa frivolité. Un profond bouleversement s’est produit en elle. Cléo prête l’oreille aux mots d’Antoine qui sait badiner, chiffonner la langue et la faire rire, en dépit de la gravité de la situation.
Il veut une photo d’elle, qu’il emportera avec lui en Algérie. Il n’hésite pas à l’accompagner à l’hôpital pour l’annonce du diagnostic.
Mais désormais, Cléo s’en moque. Elle n’est plus seule…
Antoine : « Je regrette de partir, je voudrais être avec vous. »
Cléo : « Vous y êtes. »
… Le dernier plan la montre marchant tout près d’Antoine dans les allées de l’hôpital, serrée contre lui…
Et nous, spectateurs de leur destin, les regardons s’avancer, les yeux dans les nôtres, leurs visages confiants, graves, silencieux. Épaule contre épaule, unis dans l’amour comme dans la mort, en un seul moment de vérité.
Totto Chan
Cléo de 5 à 7, un film écrit et réalisé par Agnès Varda, sorti en 1962. Restauré en 2k, à voir comme à revoir sur Netflix.