Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, La Chatte sur un Toit Brûlant de Richard Brooks.
« Big Daddy » Pollitt, après un long séjour à l’hôpital, revient dans sa très belle villa du Sud des Etats-Unis. Sa femme, Big Mama et ses deux fils, accompagnés de leurs épouses respectives, l’attendent pour fêter ses 65 ans. La venue du fils préféré, Brick, après une très longue absence, met en joie Big Daddy, qui ignore la raison réelle de sa présence.
Brick a appris en effet que son vieux père est atteint d’un cancer incurable et que ses jours sont comptés. Si le médecin de famille a pris soin de lui dire la vérité, ainsi qu’à son frère Gooper, il a sciemment menti à Big Daddy et à sa femme sur le diagnostic.
La question de la transmission du patrimoine du vieux patriarche, qui possède grosse fortune et plantations de coton, est rapidement au cœur des débats. Les belles-filles, Maggy et Mae, se déchaînent, défendent leurs intérêts, becs et ongles, avec leurs armes respectives.
Pour Maggy, l’épouse de Brick sans enfant, c’est l’arme de la séduction qu’elle déploie auprès de Big Daddy, qu’elle sait sensible à ses charmes. Pour Mae, c’est l’intérêt matériel de sa famille qu’elle défend, enceinte et mère de cinq enfants, odieux et indisciplinés.
Brick n’a que faire des retrouvailles avec son père. S’étant cassé la cheville la veille, il préfère rester cloîtré dans sa chambre, alcoolisé au whisky Bourbon et plongé dans un marasme neurasthénique. Ex-footballeur et reporter de football par défaut, Brick n’a plus goût à rien depuis la mort de son meilleur ami et co-équipier, Skipper. Il reste sourd aux arguments de Maggy de faire bonne figure auprès de son père malade.
La crise conjugale est inévitable : Brick perd patience devant l’insistance suppliante de Maggy. Sous l’emprise d’une rancune tenace envers elle, il devient violent, et manque de la blesser.
Big Daddy s’étonne de l’absence de Brick lors de la petite fête de famille. Il découvre son alcoolisme et son esprit démissionnaire, exige des explications. Brick demande à Maggy de justifier, devant Big Daddy pris à témoin, l’attitude troublante qu’elle avait eue à l’égard de Skipper. Maggy reconnaît que, jalouse de leur étroite amitié, elle avait en effet feint une attirance sexuelle envers Skipper.
Se sentant trahi par Skipper et par ses dernières performances désastreuses au football, Brick s’était donc détourné de son ami et celui-ci, dans un moment désespéré, s’était suicidé. Brick s’était ensuite rendu responsable de la mort de son ami, ne pardonnant pas à Maggy sa perfidie.
Si Maggy dément avoir eu une relation charnelle avec Skipper, elle avoue cependant le rôle ambigu qu’elle avait joué dans ce trio, faute de se sentir aimée et désirée par Brick.
La dispute s’envenime et tourne à l’orage. Brick, excédé par le climat de mensonges, apprend à son père qu’il est condamné. Bouleversé, prenant conscience de sa mort imminente, Big Daddy évoque le lien qui l’attache profondément à son fils préféré.
Il lui confie son désir de lui transmettre sa fortune, en souvenir de son propre père, vagabond mort dans le plus grand dénuement. Mais Brick estime n’avoir été qu’un étranger pour ce père autoritaire, qui a préféré bâtir sa fortune plutôt que de consacrer du temps à aimer les siens.
Après cette confrontation douloureuse, Brick et son père décident de se soutenir mutuellement dans l’épreuve qui s’annonce. Dans un geste de consolation, Maggy croit bon d’offrir à Big Daddy, l’espoir d’un héritier, par l’annonce, tant désirée, de sa grossesse.
L’adaptation de Richard Brooks de ce psychodrame de Tennessee Williams, met en lumière, grâce à un jeu d’acteurs éblouissant, formés à l’Actor’s Studio, ce huis clos familial étouffant, dans la moiteur du Sud américain.
On y retrouve, en une unité de temps, de lieu et d’action, les thèmes obsessionnels du dramaturge : la pauvreté, la dissimulation, l’avidité affective et matérielle. Ses personnages sont complexes, et attachants, du fait même de leurs zones d’ombre. Le fils raté, alcoolique et solitaire, incarné par le personnage de Paul Newman. Le patriarche, homme de pouvoir, ayant construit sa fortune dans les mensonges et l’hypocrisie, joué par l’excellent Burl Ives.
Les figures féminines ne sont pas en reste. Liz Taylor prête son visage et son corps de femme sensuelle, mais dont on soupçonne la manipulation et la séduction froide, sous les accents de chatte amoureuse.
Big Mama, interprétée par Judith Anderson, est une épouse soumise, amoureuse inconditionnelle mais prête à prendre le pouvoir au moindre affaiblissement de son époux.
Tennessee Williams n’a pas son pareil pour évoquer la solitude des femmes dans le couple, la rudesse des hommes à leur endroit, la vulnérabilité sensuelle, psychique et sociale des épouses, dont certaines se défendent par l’intelligence et la ruse.
Le cinéaste met également en exergue la question de la transmission de l’amour d’un père à son fils. L’équilibre familial, obtenu d’une main de fer par le patriarche, vole en éclats après l’annonce de sa maladie incurable. La perspective de l’héritage révèle les pensées les plus intimes de chacun des fils.
Après des années de non-dits et d’incompréhension mutuelle, les langues se délient et les masques tombent, la catharsis dévoilant le lent poison de l’argent dans le cœur de chacun.
Totto Chan
La Chatte sur un Toit Brûlant (Cat on a Hot Tin Roof) est un film en couleur de Richard Brooks, sorti en 1958. Le scénario est adapté de la pièce éponyme de Tennessee Williams, créée à Broadway en 1955 et mise en scène par Elia Kazan.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !