Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, La Vérité d’Henri-Georges Clouzot.
Dominique Marceau est une jeune provinciale de 20 ans, arrivée récemment à Paris pour y faire sa vie.
Elle co-habite avec sa sœur Annie dans un logement exigu, et cherche à travailler. Mais Dominique n’a aucune formation, et contrairement à sa sœur studieuse, qui est entrée au Conservatoire de Musique de Paris comme violoniste, elle préfère passer du bon temps dans les cafés. Elle lie connaissance avec de jeunes oisifs, et n’hésite pas à avoir des relations charnelles fugaces avec certains d’entre eux.
Dominique est consciente de sa grande beauté naturelle et sauvage et de l’attirance sensuelle qu’elle exerce sur les hommes. Gilbert Tellier, l’ami d’Annie, la découvre un dimanche matin, dénudée sur son lit et tombe immédiatement sous son charme.
Il cherche à la séduire par une cour assidue, alors que Dominique ne cesse de vouloir lui échapper, par jeu, par caprice, ou bien par pudeur. La force de persuasion de Gilbert contraint Dominique à accepter ses avances et leur première nuit inaugure un début d’amour passionné. Gilbert est amoureux fou du corps de Dominique, et semble déjà avoir oublié Annie.
Dominique se sent aimée car désirée. Elle veut partager avec son amant son goût de la vie par des sorties nocturnes mais ce dernier résiste, il doit faire face à un investissement professionnel important. En fin de formation de chef-d’orchestre, Gilbert a de l’ambition et du talent : il doit bientôt prendre la direction d’un ensemble musical et ses nuits sont consacrées à ses répétitions. Dominique l’accompagne mais s’y ennuie. Leur relation s’envenime quand Dominique trouve une place au vestiaire d’un café-concert.
Son impudeur joyeuse, l’attrait érotique qu’elle exerce sur les clients convoquent la fureur de Gilbert. Jaloux des hommes qui l’approchent, il l’épie à la sortie de son travail et la surprend en voiture avec son patron. Pour Gilbert, c’est la preuve que Dominique continue à le tromper. C’en est trop pour Dominique, dont les soupçons et la jalousie possessive récurrente de son amant la blessent profondément. Dominique rompt la relation et sombre dans la dépression. Jusqu’au jour où elle apprend que sa sœur est désormais officiellement fiancée à Gilbert.
La Vérité est un film noir de Henri-Georges Clouzot, réalisé et monté comme une pièce de théâtre, en temps réel d’un procès d’une Cour d’Assises, dont les débats houleux seront le prétexte à l’incrustation de flash-backs de l’histoire amoureuse de Dominique. La grande mise en scène sobre et soignée déroule l’histoire de manière chronologique, avec un suspens sans cesse constant.
La passion qui nous est contée s’appuie sur un fait divers ayant défrayé la chronique dix ans auparavant. Henri-Georges Clouzot qui aimait suivre les débats en Cour d’Assises, s’est inspiré de l’histoire de Pauline Dubuisson qui tua son amant dans un geste de désespoir amoureux. Elle échappa à la peine de mort par l’unique femme du jury et le crime passionnel fut retenu à l’issue de la délibération.
Accusée d’assassinat prémédité contre Gilbert, risquant la peine de mort, Dominique comparaît elle aussi devant une salle comble, où badauds et journalistes se pressent en attendant l’ouverture des débats.
Incarnée par la magnifique Brigitte Bardot, qui jouera un des plus beaux rôles de sa carrière avec le Mépris de Jean-Luc Godard, Dominique est seule face à la foule, isolée dans son box, répondant aux questions à charge d’un Président de Cour, engoncé dans les certitudes de la bourgeoisie bien-pensante de l’époque.
C’est d’ailleurs son comportement qui lui est reproché durant tout le procès: sa désinvolture, son attitude volage et non docile, son oisiveté. L’avocat de la partie civile, joué par le grand Paul Meurisse, n’aura de cesse de vouloir prouver son caractère immoral et la rivalité profonde avec sa sœur, la brune et douce Marie-José Nat, qui serait déterminante, selon lui, dans le déclenchement prémédité du passage-à-l’acte meurtrier.
Pour l’avocat de la défense, incarné par un Charles Vanel plus vrai que nature, ce sont les blessures de l’enfance, la préférence cruelle de ses parents pour sa sœur aînée talentueuse et vertueuse, puis la pauvreté, le manque d’aide et de soutien qui précipitent Dominique dans une relation passionnée, à laquelle elle se livrera avec fougue et sans arrière-pensées.
À aucun moment, selon son avocat, elle ne percevra le harcèlement de Gilbert, ses promesses non tenues, son égoïsme l’enfermant dans une passion charnelle, son manque d’empathie pour sa situation sociale et affective précaire.
En effet, Samy Frey incarne à la perfection, malgré son jeune âge, 23 ans au moment du film, l’arrivisme d’un jeune homme talentueux, blessé dans son orgueil par cette femme libre et indomptable, et prêt à se défaire, sans états d’âme, d’une passion devenue encombrante.
Dominique refuse, dans une perplexité grandissante, les dépositions des témoins questionnés par les avocats ou le Président, car chacun pense détenir une vérité sur elle. Dans un dialogue, d’une grande sincérité, avec sa soeur, performance qui laissera l’actrice meurtrie de longs mois, Dominique crie sa Vérité, son amour pour Gilbert et sa croyance d’avoir été la préférée.
L’amour des corps devait sceller l’amour des cœurs, mais ils se sont effectués à contretemps pour chacun, livrant Dominique au plus profond désespoir de l’abandon, jusqu’à son geste fatidique.
Totto Chan
La Vérité est un film dramatique franco-italien, réalisé par Henri-Georges Clouzot et sorti en 1960. Le film reçoit le Golden Globe du meilleur film étranger en 1961.
À voir et à revoir sur la plateforme de France TV, jusqu’au 31 mai !
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !