C’est une comédie drôle et gaillarde. Du cru, du cul, du Gaulois dans le texte, c’est Hard ! Et c’est tendre. Souriez, vous allez rosir !!
Tiens, elle est étrange cette jeune femme qu’on croise à l’accueil du théâtre. Singulière dans le décor. Vêtue de noir avec cette voilette de résille qui lui tamise son beau visage. C’est terrible à dire mais c’est fou comme le deuil lui va bien. Donc, quelqu’un est mort ?
Oui, il bricolait sur son balcon et bim ! Un chef d’entreprise. Il laisse une épouse inconsolable et des collaborateurs dans le désarroi. On compatit. En même temps, on se marre doucement parce qu’à l’enterrement, les proches n’ont pas exactement des têtes de carême. Un je-ne-sais-quoi de polisson dans leur allure qui détonne. Et on se marre encore plus quand la mère du défunt confesse à sa bru, une oie blanche comme on n’en fait plus, que l’entreprise dont elle vient d’hériter n’est pas exactement celle qu’elle pensait. Son époux trop tôt disparu avait mieux que bon fond, il en avait un double. Un entrepreneur, un vrai, mais spécialisé dans le porno, le vrai aussi, avec les membres et les poils qui dépassent. Vertige.
Et choc des cultures. Parce qu’il va bien falloir faire quelque chose de cette boîte à pafs et que la jolie veuve prenne la bonne décision. Ce qu’évidemment, elle va faire. Découvrant au passage un monde dont elle ignorait jusqu’à l’existence, des pratiques et des joies qu’elle ne soupçonnait pas et puis, et peut-être même surtout, l’Amour, en la personne du bien nommé Roy Lapoutre, physique de jeune premier à la particule très prononcée.
Hard était une belle surprise télévisuelle. L’excellente série de Cathy Verney, vous vous en souvenez sans doute, fut diffusée pour la première fois en mai 2008 sur Canal Plus, avant que la chaîne cryptée ne s’enlise dans le moins. Adaptée par Bruno Gaccio, qui en était déjà le producteur pour la télévision, et mise en scène par Nicolas Briançon, son passage au théâtre est une réussite.
« D’abord, c’est une histoire de copains, raconte Nicolas Briançon, Alexis Trégarot (journaliste et ici producteur-ndlr) m’a apporté ce projet qu’il avait suscité de Bruno Gaccio et avec lequel d’ailleurs il avait travaillé. Il y avait la série de Canal que j’avais aimée. J’avais moi-même sévi dans Maison Close et plus tard dans Engrenages, autres séries de Canal. Bref, il y avait déjà un aspect famille. Mais ça a mis du temps parce que la première version qu’Alexis m’a apportée ne me plaisait pas. On avait fait une première lecture et ça ne marchait pas au théâtre.
Alexis s’est accroché. Et il m’a demandé de lister point par point ce qui n’allait pas. On a passé deux jours chez lui à retravailler, à reconstruire une arche… Ça me paraissait un tel chantier que je me suis dit que ça n’aboutirait pas. Alexis est revenu à la charge trois semaines après avec un texte modifié, beaucoup mieux. Et là, je me suis dit qu’il y avait quelque chose.
On a refait une lecture au théâtre de l’Oeuvre, on a encore travaillé, jusqu’au lendemain de la première. Avec des ciseaux. On a coupé, on a remis, enlevé… ce qui est normal, c’est une création. En plus, il n’y a aucun équivalent dans le genre. Je n’ai jamais adapté une série au théâtre ! Ce sont des lois, des fonctionnements différents.
Par exemple, avec Hard, ce qui marche particulièrement bien au théâtre c’est le côté « Tonton Flingueur » du texte. Alors qu’à la télévision, c’était davantage l’étude sociologique, sans prétention mais marrante, du milieu du porno. Il me semblait qu’il fallait trouver d’autres ressorts, qu’on a trouvés aussi avec les acteurs en répétant. Il y a eu de leur part une grosse force de proposition.
Je tiens à dire qu’il y a quand-même une équipe de dingues ! (sourire) C’est le premier spectacle dans lequel je ne joue pas où je viens autant, tellement l’équipe est dingue !! (sourire) Ensuite, la greffe entre les garçons qui se connaissaient depuis la série et les filles qui les ont rejoints a merveilleusement pris. »
Ce qui sans doute explique ce qu’on ressent à les regarder jouer, vivre et s’aimer. Ils et elles forment une singulière fratrie. Une famille qui se serait choisie et soudée malgré tout ou à cause des vents contraires qui ne manquent pas de souffler sur leur drôle d’aventure. Lorsque son fondateur disparaît accidentellement et même si elle a su s’adapter aux humeurs changeantes de son public comme aux nouveaux codes qu’impose le web, la société de production vit sur son passé glorieux. Fut une époque pas si lointaine où même pornographiques elle produisait encore de vrais films. Plébiscités et récompensés. Jusqu’à ce que l’usinage prime sur la qualité des images.
De ce point de vue, au théâtre comme dans la série, Hard c’est aussi l’histoire d’un monde qui change et de ceux qui s’accrochent pour survivre. Parce qu’ils ne savent pas ou ne peuvent plus faire autre chose. Comme le réalisateur dont on pensait pourtant qu’il avait tout vu, qu’on croyait incapable d’être heurté par le ballet des corps qui s’emboîtent et qui revient déboussolé de ce qu’il a vu lors d’un entretien auprès d’un studio concurrent. Quand c’est plus que hard, c’est quoi sinon du grand n’importe quoi ? Au mieux à frémir, au pire à vomir ?
« Oui, ça se rapproche de ce que j’ai pu connaître, souligne Dany Verissimo-Petit, et moi j’étais assez privilégiée. J’étais dans cet univers-là mais j’étais chouchoutée. Et Stephan Wojtowicz m’a confié qu’il s’était inspiré de mon producteur de l’époque (John B. Root-ndlr) pour créer son personnage. Cathy Verney, au moment de la série, lui avait dit de regarder le making-of d’un de ses films. Et il m’a dit qu’il avait trouvé ça hallucinant, la façon dont ça se passait… on formait une vraie famille ! Et ça m’a fait du bien…
Parce que bon, l’eau a coulé sous les ponts, je suis passée à autre chose mais là, c’est eux qui parlent de moi, c’est eux qui me défendent ! C’est Roy Lapoutre qui tout d’un coup se fait mon avocat et qui dit : « J’ai pas le droit d’espérer autre chose ?? Vous vous rendez compte de la dureté de ce que vous me renvoyez dans la gueule ?! Et j’ai trouvé ça super ! (sourire) Je suis assise, et je vois tous ces gens-là, ces comédiens qui n’ont rien à voir avec ce milieu-là qui me défendent, qui me prennent sous leurs ailes… je trouve ça formidable ! Je me régale (grand sourire). »
À travers le parcours de l’icône, Roy Lapoutre, on mesure ainsi le mur auquel se sont heurtés tant de hardeurs et de hardeuses avant lui. Il aimerait bien être un acteur de cinéma traditionnel, le beau gosse. Être reconnu pour ses qualités de jeu. Mais on s’en fout. On ne retient que sa queue et on ne veut voir qu’elle. Au moins, lui a la chance être finalement accepté et aimé comme il est. On se souvient au passage que nombre d’actrices du X ont eu moins de chance.
Certaines d’entre elles ont pu témoigner s’être fait insulter et cracher au visage dans la rue par des hommes à la morale singulièrement versatile et à la bêtise insondable, dont elles avaient eu le seul tort, au fond, de nourrir les fantasmes. Mais c’est une autre histoire. Celle de Hard reste drôle et piquante. Elle est en outre menée à fond de train, sans mauvais jeu de mots, et ne cesse de rebondir.
Hard est une comédie d’autant plus réjouissante qu’elle met en scène des outsiders. Hardeurs, hardeuses évoluent ici dans un autre monde, à la lisière des bonnes moeurs et très à côté du convenable, mais ces oiseaux-là vivent libres, n’imposent rien, n’emmerdent personne et font plaisir à voir autant qu’à entendre. Ils baisent comme ils respirent, avec joie et naturel quand d’autres censurent, bâillonnent et s’échinent à imposer leurs règles comme leur vision d’un monde meilleur. On pense à Facebook que la vue d’un téton affole, même un téton académique exposé au Louvre. On pense à Tumblr ( l’un des grands réseaux du cul sous toutes ses formes passé sous le pavillon de Verizon, opérateur historique américain-ndlr) qui vient d’annoncer la fin et le bannissement de toute publication à caractère pornographique.
À ces Tartuffes pathétiques tout seuls dans leurs slips, on n’aura pas tort de préférer les mots de Bruno Gaccio. Roses et verts, tendres et crus, comme des bonbons au piment, à ne pas laisser fondre dans toutes les bouches, ils disent drôlement, admirablement la fesse, l’amour et la vie. Quant à Nicolas Briançon, il est encore une fois là où on ne l’attendait pas. C’est aussi pour ça qu’on l’aime. On observe toutefois que s’il sait voyager, il n’oublie jamais d’emporter avec lui son sens de la sensualité, encore moins son amour des femmes. Venues en bandes de copines ou avec leur cher et tendre, il y en avait d’ailleurs beaucoup l’autre soir à la Renaissance. Et elles riaient. Plus fort que les hommes, même.
Hard, le petit nuage rose qui le temps d’une soirée sait faire oublier les marées jaunes.
O.D
Hard, librement inspirée de la série de Cathy Verney, une pièce écrite par Bruno Gaccio et mise en scène par Nicolas Briançon.
Avec Claire Borotra, François Vincentelli, Nicole Croisille, Charlie Dupont, Stephan Wojtowicz, Isabelle Vitari, François Marielle, Dany Verrissimo et Sarah Gellé.
au théâtre de la Renaissance jusqu’au 13 janvier.
Enfin, si l’envie vous prend de prolonger la rose parenthèse, osez donc un voyage dans le temps avec Monsieur Maurice.