L’histoire de Kenzo n’a pas commencé avec celle du club mythique. Elle a continué depuis. Mais le merveilleux créateur n’a rien oublié de ses années Palace.
Il n’est pas sur toutes les photos, il n’était pas non plus de toutes les soirées. Mais en feuilletant l’album des beaux souvenirs, on le croise fatalement. Souvent. Et alors, on ne voit que lui. Ses lunettes, sa mèche noire de jais qui lui mange le front et presque les yeux, et ce sourire comme un soleil qui se lève. Une signature. On lui donne vingt printemps, il en avait un peu plus. Quarante ans après, on lui donne encore beaucoup moins. Oui, ça peut agacer. À croire que le sens de la fête finalement déride et prend de court le temps qui file. Et il l’a aimée la fête, Kenzo. Au Palace aussi, et surtout.
S’il a fait ses premiers pas à l’ombre du grand et sublime château blanc féodal de Himeji, dans la province de Hyõgo au Japon, nourrissant très tôt ses envies de créer à la lecture des magazines de mode qu’il empruntait à ses soeurs, c’est en France qu’il a pris son envol. Laissant derrière lui le poids des traditions, s’affranchissant de la lourdeur d’un milieu strictement codifié et protocolaire, il a alors un peu appris la langue de Molière, Dior et Chanel et beaucoup goûté à la liberté. Trois ans avant la grande floraison du printemps 68, le petit Japonais fraîchement diplômé du Tokyo’s Bunka Fashion College qui ne connaissait personne à Paris a travaillé avec patience à ce que tous le reconnaissent.
« Au Sept, j’avais ma place à côté de Guy Cuevas »
Il présente sa première collection en 1970 lors d’un défilé à la galerie Vivienne, où il a installé son atelier. Certaines et certains s’en souviennent aujourd’hui encore. Des couleurs qui jaillissent comme des feux d’artifice, des fleurs en bouquets et des mannequins qui rigolent sur le catwalk… Kenzo Takada chahute son temps et contribue lui-aussi à réveiller la belle assoupie qu’était devenue la mode parisienne. Parallèlement, au fond tout est lié, il sort, il entend, il voit, il découvre, il rencontre. Il fait ainsi du Sept de la rue Sainte-Anne sa résidence de nuit.
« À l’époque, je travaillais beaucoup, beaucoup et j’allais au Sept tous les soirs. On y allait pour faire des rencontres. Les artistes, les intellectuels, les mannequins du moment qui arrivaient de New-York, tout le monde se retrouvait ici. Si on voulait savoir ce qui se passait à Paris de nouveau, d’intéressant, dans le domaine de la culture, de la mode, c’est là qu’il fallait être… Et puis au Sept, il y avait une petite place juste à côté des platines de Guy (Guy Cuevas), c’était la mienne !! (rires) On discutait beaucoup, on parlait de plein de choses ensemble ».
Le Pimm’s, le Sept… au nombre des premiers fidèles de Fabrice Emaer, où figure notamment son amie Sylvie Grumbach, Kenzo ne va évidemment pas faire impasse sur le Palace.
« Et Grace Jones qui chantait la Vie en Rose »…
« À la fin des années 70, on avait besoin d’un endroit comme celui-là. Je me souviens, avec Loulou (Loulou de la Falaise, créatrice de bijoux et muse d’Yves Saint-Laurent), on avait découvert le studio 54 à New-York et on se disait qu’il fallait un endroit comme ça à Paris, pour faire de grandes fêtes. Alors, avec Fabrice et Claude Aurensan on cherchait… et ils ont trouvé le lieu ! Et ils ont fait le Palace. Et on a fait la fête ! Fêtes sur fêtes !! (rires) Je me souviens que pour mon anniversaire, Fabrice avait organisé une soirée, une fête cartoon. Tout le monde était déguisé en Mickey Mouse et moi… en Minnie ! C’était génial !! (rires)… Je me souviens aussi de Grace Jones, que je connaissais depuis le Sept, je l’avais rencontrée en 1976, elle avait donné l’un des premiers concerts du Palace, elle chantait « la Vie en Rose », stylisée par Jean-Paul Goude… c’était magnifique !! Et Au Palace, j’ai fait beaucoup de… (silence) strip-teases (rires) ».
Kenzo dans le plus simple appareil, il n’y avait qu’au Palace. Bon, disons-le, ça se passait plutôt à l’abri des regards mais tout de même. Et il en rit aujourd’hui comme il riait à cette époque, où flottait dans l’air un parfum de liberté qui s’est ensuite, bien vite, évaporé. Les années 80, qui attendaient leur tour, allaient sonner le glas d’une décennie fabuleuse dont le Palace aura été l’une des très belles séquences. En 1993, Kenzo, devenu peut-être sage et désireux de vivre pour lui, vendra à Bernard Arnault la marque qu’il avait créée. Quarante ans après le Palace, il s’étonnerait presque de la fulgurance de la vie.
« Ça va vite, hein… Ça va tellement vite… Physiquement, ça va encore mais quand je vois mon âge… j’ai bientôt cent ans… ça me déprime (rires)… Et vous trouvez que j’ai le même sourire ?? Oui ?… Alors, merci ».
O.D