Les Lettres d’A… de Nicolas B. : un Zeste d’Alceste

Les Lettres d'A. de Nicolas B.-Molière-ParisBazaar-Nicolas B.

Acteur, comédien et metteur en scène, ce qu’il a envie de dire Nicolas Briançon prend ici le temps de l’écrire. Ses lettres parlent de lui, parlent de nous. Bonheurs épistolaires.

Chère C.,

Je voudrais vous faire l’éloge du désengagement. 

La fin de l’année, c’est l’occasion de solder les comptes, de faire place nette. De mettre de l’ordre dans ses affaires et sur son bureau, le mien ressemble toujours à un champ de bataille. Et dans son cœur si on en possède un, ce qui n’est pas le cas de tout le monde…  

Vous savez bien que je ne parle pas de vous chère C. Votre cœur est immense. D’ailleurs, vous vous revendiquez de gauche, ce qui ne souffre pas d’équivoque. Vous êtes de gauche ce qui est la preuve absolue de votre altruisme, de votre générosité, et de la qualité de vos cashmeres… Ah, je vous vois vous agiter… La gauche votre patrie, votre certitude, votre église, celle qu’on ne quitte pas parce qu’elle est à la fois un culte, un sentiment, une excuse, une déculpabilisation parfois, une légitimisation toujours… Vos engagements sont sans failles. Vos convictions brûlantes. Vous êtes à la politique «toute entière attachée» !

La preuve : pas une pétition qui ne passe à portée et que vous ne signiez avec l’ardeur de ceux qui portent en eux des certitudes. Rien n’y résiste : ni le climat, ni le sort des femmes, ni celui des enfants, ni les turpitudes de réalisateurs malades. S’y sont rajoutés récemment le sort des animaux dans les abattoirs, les corridas, la justice dont vous estimez qu’elle ne fait pas toujours son travail, le véganisme, les violences conjugales… Ce ne sont plus des opinions c’est un prurit. 

Les Lettres d'A. de Nicolas B.-Pétition-ParisBazaar-Nicolas B.

Vous me demandez de participer à votre nouveau combat, et, me pardonnerez-vous ? Je vous réponds ici que non. Non. Voilà. Je ne vais pas le faire. Même s’il m’est arrivé de céder à la tentation de la pétition, je n’y retournerai pas. Et je n’y retournerai jamais. Voilà. Abstention ! C’est fini.

J’approuve toutes vos bonnes actions sans exceptions… Toutes.  Je m’empresse de l’écrire parce que les nouvelles polices, bien plus rapides, bien plus virulentes que l’officielle, sont déjà en train de fourbir leurs armes… « Dites donc… Est-ce qu’il ne serait pas un peu suspect lui ?  Corrida : Pour ou contre ? Polanski, il dit quoi ? Il continue à manger de la viande ? Il était à la manif sur la violence faite aux femmes ?… Mais il va grandir un jour ?»

Grandir… Devenir adulte… Rien n’est simple chère C. Et manifestement pas cette assertion. Devenir adulte ! C’est à dire : grandis, mets toi du plomb dans la tête, avance… Tout ce que l’on nous répète durant l’enfance… Et que nous ne cessons de répéter à nos propres enfants… Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Sommes-nous si différents ? Avons-nous vraiment évolué ? Sommes-nous meilleurs ? 

J’ai toujours ce sentiment, nous retrouverons nous sur cette idée, chère C. ?, qu’il y a en nous un socle, et j’emploie ce terme à dessein parce que nous fondons dessus l’essentiel de nos vies, un socle qui nous porte, qui nous ancre, qui nous guide, dont nous ne savons pas nous détacher parce qu’il est la part la plus personnelle de nous même. Que ce socle est là depuis l’origine.

Au milieu des changements de convictions, (ça n’est jamais très importants les convictions), des détails, des revirements de la droite à la gauche, quand ça n’est pas de la gauche à la droite, de l’énergie qui disparaît au profit de l’expérience, il y a, droite, dure, inatteignable, farouche, cette tension qui nous fait avancer, qui nous anime, et qui comprend nos émerveillements, nos inclinations, nos fantasmes, nos désirs… Cette tension, présente depuis l’enfance, plus ou moins forte, plus ou moins envahissante, elle est notre vie. Celle à laquelle nous nous heurtons sans cesse, et à laquelle nous revenons parce qu’elle est plus profonde que tous nos acquis et toutes nos idées… Alors devenir adulte… Oui…Mais pour quoi faire ?

Les Lettres d'A. de Nicolas B-Enfant-ParisBazaar-Nicolas B

Je vous entends déjà me répondre avec la certitude bienheureuse qui fonde vos combats et quelle chance vous avez de croire avec cet enthousiasme, quel bonheur ce doit être d’être dévote en engagement, que l’âge adulte est l’âge des prises de position, des prises de risque (ce mot des gens qui travaillent derrière leur ordinateur).

Qu’il ne sert à rien d’être un artiste alors que le monde va mal, que notre plaisir et notre bonheur de créer ne peuvent se concevoir sans une conscience sociale élevée. Que lorsque des gens meurent de faim et dorment dehors, il n’est pas temps de songer à ses petits bonheurs personnels, fussent-ils vaguement artistiques.

Qu’il est de notre devoir d’intégrer dans nos œuvres (je n’emploie jamais ce mot pour moi même… quelle prétention ! Mais parfois, il passe par vos lèvres alors je le reprends…) le monde tel qu’il va, les méfaits des puissances de l’argent, le juste combat de l’égalité des droits… Lorsque vous me tenez ces discours, j’ai toujours l’impression d’être un garnement pris en faute… D’être le mauvais élève au fond de la classe… Que je suis coupable de quelque chose sans trop savoir de quoi… Pourquoi ne puis-je pas vous suivre avec allégresse dans toutes vos prises de position ? Pourquoi y a-t-il au fond de moi, ancré farouchement, le refus de me précipiter dans les méandres des dogmes ?… 

Et je dois dire que les réseaux sociaux, puisque c’est le nom qu’on leur donne, me donnent parfois des sueurs froides… Des envies de m’enterrer… Vous vous y épanouissez avec bonheur, et c’est sans doute ce qui nous sépare. Et peut-être plus durablement que vous ne le pensez… Vous ne cessez de reposter des articles à la gloire de vos nouvelles idoles : révolutionnaires de cuisine ou dans leur cuisine, rebelles sénatoriaux, la république c’est eux, écologistes concernés, actrices engagées comme vous dans l’amélioration du monde. J’admire sincèrement toute cette activité, même si parfois je me demande pourquoi vous ne vous lancez pas en politique… Et que je trouve, me pardonnerez-vous cette phrase, qu’il est parfois un peu facile de donner des leçons au monde assis derrière son Macbook, fut-il pro !

La politique – qui, elle, peut changer le monde – demande, d’une part d’être désignée par le plus grand nombre, à moins que vous n’envisagiez les choses différemment ?… Et d’autre part, de plonger ses mains dans le cambouis, de se confronter au réel, de travailler non pas sur des généralités mais sur le concret… Le nombre d’avis, de sentences, de déclarations d’intentions, de jugements, d’oukases,  le ton péremptoire pris par certains pour expliquer le monde et donner des solutions me terrifient… J’ai envie de partir à l’autre bout de la terre, en vain d’ailleurs, il n’y a plus de paradis préservés, pour «fuir dans un désert, l’approche des humains.»

«Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on est plus de quatre on est une bande de cons» , disait Brassens. Avez-vous remarqué le nombre des procureurs ? C’est phénoménal non ? Et en constante augmentation… Ils fleurissent comme par enchantement à chaque événement. Eux et leurs soutiens… Plus terrifiants encore… Chiens de garde aboyant dans le noir derrière leurs maitres… Prêts à les dévorer eux même au moindre faux pas… Soutiens d’un jour, ennemis de demain, au gré du vent qui tourne, des modes qui passent… Une certaine idée soft de la terreur, de l’occupation et de la libération… Prêts à tondre au moindre mot. Aptes à fusiller si l’occasion se présente… Au besoin prêts à dénoncer si ça peut rendre service bien sûr…

Lettres d'A. de Nicolas B-Justice Daumier-ParisBazaar-Nicolas B

Donneurs de leçons amateurs. Girouettes complaisantes, analphabètes et mauvaises. Crétins en mal d’existence, ou êtres sincères confits dans leurs certitudes (ce ne sont pas les moins dangereux). Vendeurs de vieux oripeaux politiques,  sans mémoire de l’histoire, même proche. Sans culture, sans personnalité. Génies de l’enfoncement des portes ouvertes, généreux à géométrie variable. Courageux dans leur chambre à coucher, rances et veules en  fonction des postes, des statuts, des hiérarchies. La France éternelle aurait dit un vieux gradé qui avait sans doute perdu ses illusions. Mais on pourrait dire l’humanité éternelle… Les Français ont toujours tendance à se croire le centre du monde…

Ne comptez pas sur moi pour participer à tout ça… Petit déjà, je n’aimais pas les foules, les masses… Le petit garçon timide et réservé que j’étais, avait du mal à crier avec les autres… Je rêvais d’en être, et je n’y arrivais pas. Au moment où dans la fin de l’adolescence – elle fut tardive pour moi, et, je vous renvoie à plus haut, je crains n’en être pas sorti : j’ai du m’arrêter de grandir à quinze ans et demi – au moment disais-je où d’autres se plongeaient avec délice dans leurs premiers idéaux politiques, je regardais passer les danseuses de l’opéra de Bordeaux, rêvant romantiquement à des correspondances échevelées. Il ne se passait pas grand-chose, mais je voulais leur dire à quel point elles me faisaient vivre plus intensément que tous les grands idéaux. À quel point elles étaient plus nécessaires que les grandes philosophies.

C’est très beau les idées politiques, encore que les plus généreuses ont souvent débouchées sur les pires dictatures. Ces très émouvant les grands discours généreux, mais sont-ils souvent suivis des actes ? Mais ce moment là… Où un être découvre dans un autre être qu’il va l’aimer… Ce moment-là chère C., fait voler en éclat tous vos grands principes, tous vos idéaux, tous vos discours…Toutes vos merveilleuses et passionnantes prises de position. Je n’oublierai jamais mon amour absolu pour cette jeune femme blonde, aux yeux très clairs. Pour son petit accent, pour cette façon si particulière qu’elle avait de boire en me regardant. Pour sa main sur mon bras. Pour sa jambe contre la mienne. Pour tout ce qu’elle annonçait de bonheur et de promesses. Pour l’immensité de ce qu’elle représentait alors à mes yeux et dans mon âme.

Les lettres d'A. de Nicolas B-Ballerine-ParisBazaar-Nicolas B.

Alors je rêvais. Pas encore à la posséder non. Même pas encore à la séduire, qui étais-je ? Mais à ces moments où lui écrire deviendrait la chose la plus importante du monde. Au point qu’elle m’absorberait des heures, seul en tête à tête avec mon rêve du moment… Image fugitive et irréelle trottinant sous les colonnes du grand théâtre. À qui je n’oserai cependant pas adresser la parole… Parce qu’écrire ce serait livrer sa part la plus intime, la plus vraie, la plus secrète. Et comment se parler ensuite en face à face sans abimer ces moments de grâce et de bonheur profond. En somme, je vivais déjà dans mes rêves pour me protéger des chaos du monde. Et si je me retrouve comme vous à faire ce métier, c’est dans le fond par refus d’une certaine forme de réalité. Elle me heurte, elle me choque, elle me bouleverse trop. Je veux vivre dans un autre monde.  

Alors quoi ? Me direz-vous, avec ce petit air agacé que je vous connais bien… On ne fait rien ? On ne dit rien ? On ne proteste pas ? On n’a plus d’opinions ? Et bien chère C., dans mon cas, et je n’en fais pas une recette universelle, je ne cherche pas à créer un groupe d’opinion, ni une conversation Whatsapp. Dans mon cas, et pour moi seul, chacun étant bien libre de faire ce qu’il veut, oui, je prône une forme de désengagement. Permettez-moi de ne pas savoir. De ne pas avoir d’opinions. De continuer à vivre ailleurs. Loin du monde que vous parcourez en tous sens. Le monde des gens qui savent. Le monde des gens qui ont un avis. Le monde de ceux qui ont la solution. Je n’en ai pas. Le monde de ceux qui ont des certitudes. Je m’en garde bien.

Les Lettres d'A. de Nicolas B.-Misanthrope par Morlon-ParisBazaar-Nicolas B.

Mais accordez-moi la grâce de ne pas faire semblant d’en avoir. De me tenir loin du tumulte. De continuer à me passionner pour un final des Noces de Figaro. Pour des écrivains mineurs qui font ma joie. Pour des pièces d’un autre temps. Accordez-moi la grâce de continuer à aimer des films de cinéastes qui sont de sales types et parfois des romans de parfaits salauds. Accordez-moi la grâce dans le fond, de faire ce que je veux. Parce que c’est exactement ça que je voulais faire enfant : ce que je veux. C’est une bien modeste ambition, je vous l’accorde. Mais je laisse les grandes ambitions aux grandes âmes, aux grands esprits, aux immenses consciences. L’histoire nous dira qui aura fait le plus de mal aux autres. De ceux qui s’engagent ou de ceux qui s’abstiennent. Je vous aime infiniment, vous le savez. Mais décidément non… Je ne suis pas l’homme des pétitions.

Laissez-moi rêver à d’autres espaces. Ceux que vous me proposez me semblent bien trop vagues. Et puisque j’ai cité Alceste tout à l’heure – nous irons ensemble voir notre ami Nicolas Vaude dans ce rôle au théâtre du Ranelagh en janvier ? – je finirai par cette vieille chanson qu’on trouve dans le Misanthrope et qui continue de me hanter :

«Si le roi m’avait donné

Paris, sa grand ville,

Et qu’il me fallut quitter

L’amour de ma mie,

Je dirais au roi Henri :

« Reprenez votre Paris :

J’aime mieux ma mie, au gué !

J’aime mieux ma mie.»

Voilà. Ne  m’en veuillez pas. Bien à vous.

Nicolas B.

 

Le Misanthrope de Molière, mis en scène par Chloé Lambert et Nicolas Vaude

Avec : Nicolas Vaude, Chloé Lambert, Laurent Natrella, Pierre Val, Nathalie Boutefeu, Arthur Sonhador, Hélène Barillé, Raphaël Duléry, Clara Artur Vaude.

Au théâtre du Ranelagh, à partir du 17 janvier à 21h.

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