Santeboutique : Arno l’Indémodable

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Arno revient avec Santeboutique. Un album qui ne lui ressemble pas un peu, un album carrément comme lui. Sombre… et tout à fait Rock !

Les Belges ont leurs superstars. Le philosophe Jean-Claude Van Damme, l’excellent comédien Benoît Poelvoorde, le footballeur Eden Hazard, ou encore la chanteuse danseuse barrée Annie Cordy sont parmi les plus connus chez nous. Il y a aussi les légendes, Jacques Brel en tête de liste. Mais il y en a un, moins connu du grand public, qui sort du lot. Il se nomme Arno Hintjens, plus connu sous le nom d’Arno. Et c’est lui aujourd’hui qui nous passionne.

Souvent qualifié d’excentrique, de doux barré, de grand malade, parfois invité dans certaines émissions pour son côté décalé, interviewé par des pseudo-animateurs qui se paient sa gueule ouvertement et lamentablement, Arno est avant tout un Artiste hors norme. Vous en connaissez beaucoup, vous, des artistes qui ont 50 ans de carrière au compteur, chantent et parlent couramment en trois langues, et qui n’ont jamais dévié leur trajectoire d’un millimètre ? Arno est un artiste digne.

De TC matic à Charles et Les Lulus, en passant par ses morceaux avec les Subrovniks, le Belge a eu plusieurs vies, mais toujours placées sous le signe du rock’n’roll. Surnommé le «Tom Waits Belge», à cause de sa voix rocailleuse et de son côté bien flingué, Arno s’étonne toujours lorsqu’on lui dit qu’on l’admire et qu’il est une vraie superstar. Et pourtant… Il sait tout faire. Chanter, composer, jouer la comédie. Il était fabuleux avec Alain Bashung dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit. Extrêmement timide, d’une gentillesse inégalable, l’Artiste, qu’on a eu la chance de pouvoir rencontrer à plusieurs reprises, est une perle rare. 

Il n’y à qu’à écouter They Are Coming ou Ça Chante pour s’en rendre compte. Les deux morceaux de rock, même si le premier est plus électro, ont en commun une très violente critique de la société. Ce qu’Arno, véritable révolté, fait de toute façon sur chaque album. Le mémorable T’Inquiètes Pas sorti en 1995 sur l’album À La Française était d’ailleurs un chef d’oeuvre du genre. Il est à la fois déconnant tout en ayant un fond sérieux.

Même genre de pratique lorsqu’il parle d’amour. Que ce soit avec Santeboutique, le morceau, Les Saucisses de Maurice, ou Tjip, Tjip, C’est Fini, Arno chante l’amour de façon décalée tout en gardant toujours en ligne de mire un fond de vérité. Les Saucisses de Maurice est, d’ailleurs, un véritable scénario, à la fois déconnant, réaliste et terrible. À lire les titres, on peut se dire que ça ne doit pas voler haut. Détrompez vous ! De tels morceaux doivent faire pâlir de jalousie certains chanteurs français qui se croient décalés… Non, n’insistez pas, je ne vais pas citer de noms… 

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Arno profite aussi de ce treizième album solo pour faire le bilan. Lady Alcohol, mis en relief par une basse puissante et profonde, ressemble à une sorte de morceau expiatoire. Quasiment une sorte d’exutoire sur une musique proche du metal. Oui, l’alcool il connaît. Trop bien même. Il le reconnaît. «I’m trapped inside myself / I’m trapped in a tunnel…» Le morceau est d’une noirceur extrême. Court-Circuit dans Mon Esprit est une sorte de suite logique à Lady Alcohol. Une gueule de bois terrible au cours de laquelle l’Artiste repense à sa vie. Il avoue, sur une rythmique presque funèbre, que certains plombs ont pu sauter à cause de ses excès mais qu’il est toujours, malgré tout, resté rock’n’roll, différent.

Il aurait pu virer vers une carrière de chanteur populaire pour faire des tubes à la con. Ben non. Son plus gros tube reste sans doute Vive Ma Liberté, en 1993, titre sur lequel il se foutait de la gueule de tout le monde, et de son label, en chantant n’importe quoi. Et là… Bingo ! Comme quoi… Dans Naturel, il parle aussi de son âge, de la vieillesse, avec ironie. Là encore, le bilan est simple : «Aujourd’hui, j’suis naturel / Con, mais content…»  

Et puis, il y a aussi cet hommage à Ostende. Sa ville, celle où il est né, où il a vécu. Ville de coeur qu’il avait déjà chantée avec la reprise de Comme À Ostende, du grand Léo Ferré. Ostende Bonsoir est une chanson remplie de nostalgie, de tristesse. C’est aussi un hommage à Léon Spilliaert, peintre flamand qui, comme Arno, était originaire d’Ostende. En l’écoutant, on a des frissons, on n’ose plus bouger. On ferme les yeux. On imagine aisément le chanteur vêtu d’un manteau noir, les cheveux aux épaules, affublé de ses Ray-Ban noires, se baladant dans la station balnéaire belge, la nuit, de bar en bar, titubant, discutant avec les uns et les autres, buvant des coups, mais seul… Oui, ce morceau est surtout sur la solitude. Un constat assez terrible, mais tellement bien mis en forme.

On ne passe pas non plus à côté de l’ovni. Flashblack Blues, morceau sur lequel Arno répète sans arrêt : «I’m in trouble with a flashback blues» , le tout sur un fond électro rock accouplé avec de l’harmonica. Les paroles sont plus que simples et se retiennent facilement. Là encore, le constat est limpide. Le chanteur a des soucis avec son passé. À moins que ce ne soit beaucoup plus simple. Il n’arrivait peut-être simplement pas à trouver des paroles pour le morceau. Seul lui pourrait le dire.   

Il paraît que la vieillesse est un naufrage. Ça peut l’être. Il suffit de regarder du côté de certains artistes, flirtant parfois avec les extrêmes, pour s’en apercevoir. Pour d’autres comme Arno, c’est carrément le contraire. Lui est fidèle à une idéologie : la sienne ! Il a toujours fait ce qu’il a voulu, s’est éclaté en chantant Putain, Putain (C’est vachement bien / Nous sommes quand même / Tous des Européens) en 83. Il a aussi travaillé avec Stefan Eicher, Beverly Jo Scott, John Parish, Reggie Thompson (la chanteuse d’Indeep qui hurlait Last Night A DJ Saved My Life en 82), ou même Julien Doré (malheureusement), repris brillamment Adamo ou Julio Iglesias, et interprété plusieurs titres sur la version néerlandaise de Toy Story. Arno est indépendant, toujours là où on ne l’attend pas. Il n’a peur de rien, ni personne. Il fait ce qu’il aime le plus au monde : de la musique.

Un vieux cliché pourri, consiste à dire d’une personne qu’elle est comme le bon vin, elle ne cesse de s’améliorer avec le temps. Pour Arno, c’est plus que vrai. Santeboutique est un grand album. À n’en point douter, l’un des meilleurs opus que le Rock francophone nous ait offert de découvrir et d’écouter tout au long de cette année 2019.

Laurent Borde

Arno / Santeboutique / Naïve

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