Elle aime, Hélène. Elle aime aimer et prendre le temps de l’écrire. À l’encre de ses émotions, au fil de ses rencontres, ses lettres s’affranchissent de toutes les barrières. Comme seuls les mots savent le faire quand ils viennent du coeur.
« Permettez que je vous écrive, Monsieur Marc Garcia.
Permettez que je vous écrive en employant le vous, nous qui nous sommes tellement tutoyés. Permettez que je vous écrive, car ne pas le faire serait manquer un doux rendez vous. Celui de la reconnaissance, de la roue qui tourne. Ou, si vous me l’autorisez, du « et la lumière fut à nouveau » .
Je ne veux pas m’appesantir et ajouter à la peine qui affleure à la surface des jours qui se profilent. Comme chaque année lorsque revient, sans qu’on l’ait invité, le souvenir de la neige tombant à gros flocons sur les allées du Père Lachaise, ce matin de Février 2005.
Je veux juste, le temps de cette lettre, souligner que vous aviez raison et saluer votre talent. Il n’est jamais inutile de le rappeler aux mémoires passoires, talent à ce jour inégalé.
Vous avez, Monsieur Marc Garcia, entraîné dans la danse que fut votre vie tant de coeurs battants. Battant au rythme de votre musique, au rythme de vos pas menant au studio, au rythme de votre voix posée et assurée.
D’aucuns disent encore qu’il fallait vous suivre. Que la course avec vous était effrénée, les limites sans cesse repoussées, et les défis toujours fous. Faire chanter Elton John sur la place, Rouge, il fallait oser ! Que la passion se vivait sans entraves. Et qu’on vivait en une saison à vos côtés ce qu’on n’aurait pas vécu même en dix ailleurs.
Vous aviez un profond respect pour ceux qui vous faisaient confiance. Pour ceux qui se tenaient devant comme de l’autre côté du micro. Vous aviez autant le sens de vos équipes que celui de l’auditeur. L’auditeur, cet inconnu que tant de directeurs de radios tout à la fois redoutent, désirent et veulent séduire, parfois au prix de se perdre, vous le connaissiez.
Il ne s’agissait pas d’un pouvoir médiumnique. Juste une alchimie exigeante et imparable :« Le don, le travail, la volonté, le doute, la réflexion, le courage, l’écoute, l’empathie » … Je vous devine sourire, l’oeil pétillant et la moue moqueuse.
À cette recette de mage, il me faut ajouter la passion. La vôtre était inébranlable et contagieuse. Je sais aujourd’hui que c’est elle qui a autant fédéré autour de vous. C’est elle qui a embarqué dans votre sillage bouillonnant tous ces hommes et toutes ces femmes de radio.Tous différents, mais qui avaient en commun d’être prêts à tout donner sans compter pour que ça sonne. Et que ça sonne juste.
Permettez, Monsieur Marc Garcia, que je précise ce que vous savez déjà. Les années écoulées n’ont pas su entamer l’admiration de « vos Enfants de Radio » . Toutes et tous ont encore en mémoire vos mots, vos enseignements vos conseils. Parmi eux, un me revient souvent : « Quand tu ne sais pas faire, fais simple. »
Mais l’objet de ma lettre n’est pas là.
Il faut parfois de longues années avant que le talent de la création soit reconnu sans qu’il y ait même une ombre d’ambiguïté. En 1986, vous créez ce qui reste aujourd’hui encore l’une des plus belles réussites de l’histoire radiophonique : Europe 2.
Qui oserait aujourd’hui le contester ? Un crédule sans peur du ridicule… C’est pour la rime. Nombreux se reconnaissent comme frères parce que fiers d’avoir vécu à vos cotés la folle et merveilleuse aventure d’Europe 2. Évidemment, comme souvent quand le chef d’orchestre quitte son pupitre, les musiciens dans la fosse se sentent perdus. Et jouent sans jouer.
Vous trouvez la métaphore est un brin grandiloquente ? Je vous l’accorde. Mais elle résume l’histoire.
ll a fallu finalement peu de temps pour que sans vous, Europe 2 ne soit plus. Et puis, il a fallu de longues longues années avant que le nom emblématique incarne à nouveau, pour quelques aventuriers, l’espoir d’une réussite encore possible. J’entends d’ici votre voix nous dire dans un sourire non dissimulé : « J’ai bu du petit lait !»
Aujourd’hui plus forte et plus riche des années que j’ai passées à vos cotés, permettez, Monsieur Marc Garcia, que je conclue maintenant cette missive. Je vais ainsi ménager les susceptibilités, tout en restant moi-même. »
Hélène Lacore-Kamm
(Crédits: Interview de Marc Garcia par Thierry Chatel pour Couleur 3-Archives de Bruno Labouré)