Rachid Santaki : Auteur-Entrepreneur

Rachid-SANTAKI - Paris Bazaar

Auteur, scénariste et organisateur de dictées géantes, Rachid Santaki fait partie de ces artistes-entrepreneurs qui incarnent à merveille le Do it Yourself.

A 44 ans, Rachid Santaki dit avoir enfin trouvé sa voie, ou plus exactement le sens de ce qu’il a entrepris et continue d’entreprendre. Il a réussi à assembler les pièces de son puzzle personnel, après 10 ouvrages publiés, des scénarios rédigés et la plus grande dictée du monde jamais organisée. Si cela peut sembler étrange pour celui qui l’écoute, très vite on comprend ce que Rachid veut dire.

« Depuis le début, l’écriture a été mon fil conducteur, les mots m’ont sauvé. Aujourd’hui, je sais qu’ils font partie de ma vie, qu’ils sont inspirants et que je peux construire avec eux. À partir du moment où j’en ai pris conscience, admis que j’avais ce potentiel et que je pouvais faire des choses avec, j’ai pu emboîter toutes les pièces du puzzle. »

Son parcours, Rachid Santaki l’a inventé et le trace avec l’intime conviction du défricheur. Pas à pas. Mais revenons au début.

Rachid, c’est d’abord un enfant de Saint-Denis. Dès l’âge de 10-11 ans, il rêve d’être scénariste dessinateur. Un entretien avec la conseillère d’orientation, très vite, l’en dissuade. À partir de ce moment-là, il décroche. Pendant longtemps. Collège, lycée, redoublements, orientation en techno, bac pro compta… le parcours est chaotique, l’insatisfaction grandissante. Puis viennent les années de boulot alimentaire, la recherche aussi d’une voie qui lui convienne. C’est le sport qui le maintient, la boxe plus exactement. Et une rencontre : le lancement d’un média rap digital (hiphop.fr).

« Là, je me réveille et je commence à m’investir dans un projet qui me parle. Les mots, je ne suis pas encore à l’aise avec, mais je fais des chroniques et, de fil en aiguille, je commence à trouver ça intéressant. »

L’aventure va durer deux ans, pour Rachid. A l’issue de ces deux années, il décide de lancer son propre projet  avec Stéphane, un ami. Le magazine papier et gratuit 5Styles, voit le jour. Il fait la part belle au rap, au cinéma et au sport. Son modèle économique ? La vente d’espaces publicitaires.

« On était en 2003, c’était l’époque des premiers gratuits. On était vraiment dans l’air du temps. Par contre, on n’a pas assuré nos arrières, on aurait dû développer le digital. On ne l’a pas fait pour une raison simple : l’audience des sites, contrairement à aujourd’hui, n’était pas mesurable. Les investisseurs privilégiaient donc plutôt le gratuit. »

L’air du temps étant éphémère, le digital va rapidement prendre le pas. Et même si le magazine résiste pendant 8 ans, les deux dernières années sont compliquées, « pénibles », car trouver des partenariats et un modèle économique viable devient de plus en plus ardu. Rachid développera alors le street marketing, où comment utiliser la ville comme support de publicité. Le street marketing, c’est d’ailleurs une de ses marques de fabrique, puisque Rachid l’utilisera ensuite avant chaque sortie d’un nouveau roman.

Photo Camille Millerand

Après 8 ans de 5Styles, nouveaux questionnements : vers quoi aller, comment faire ?

« A cette époque, je regardais des créations originales sur Canal+, des séries qui me parlaient et qui ressemblaient à ce que je pouvais développer. Le scénario, c’est ce vers quoi je voulais aller. »

Qu’à cela ne tienne. Quand on vous disait que Rachid Santaki est l’incarnation du « Do it yourself », la suite le démontre une nouvelle fois.

« Pour avoir l’opportunité de devenir scénariste, j’ai décidé d’écrire des romans. C’est marrant parce qu’avant, lorsque des gens venaient me voir en me disant j’ai envie de faire ci ou ça, je leur répondais : lève toi le matin et fais ! C’est ce que j’ai fait moi aussi ! Mais j’ai vite compris que je devais me poser les bonnes questions, pour optimiser toute cette énergie déployée. »

Se poser les bonnes questions pour lui, c’est aussi savoir quoi et comment écrire. Et là, pour Rachid Santaki, l’enfant de Saint-Denis, la réponse est évidente. Après les cultures urbaines avec 5Styles, ce sera le polar avec sa ville en toile de fond.

« Dès mon premier roman, j’arrive dans le domaine de la littérature avec une langue et des codes qui me sont propres. Je ne cherche à singer personne, je prends la matière que j’ai, je crée mon truc, avec ce langage et cet environnement qui sont les miens. »

Son premier roman, Les anges s’habillent en caillera est préfacé par Oxmo Puccino et trouve très vite son public. Résultat, dès la première semaine, rupture de stock. « J’avais tellement travaillé en amont que ce succès ne m’a pas surpris. » Aucune prétention, dans cette remarque, juste le regard lucide et honnête de celui qui sait qu’en racontant Saint-Denis, avec son style, son imagination, il surprend, crée une nouvelle écriture et dépeint un univers singulier.

Alors qu’il pensait ne produire qu’un roman, Rachid Santaki ne cessera en réalité jamais d’écrire.  Pendant un an et demi, il va développer une série pour Canal,  Reverso, classée par le magazine Écran Total parmi les 5 séries les plus attendues de 2015. Il se verra aussi récompensé par leCNC( Centre National de la Cinématographie) pour La Boulette.

Dans l’univers de Rachid Santaki, tout s’imbrique. Si, pour arriver à écrire des scénarios, il écrit des romans, ses romans il les écrit comme des scénarios. Son style ? Le stylo comme une caméra. Finalement, rien d’étonnant à ce qu’une des séries qui l’ait le plus marqué soit The Wire, dont l’un des auteurs n’est autre que George Pelecanos, écrivain de polars américain qui lui aussi parle de sa ville natale.

Si pour Pelecanos, la toile de fond s’appelle Washington, pour Santaki c’est Saint-Denis. Une matière extrêmement riche, qui a façonné tout à la fois son parcours et ses livres. C’est la ville qui l’a vu grandir. Celle aussi qui l’a vu prendre son envol. Alors il y revient toujours. A travers ses romans, mais aussi à travers les dictées géantes qu’il a mises en place, et dont la dernière en date a rassemblé près de 1500 personnes au stade de France.

Photo Yann Mambert

Cette idée des dictées est née en 2013. Après la parution de Flic ou caillera dédié à Zied et Bouna, deux jeunes décédés dans un transformateur à Clichy-sous-Bois, Rachid Santaki est contacté par la ville pour lire une dictée. Avec un acteur associatif, qu’il rencontre à cette occasion, ils développent alors le concept et commencent par deux villes : Argenteuil et Saint-Denis. Alors qu’ils s’attendent à une participation de quelques dizaines de personnes, ce sont 250 participants qui se prêtent à l’exercice! Idem à Saint-Denis.

Avec son associé et leurs propres moyens, ils réitèrent l’expérience dans 10 villes de la région parisienne. Grâce à ce pari, les dictées évoluent et deviennent des prestations. Pour chaque rendez-vous, le même rituel : des chaises, des tables, des feuilles, des stylos et Rachid lisant un texte du 19ème.  Zola, Hugo, Baudelaire, Saint-Exupéry, Jules Verne

« Au fil des dictées, je me suis rendu compte que les gens étaient là pour se réconcilier avec l’exercice, ou le kiffer. C’était hyper puissant ! »

Le véritable déclencheur date 2016, lorsque la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la cohésion sociale les sollicite pour mettre en place l’Euro dictée. Un projet en 10 dates dont la finale réunit les 50 gagnants de chaque édition à Saint-Denis, le jour du lancement del’Euro de foot. Le projet bénéficie alors d’une enveloppe financière dédiée.

« J’ai réalisé que le rendez-vous était non seulement viable, mais qu’il pouvait aussi prendre une autre dimension. »

Il décide alors d’ouvrir la dictée à tous les endroits géographiques, à tous les publics. Son but ? Créer la plus grande dictée du monde au stade de France ! Il monte alors une nouvelle équipe et repart de zéro. Résultat : en 24 heures, les 1400 places ouvertes sont prises d’assaut !

« On a eu pratiquement 10 000 inscriptions, j’étais bluffé, d’autant que, malgré les 100 dictées déjà à mon actif et toutes les personnes rencontrées, j’avais décidé de ne solliciter personne ! »

Durant cette dictée, se croisent les jeunes, les seniors, les gens des quartiers, ceux de province, des centres-villes, les mamans, les sportifs, les scolaires, les chômeurs…

 » Après cet énorme succès, également rendu possible grâce aux 170 volontaires, bénévoles, souriants, accueillants, j’ai décidé de développer des dictées dans différents champs : événements sportifs, rendez-vous d’une ville, ou en co-production… je travaille actuellement sur cette idée avec des professionnels. Un projet de start-up est en cours.  »

Cette pièce du puzzle constitue la dernière à s’emboîter aux autres.

« Elle me manquait pour avoir une vue d’ensemble. Même si je vis de ma plume depuis 6 ans maintenant, c’est aussi une des réalités qui me permet de continuer à écrire des scénarios et des romans. Aujourd’hui, j’ai un champ et les outils pour construire et me projeter sur le long terme. Je peux mettre en pratique ma vision : je conserve un pied dans le quartier, mais je suis aussi entrepreneur, je construis les choses. J’interviens dans les établissements scolaires, les maisons d’arrêt, pour les associations, mais je reste un auteur. Du coup, j’ai une certaine « hauteur », tout en étant toujours à l’écoute des gens. »

Tout est lié, chez Rachid. Depuis qu’il l’a admis, plus rien ne l’arrête. Il vient d’écrire un nouvel ouvrage, pour partager sa trajectoire et son rapport aux mots. Il s’est aussi attelé à l’écriture d’un nouveau roman. Et puis, il  a décidé de se lancer dans la co-réalisation, histoire de concrétiser ses projets et de donner vie aux scénarios déjà prêts. Rendez-vous est d’ailleurs pris pour en parler, d’ici quelques mois, au moment de la cérémonie pour sa remise de médaille dans l’Ordre du mérite. Mais ça, c’est une autre histoire. Ou simplement sa suite.

Laurence Wurtz

(Photo de une: Aiman Saad-Ellaoui)

Pour en savoir encore un peu plus sur Rachid Santaki, c’est Ici

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