Leonard Cohen n’est pas mort. Il revient avec Thanks for The Dance. Mieux qu’un album magnifique, un superbe testament musical !
Un nouvel album de Leonard Cohen est toujours un événement. Certes, le chanteur canadien est mort en novembre 2016. Il n’empêche qu’il reste quelques morceaux enregistrés lors des sessions de You Want It Darker, dernier opus sorti quelques semaines avant sa disparition.
Au fil de ces neuf titres, Leonard Cohen fait une sorte de bilan de sa carrière, de sa vie. Le début de Happens To The Heart est une évidence. L’artiste frappe direct avec «I was always working steady/But I never called it art» («J’ai toujours travaillé régulièrement/ mais je n’ai jamais appelé ça de l’art»). Et pourtant… Leonard Cohen est plus qu’un artiste. C’est une légende. Ses morceaux ont été repris par les plus grands.
Il y a évidemment le sublime Hallelujah, repris divinement par Jeff Buckley qui s’est totalement approprié le morceau. Bird On The Wire a été repris par Johnny Cash, Suzanne par Nick Cave, Tower Of Song par The Jesus And Mary Chain, ou encore So Long, Marianne, par Suzanne Vega.
En France, Graeme Allwright a largement contribué à la renommée de Leonard Cohen. Il a repris bon nombre de ses morceaux et lui a même consacré un album entier au début des années 70 sur lequel figurent notamment les adpatations d’Avalanche, Suzanne, ou encore de Diamonds In The Mine.
Bizarrement, un des plus gros succès de Leonard Cohen chez nous restera sans doute First We Take Manhattan, en 1988. Le morceau, écrit par Cohen, fut d’abord enregistré en 1986 par l’Américaine Jennifer Warnes dans une version pop quelconque qui passera relativement inaperçue un peu partout. Le texte, assez grave, violent, et très politique, sur la fin de l’ère communiste, est transformé en quelque chose de léger et quasiment insignifiant. Cohen qualifiera même ce morceau de «chanson terroriste». Inutile de dire qu’on en est loin dans cette version.
Pour la petite histoire, Jennifer Warnes a aussi collaboré à plusieurs reprises avec Cohen et fait même les choeurs sur Thanks For The Dance. Elle est la chanteuse de l’insupportable (I’ve Had) The Time Of My Life, le duo de Dirty Dancing… Bref, deux ans plus tard, en 1988, l’auteur décide de reprendre First We Take Manhattan en version synth pop, quasiment euro dance et là… carton ! Leonard Cohen apparaît même dans la top 50 ! Un succès probablement dû au contraste de la musique, assez insipide, de choeurs qui frôlent le grotesque, et de la voix grave et sublime, véritable signe de reconnaissance de Leonard Cohen.
Cette voix, justement, est d’une force incroyable dans ce dernier opus. Difficile de résister lorsqu’il récite Listen To the Hummingbird, morceau emprunt d’une certaine émotion, presqu’une sorte d’adieu. Un texte qu’il avait lu lors d’une de ses dernières conférences de presse.
À l’écoute de Moving On ou d’It’s Torn, morceaux sur la perte d’un être cher, difficile de ne pas être ému. La perte d’un amour, thème récurrent dans l’oeuvre de Leonard Cohen. The Goal évoque, la vieillesse, la solitude, la déchéance. L’arrivée de la mort est proche. L’artiste, malade, la ressent. Il semble même la redouter. Dans Puppets, et sa musique très sombre, le canadien déclame un texte très politique. Là encore, c’est une constante au cours de sa carrière. Sa vision du monde, réaliste et terrible, fait froid dans le dos. «Des marionnettes allemandes ont brûlé les juifs / Les marionnettes juives n’ont pas choisi...» Un peu plus loin, il assène «Des marionnettes présidents commandent / Des troupes militaires marionnettes brûlent la terre…» C’est à la fois triste et effrayant. Plus qu’un auteur, l’artiste canadien était aussi un témoin des dérives de la société sur lesquelles il portait un regard sombre mais lucide.
La musique rend un vibrant hommage à Leonard Cohen. C’est logique lorsqu’on sait que c’est Adam Cohen, son fils également artiste, qui l’a majoritairement composée et qui a produit l’album. Pas d’instruments superflus. On va à l’essentiel. Sur Happens To The Heart, la guitare espagnole couplée au piano donne presqu’une impression de douleur.
Sur Thanks To The Dance, morceau qui parle des difficultés de la vie, la simplicité est de mise. Cette sorte de valse à trois temps est portée par une basse à la fois omniprésente et aérienne, sur laquelle viennent se superposer délicatement différents instruments comme le ukulélé ou le bugle. Adam Cohen voulait rendre hommage à son père. Pas un hommage larmoyant, ni décalé. Là, il s’agit de dignité, de beauté. La musique est au service de ses mots. Pas l’inverse. C’est encore plus évident à l’écoute de The Hills, chanson entièrement écrite et composée par Leonard Cohen. La musique est belle. Mais elle n’est qu’un prétexte. Un élément du décor pour mettre mettre en exergue des textes superbes.
Évidemment, cet ultime album de Leonard Cohen n’est pas emprunt de gaieté. C’est pas le genre de la maison, même si Cohen est un adepte de l’humour noir que l’on retrouve ici également.
Les neuf titres de Thanks For The Dance n’ont jamais été publiés. Ce sont des morceaux que le Canadien n’avait pas eu le temps de terminer. Son fils les a peaufinés dans un garage, près de la maison de son père. Il s’est entouré de pointures comme Daniel Lanois, Beck, ou Feist pour approcher la perfection.
L’album n’est pas qu’une réussite. Mieux, il est sans doute le plus bel hommage qu’un fils puisse rendre à son père. Émouvant et digne. Magnifique.
Laurent Borde
Leonard Cohen / Thanks For The Dance / Columbia records – Legacy Recordings