« 13 » ou le Voyage au Bout d’une Nuit

13 ou le Voyage au Bout d'une Nuit-Ouv-ParisBazaar-Marion

Adaptée du livre d’Erwan Larher, rescapé du Bataclan, par Pierre Azéma et Alex Metzinger, « 13 » est une pièce qui dépeint l’horreur, raconte l’après et dit la toute puissance de l’amour. À voir pour mieux vivre !

« Je suis tombé dessus par hasard. C’est le titre qui m’a interpelé dans une librairie : « Le livre que je ne voulais pas écrire » … En le lisant, je ne me suis absolument pas dit que ça pourrait faire un seul en scène, mais alors vraiment pas du tout… Par contre, c’est un bouquin qui m’a bouleversé… 

Arriver à parler autant d’amour, d’amitié, de fraternité, de solidarité en partant d’un point de départ qui est celui du Bataclan… C’était absolument sidérant de réussir ça. Et quand Pierre m’a soufflé l’idée, ça a été un grand oui. Tout de suite !« 

C’est comme ça que « 13 » est né. Un seul en scène avec une musicienne en live qui parce qu’il nous confronte en direct au pire comme au meilleur de l’humanité, ne nous laisse pas tout à fait les mêmes mais plus riches de l’avoir vu et d’en avoir partagé le souffle de vie.

13 ou le Voyage au Bout d'une Nuit-2-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Pierre Azema et Alex Metzinger cherchaient l’histoire qui leur fournirait la matière d’une pièce ensemble lorsque le livre d’Erwan Larher a donc croisé leur route. Livre inclassable autant qu’indispensable dans lequel la littérature raconte le réel comme rarement. Qui célèbre avec pudeur et sincérité l’amitié et la fraternité, le rock, l’humour et l’amour.

Le 13 novembre 2015, l’auteur assistait au concert des Eagles Death Of Metal. Comme tant d’autres, il s’est vu mourir. Blessé mais vivant, cette nuit que nul n’a oublié lui a inspiré ce sixième ouvrage, paru deux ans après, et unanimement salué pour la profonde et lumineuse humanité qui le sous-tend.

Disons-le, c’est avec la même intelligence que Pierre Azéma et Alex Metzinger, dans un dialogue constant avec l’auteur, l’ont porté sur scène.

On y rencontre un homme biberonné au rock’n’roll et à la littérature, aimé par sa famille, les femmes de sa vie et la fratrie qu’il s’est tricotée, pleine de copines et de copains, souvent des zigues hauts en couleur qu’on se surprend à chérir comme ses propres frérots. Ils le sauveront.

On y croise aussi des soignants et des soignantes qui ne pansent pas que les plaies ainsi qu’un chirurgien dont l’humour irrésistible aide à tenir le spleen à distance.

On est avec lui ce soir-là, au Bataclan. Et comme lui, on se souvient de tout. On est encore à l’hôpital avec lui, en proie comme lui à toutes ces questions.

Cette balle obscène, par exemple, qui est venue se loger entre ses fesses lui interdit de bander, mais pour combien de temps encore ? Pour toujours ? Est-ce qu’il pourra aimer et jouir comme avant ? Il a tellement à aimer encore. Et on partage sa joie quand au fil des jours, la vie reprend son cours, le désir aussi.

Ses proches lui demandent de parler, on le presse de témoigner. Il est écrivain, pourquoi ne se sert-il pas des mots pour dire aux autres, au reste du monde ce qu’il a vu, entendu et vécu ce vendredi-là ? Mais les mots, pour une fois, se dérobent. De toute façon, comment et pourquoi dire l’indicible ? Quel langage pour raconter l’horreur et l’effroi ? Il porte décidément bien son nom ce livre qu’il ne voulait d’abord pas écrire.

De ce texte riche de tous ses fragments, porté par toutes les voix qu’Erwan Larher a convoquées, même celles des terros à qui, sans rancune aucune, sans haine jamais, il a même l’élégance de prêter vie, Pierre Azéma et Alex Metzinger ont su magnifiquement restituer la vibrante musicalité. Se jouant, eux aussi, des écueils qu’un pareil récit n’allait pas manquer de semer en chemin.

13 ou le Voyage au Bout d'une Nuit-1-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« C’est un bouquin complètement éclaté… Erwan le dit lui-même, raconte le metteur en scène Pierre Azéma, ce livre est un objet littéraire, il n’y a pas de structure comme ça très définie, une structure en trois actes par exemple… Donc, tout de suite, on est partis sur un voyage, le voyage du héros. Et on a nourri les cases, les étapes de ce voyage avec les éléments d’Erwan…

Ça paraît simple dit comme ça (sourire), mais on y a passé une année quand même, huit heures par jour… C’était pendant le confinement, on travaillait chacun de notre côté avec Alex, on s’envoyait des petits bouts et on discutait en visio…

Ça nous a pris un an avant qu’on envoie la première version à Erwan… On devait aller le voir et c’est tombé le premier jour du confinement, donc on a dû annuler et trouver cette méthode de travail…

Sur la forme, poursuit Alex Metzingeril y avait aussi toute une dimension à prendre en compte qui est dans le bouquin… À un moment, Erwan se dit : « Je ne peux pas écrire à la première personne, je vais donc écrire en utilisant le « tu ». » 

Dans le livre, il y a donc ce jeu entre le « je » , le « tu » qui va redevenir « je » à la fin, comme un personnage qui se retrouve et qui arrive enfin à s’affirmer…

Ce qui pour nous a soulevé une interrogation : « Comment on va traiter cette dualité qui est essentielle dans l’histoire ? » On a donc eu cette idée d’avoir deux personnages. Le personnage d’Erwan et le personnage de l’écrivain, qui finissent par se retrouver au bout de l’épreuve.

Une fois le texte validé par Erwan, j’ai commencé à réfléchir à la mise en scène, ajoute Pierre, et l’idée s’est alors imposée assez naturellement… Si c’est un spectacle rock, il faut qu’il y ait de la musique et qu’on termine ce concert qui ne s’est jamais terminé !

Du coup, j’ai appelé Alex et je lui ai dit : « Écoute, ce n’est peut-être plus tout à fait un seul en scène (rires), peut-être que ce serait bien qu’il y ait une musicienne… Instantanément, ça a été une musicienne… Je n’en connaissais pas mais d’instinct, j’ai senti qu’il fallait que ce soit une nana… Et on a trouvé celle qu’il fallait, oula (sourire) ! Pauline Gardel qu’Alex avait déjà vue…

Oui, se souvient Alex, je l’avais découverte sur un plateau de théâtre, où elle accompagnait musicalement une pièce et j’ai eu un coup de coeur absolu pour cette nana ! Pour ce qu’elle dégage, elle a un côté très rock, une sensualité aussi… Pauline est un personnage à elle seule ! Et quand on l’a contactée pour le projet, ça a été un grand oui tout de suite !

Et c’est marrant parce que j’ai mis un peu de temps avant de comprendre que ce n’était plus un seul en scène, et d’accepter de faire de cette musique une partenaire… Aujourd’hui, j’entends Pauline jouer de la guitare, c’est une scène avec une comédienne qui me parle (sourire).

Après, ce qui nous a guidés, Pierre dans sa mise en scène, moi dans mon interprétation, c’est le respect dont parle Pierre, on ne peut pas tricher avec un texte comme celui-là, et l’empathie…

J’ai écouté beaucoup de témoignages, et à un moment donné, il y a cette phrase dans la pièce : « Tu ne ressens aucune culpabilité par rapport à ceux qui sont restés mais une profonde et violente empathie. » 

13 ou le Voyage au Bout d'une Nuit-3-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Le 13 novembre 2015, Pierre était sur scène, en banlieue, où il jouait Célimène et le Cardinal de Jacques Rampal. Il se souvient des textos qu’il a reçus en sortant. Il se souvient aussi d’avoir vu la police scientifique à pied d’oeuvre, et d’avoir dû lever les bras devant les militaires qui le pointaient de leurs fusils lorsqu’il est rentré chez lui. Il habite aujourd’hui encore à 50 mètres du Petit Cambodge.

Alex, lui, se souvient qu’il jouait aussi ce soir-là. Dans un théâtre du 8é. Une pièce qui racontait l’histoire d’un homme qui sortait de son coma en s’inventant une histoire d’amour.

Quant à Erwan Larher, le Bataclan lui aura fait rencontrer Loulou Robert, elle aussi romancière. Ils étaient tous les deux présents à la première de « 13 » il y a quelques soirs au Studio Hébertot. L’auteur s’est dit heureux et touché par la pièce que Pierre et Alex ont su faire de son récit.

L’une et l’autre nous rappellent que le dernier mot doit toujours revenir à l’amour. C’est l’amour qui a détourné la balle ce soir de novembre. C’est l’amour qui lui a offert de se relever et d’aimer encore.

Il a raison Erwan Larher. « L’amour autour, en donner, en recevoir, ça change tout. Ça change tout l’amour. »

O.D

13, Love is all you need, d’après Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Lahrer, mise en scène par Pierre Azéma, avec Alex Metzinger et la musique live de Pauline Gardel, une pièce à découvrir à l’espace Roseau Teinturiers à Avignon, jusqu’au 29 juillet !

 

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