Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot.
Michel Delassalle est un directeur odieux et sans compassion d’un pensionnat pour garçons à Saint-Cloud. Sa femme Christina, propriétaire du lieu, y enseigne. D’une santé cardiaque fragile, elle subit régulièrement les accès de colère tyrannique de Michel, lequel entretient une liaison avec Nicole Horner, une autre enseignante de l’école.
Résignée à vivre ce triangle amoureux, Christina tente d’adoucir les réactions brutales de son mari, aussi bien vis-à-vis d’elle que de sa maîtresse ou des enfants du pensionnat.
Nicole battue en privé et Christina humiliée publiquement par leur respectif amant et époux, nourrissent un ressentiment grandissant à son égard. Nicole suggère à Christina de l’assassiner et de se débarrasser de son corps dans la piscine du pensionnat.
Christina, effrayée, n’ose opposer de résistance à cette terrible suggestion.Toutes deux attirent Michel chez Nicole à Niort et lui tendent un guet-apens : Christina lui fait boire un somnifère à son insu et Nicole le noie dans sa baignoire.
Le corps est transporté jusqu’au pensionnat et jeté dans la piscine, afin de faire croire à un accident. Mais une fois la piscine vidée, le corps de Michel a disparu. Il demeure d’ailleurs introuvable, aussi bien au pensionnat qu’à la morgue, où Christina fait la rencontre d’Alfred Fichet, un commissaire à la retraite, détective privé à ses heures perdues.
Celui-ci, prêt à l’aider dans ses recherches, se rend au pensionnat et commence son enquête. Débutent alors d’étranges phénomènes qui laissent à penser que Michel hante le pensionnat de jour comme de nuit par des signes de présence de plus en plus évidents.
Nicole, effrayée, quitte précipitamment le pensionnat. Christina, alitée, fait venir un médecin car elle se sent devenir de plus en plus faible, paniquée à l’idée de la présence fantomatique de Michel dans les couloirs de l’école. Affaiblie, prise de remords, elle avoue son crime à l’ancien commissaire, qui l’écoute sans sourciller.
Mais ce soir-là, Christina observe de la lumière dans les pièces du pensionnat. Elle court à la recherche de Michel et le découvre, terrifiée, gisant dans sa propre baignoire, les yeux révulsés. Son cœur ne survivra pas à l’horrible découverte qui s’anime d’une vérité sans fard.
Mais c’est sans compter sur la présence discrète d’Alfred Fichet et sur son pragmatisme cartésien, lesquels donneront à ce terrifiant dénouement un rebondissement final inattendu.
Henri-Georges Clouzot brouille à dessein les pistes dans ce très beau film en noir et blanc, qui oscille entre le suspens et l’horreur. Le couple infernal des deux femmes, leur machiavélique tandem retient sans cesse notre attention, devant l’incongruité de leur situation.
L’épouse sentimentale et la maîtresse passionnée s’apportent un soutien mutuel face à la tyrannie de Michel, dorment dans le même lit et s’unissent dans un projet macabre pour faire disparaître l’objet de leur tourment.
Nicole est la tête froide et passionnée du couple, formidablement interprétée par une Simone Signoret au jeu très intériorisé. Véra Clouzot offre une fragilité, une émotivité sentimentale au rôle de l’épouse délaissée et humiliée, éprouvant ainsi d’intenses remords après l’assassinat de son mari. À l’emprise de Michel, se substitue celle de Nicole, dont elle ne peut se dégager, et dont elle se trouve elle-même ainsi piégée.
La relation ambiguë entre les deux femmes nous ferait presque oublier le défunt, incarné par un Paul Meurisse magistral de cruauté, qui pourtant revient sur le devant de la scène par surprise.
Non seulement son corps a disparu, mais tout porte à croire qu’il est bien vivant. Le costume porté le jour de sa mort revient du pressing fraîchement nettoyé. Sur la photo de classe effectuée par le photographe de l’école, le visage de Michel apparaît de manière inquiétante derrière une vitre. Sur la machine à écrire de son bureau, son nom et prénom sont écrits en différents caractères sur une feuille de papier.
Le surnaturel s’invite ainsi dans le regard du spectateur, comme pour signifier la culpabilité et le remords éprouvés par Christina. D’ailleurs, en avouant son crime auprès de l’ancien inspecteur, joué par l’excellent Charles Vanel, ne cherche-t-elle pas le rachat de sa conduite immorale ?
Nicole fuit le pensionnat et laisse Christina, très éprouvée moralement et physiquement, affronter sa victime, découverte au fond de sa baignoire. L’angoisse absolue de la situation la tue sur le champ.
Mais, là aussi, c’est sans compter sur la dextérité narrative du scénariste H.G. Clouzot, pour lequel la vérité est énigmatique et fractale. À la toute fin de l’histoire, nous comprenons avoir été abusé par notre sens visuel. Grâce à la fonction du champ scopique, le spectateur découvre qu’il est lui-même diaboliquement pris à son propre piège : celui de la certitude aveuglante du regard.
Totto Chan
Les Diaboliques est un film français réalisé par Henri-Georges Clouzot et sorti en 1955. Il est une adaptation libre du roman policier de Boileau-Narcejac, intitulé « Celle qui n’était plus » .
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !