À l’invitation de Paris Bazaar, des artistes racontent ici leurs vies sans vous et disent comment la pandémie a durablement affecté leur quotidien. Entre frustration, colère, angoisse et incompréhension, se dresse l’état des lieux d’un monde qui s’accroche pour ne pas sombrer.
©Romain Redler
En 2016, après avoir décroché une résidence au Grand Parquet de La Villette et une autre au CDN de Poitou-Charentes, je décide de trouver une production pour soutenir ce qui sera ma première mise en scène. Cette pièce, Le Suicidé de Nicolaï Erdman, me trotte dans la tête depuis une quinzaine d’années. Une comédie sociale, drôle et grinçante qui fait dangereusement écho à l’absurdité de notre société.
Après avoir réalisé une adaptation du texte original et trouvé un titre plus engageant pour ne pas effrayer les potentiels acheteurs, après une dizaine de lectures publiques, plus de soixante-dix heures de répétitions «bénévoles», quatre ans de travail et grâce au soutien de toute l’équipe, assistante à la mise en scène, comédiens, producteurs, scénographe, créateurs son, lumières, costumes, mon projet va enfin pouvoir exister.
Les résidences sont programmées ainsi que deux représentations au Théâtre de Gascogne-Mont-de-Marsan. La pièce se jouera au théâtre du Roi René en Avignon 2020. Le décor va être envoyé en construction dans quelques jours.
Nous sommes le 10 mars. Le 16 mars 2020 aura lieu la première répétition d’Un Héros.
Malheureusement, aucune répétition n’aura lieu le 16 mars 2020. Nous sommes confinés. Le projet est reporté à Avignon 2021.
Octobre 2020. Les comédiens attendent la signature de leurs contrats prévue en novembre. Notre producteur exécutif tient bon et continue de soutenir notre Héros malgré la situation plus qu’incertaine et les nombreuses annulations, reports de dates auxquels il doit faire face.
Mais quelques jours plus tard, lorsque notre gouvernement annonce la mise en place d’un couvre-feu avant de nous confiner une seconde fois, nous n’avons plus d’autre choix que de reporter une nouvelle fois le projet à l’année suivante.
Les théâtre ferment. Les tournées des autres spectacles sur lesquels je suis engagée en tant que comédienne s’annulent les unes après les autres. Je range mes brochures, quatre ans de travail sur un disque dur, en attendant un hypothétique report.
Depuis, comme tant d’autres artistes, j’attends, épuisée par cette succession de rendez-vous manqués.
Si on ne réouvre pas les salles de spectacles et si notre gouvernement continue de considérer la culture comme « non essentielle », je me demande quel producteur prendra le risque de se lancer dans une aventure comme Un Héros et sera en mesure d’assumer le coût que représente le montage d’une première mise-en-scène, non subventionnée, avec sept comédiens au plateau. Ne sera-t-il pas contraint de s’orienter vers la facilité et de minimiser ainsi la prise de risque ?
Si notre gouvernement s’obstine à nous empêcher d’exercer notre travail, nous courons, à mon sens, vers un appauvrissement de la culture. Cette situation tend à générer un manque d’exigence, un attrait pour des projets «faciles», des projets «vendeurs» qui rassurent des producteurs acculés par la situation dramatique que vit notre profession actuellement.
J’ai besoin de pouvoir rêver à nouveau, d’avoir la liberté de créer, d’exercer ce métier qui me passionne et me fait vivre depuis maintenant vingt ans. J’ai besoin de penser qu’il sera encore possible de croire en des projets ambitieux. Sinon, nous ne verrons dans nos salles de théâtre que du consensuel, du prémâché, de jolis spectacles dont on sort repus comme après un repas bien copieux mais qui n’auront en aucun cas bouleversé notre vison du monde et nos existences.
Pour ma part, c’est ce que je recherche plus que tout en allant au théâtre. Les émotions confortables, je les préfère devant mon écran avec un paquet de Granolas.
Julie Cavanna
Je m’appelle Johann Dionnet. Je suis acteur de théâtre essentiellement (enfin « non » essentiellement) mais aussi de cinéma. Je réalise également. Court-métrage, série, bientôt long-métrage. Comme beaucoup d’artistes, je multiplie mes moyens d’expression.
Cette nouvelle année entrait dans ma vie avec son lot de promesses : théâtre le soir dans une pièce de Mr Michalik, création théâtrale l’été en Avignon (oui, on dit « en Avignon »… je ne sais pas pourquoi), réalisation de mon film.
Mais peu de temps après avoir réveillonné avec amour, 2020 nous plante, j’imagine tel Dom Juan pour voguer vers d’autres mondes afin d’y pouvoir étendre ses conquêtes amoureuses.
Je me suis donc retrouvé, comme beaucoup de mes frères et sœurs, à tourner en rond dans mon 30m2.
Empli d’abord par le plaisir non coupable de ne rien faire. Comme la terre s’était arrêtée de tourner je n’étais pas obligé de passer mon temps à essayer de la rattraper.
Mais très vite, mon statut de non-essentiel a laissé la place à celui d’inutile. J’étais devenu inutile. Obsolète. Périmé… Je mourais à petit feu.
J’ai donc commencé à jouer tout seul chez moi, par instinct de survie. J’ai commencé à écrire des histoires, à les jouer devant ma camera et à les poster sur les réseaux.
Ces histoires ont été vues, commentées, parfois partagées. Elles ont crée du lien. Ce qui est l’essence même de la culture. Nous nous rencontrons grâce à elle. Et ce, tous les jours sans nous en rendre compte.
Pendant le confinement, de nombreux artistes ont partagé des vidéos, ont écrit des sketchs, des parodies, ont organisé des concerts dans leur salon, ont lu des textes, des pièces de théâtre, des poèmes. Et pour chaque action, l’humain a pu tisser des liens avec d’autres.
La question de savoir si la culture est essentielle ou non-essentielle est bien évidemment absurde. La culture se situe au-delà du nécessaire, elle est vitale. Et l’une des raisons principales, c’est qu’elle nous permet de créer des liens avec autrui.
L’homme seul est imparfait. Il faut qu’il trouve un second pour être heureux. Et c’est pas moi qui le dit, c’est Pascal. Le philosophe, pas le grand frère.
Je critiquerai plus la formule « essentielle » qu’autre chose. Parce qu’au-delà du discours philosophique, dans la pratique il y a un virus à neutraliser. Donc si la culture rassemble, il faut la stopper pour éviter la propagation du COVID. C’est comme ça que je traduis les mesures gouvernementales.
Mais dans ce cas, pourquoi laisser ouverts les grands magasins ou les grandes surfaces ? Sans parler des lieux de culte. Le tout bien évidemment dans un non-respect des mesures sanitaires, contrairement aux salles de théâtre soit-dit en passant.
Parce qu’il y a un virus à neutraliser et un pays à faire fonctionner. Parce qu’économiquement parlant, ce serait une catastrophe. Parce qu’il faut donc continuer à consommer, à vendre, à créer de la richesse.
Je n’ai pas toutes les clés en main pour critiquer l’action du gouvernement de manière objective et j’ose espérer qu’il agit au mieux font pour la sécurité de tous. Je me permettrais juste une remarque : ce serait une grave erreur de penser que la culture n’apporte pas de richesses, et ce serait une plus grave erreur encore de penser que nous pouvons créer une société sans elle.
Comme je suis un cœur d’artichaut, j’ai fêté 2021 avec autant d’amour et d’espoir que la dernière, mais à six personnes, et en espérant cette fois qu’elle ne nous fasse pas faux bon.
Si jamais tel était le cas, sachez que nous trouverions toujours une solution pour continuer à vous faire traverser des émotions. Car c’est dans nos veines. Car c’est dans notre culture.
Johann Dionnet
Mon Dieu, Julie tu m’as à nouveau émue… Tout en te lisant je me demandais comment pouvoir t’aider … Je suis de tout cœur avec toi, avec vous … ton métier, tout comme le mien, même si il est différent, sont les grands sacrifiés… Courage ma belle 🥰