La Bande Originale d’un Rock’ n’ Râleur : Cloclo, Démago et Désaccords

Cloclo-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !

Le p’tit blond avec une humeur noire

C’est le titre que j’avais trouvé pour un article dans l’Écho des Savanes pour les dix ans de l’anniversaire de la mort de Claude François. Fallait torcher un truc un peu caustique, un peu rebrousse-poil, dans l’esprit de l’Écho. Ça m’allait, je n’avais jamais été très fan de Cloclo. Je m’étais toujours demandé comment une voix pareille pouvait mettre les poils à quelqu’un. Un ongle qui crisse sur un tableau noir me faisait à peu près le même effet.

Je n’étais pas très cher payé pour écrire l’article mais je me suis dit qu’il me suffirait d’interroger trois ou quatre musicos qui avaient bossé avec lui pour qu’ils me balancent des anecdotes et le tour serait joué. Mais pas du tout. Personne n’a voulu baver sur le petit blond qui s’énervait quand il n’avait pas son hochet. Omerta sur toute la ligne autour de la star. On ne touche pas, on ne salit pas l’image.

C’était dingue, ma tournée de ceux qui l’avaient fréquenté professionnellement ou pas. Ils étaient tous frappés du syndrome de Stockholm.  « Oui mais tu comprends c’était un perfectionniste. Il était très exigeant alors forcément parfois il pétait plus ou moins les plombs. » « Quel genre ? » , je demandais. « Ben, il s’énervait… » « Mais encore ? »  « Ben, il fallait que tout roule… » Bon d’accord. Je savais que je n’obtiendrais rien. Personne ne voulait jacter. Ils se seraient sentis en lèse-majesté s’ils avaient balancé. 

Y’a que Willy Lewis, l’ex batteur des Chats Sauvages qui m’avait lâché deux trois anecdotes, dont une fois où il avait été obligé de s’enfermer dans les chiottes pour éviter la furia du magnolia for ever. Un truc dans un break de batterie qui lui avait déplu ou quelque chose comme ça. Willy l’avait accompagné et ne gardait pas un souvenir tendre de l’idole. S’il avait vraiment eu un marteau, il aurait pu gravement blesser quelqu’un.

Alors je me suis rabattu sur ma propre experience pour bien typer l’article et mériter mes 300 sacs. Avec mon groupe- dans lequel jouait Langolff, encore lui mais je ne m’en lasse pas- on avait fait la première partie de Cloclo à Oissel, un bled à côté de Rouen. Après avoir joué, Langolff et moi on va se poster en coulisses pour regarder le tour de chant du garçon. On était sur le côté de la scène, et de là on embrassait tout l’orchestre et toute la mise en scène. 

A un moment donné, pendant la coda d’un morceau, Cloclo se rue en coulisses de notre côté pour demander ses boots blanches à sa camériste, une femme qui nous paraissait vieille mais qui devait avoir à peine cinquante balais. Langolff et moi, on devait en avoir vingt-cinq. Cloclo claque des doigts parce que ça n’allait pas assez vite. La femme lui tend ses boots, il en enfile une. Mais elle avait mis trop de talc et ça lui éclabousse le bas de son beau pantalon noir. Et là, les yeux hagards et les mâchoires crispées, il cherche quelque chose. Il trouve : une punaise sur une affiche sur la porte de la loge… il la défait, demande sa main à la femme, mais pas pour l’épouser, et lui enfonce la punaise dans la paume. La femme fond en larmes, d’humiliation et de douleur. 

Avec Langolff on se regarde style « qu’est ce qu’on fait ? ». On était quand même deux bestiaux de 1.85m et 85 kg. En fait, on aurait bien corrigé le mal aimé. Mais il s’est rué sur scène avec son bénard noir talqué et ses boots blanches et on a consolé la femme. C’était un pis-aller. Elle aurait pu être notre mère. 

Je ne me suis pas fait que des amis quand l’article est sorti. En plus j’avais pré-dépensé mes 300 sacs en pots et restaus pour extorquer des infos que je n’ai jamais vraiment eues. Mauvaise expérience. Que je n’ai jamais renouvelée.

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Je suis comme toi !… Ah bon ?!

D’où vient cette propension démagogue de certains artistes à vouloir toujours dire à leur public : « Je suis comme vous, on est pareils. » Pour quoi faire? 

Ils croient que l’autre va acheter le disque parce qu’il va se dire : « Ah ouais je suis comme lui, il l’a dit. On a les mêmes aspirations, les mêmes rêves, la même façon de voir la vie…bon, je chante pas aussi bien et j’ai pas son pognon mais c’est vrai on se ressemble, c’est fou ! » Ils ne savent pas ces « artistes » que ces gens ont surtout besoin de se projeter sur un modèle, de se décramponner de leur grisaille, de s’imaginer célèbres et talentueux ? De s’imaginer over the rainbow ? Qu’est-ce qu’ils ont dans la tronche ? 

Je ne m’imagine pas écouter Lennon, Bob Dylan ou Michael Mc Donald et me dire que je suis comme eux, à quelques ajustements près. Non je ne suis pas comme eux. J’aurais bien voulu mais je ne le suis pas. C’est dingue, pourquoi vont-ils par là, vers cette basse démagogie en croyant ratisser large ?!

Faut-il être à côté de la plaque dans sa vie pour en arriver à raisonner comme ça. Ou pire, à penser que les acheteurs de CD potentiels vont mordre à l’hameçon du « On est pareils vous et moi, alors achetez mon album ! Comme ça, ce sera aussi le vôtre par bien des côtés… pas seulement pour les 25 euros. »

Ça me rappelle un vieux chanteur de variétés des années soixante. Il s’était dit un truc démago du même genre: « Je vais prendre des musiciens de 25 ans pour mes nouvelles chansons, comme ça je vais vendre aussi aux jeunes. »

Faut être bien con déjà pour se dire qu’un gamin va acheter une mélopée d’un autre âge, bêlée par un vieux cabot complètement dépassman parce que y’a des jeunots qui jouent derrière. C’est comme si je comptais me faire les plus belles nanas en mettant la casquette de Brad Pitt. 

Ah ! Y’en a de la chanson avec ce genre de main tendue : « Ne t’inquiète pas, je suis comme toi, tout va bien. Ne m’admire pas. Admire-toi plutôt, ça revient au même. » Ils ont vu ça bien marcher en politique, alors ils se sont dit : « Tiens, c’est pas mal ce truc de s’identifier au bon peuple du pouvoir d’achat ! On va aller par là… »

Oh non pas par là, pas par là… on a un peu mal au cul.

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Guitare, ne te désaccorde pas…

Dylan, encore lui !, disait dans sa bio, celle que je connais, que sa hantise sur scène était que sa guitare se désaccorde. C’était au temps bien-sûr où il n’y avait pas d’accordeurs « visuels ». Et je comprends Ô combien. Je ne vais pas dire « à mon humble niveau »,  parce que je suis un être humain qui joue de la guitare aussi, et que j’ai rendu des gens heureux comme ça. Aussi. Dans une autre culture et dans une autre gloire. Celle que je m’imaginais, petit garçon, devant la glace de l’armoire de ma chambre avec ma guitare-jouet. Donc d’humain à humain, je comprends Ô combien pourquoi il s’angoissait.

Quand on s’accompagne à la guitare on compte sur elle. Qu’on chante ou qu’on vanne. Et quand elle est désaccordée ça  s’entend et on devient fébrile parce qu’on ne peut plus se reposer sur elle. Elle vous a fait une crasse. Votre esprit est réquisitionné pour  la remettre dans le droit chemin. Le chemin de la justesse, de l ‘harmonie…

Idem avec un amour. Quand l’autre se désaccorde et que l’harmonie est rompue. Mon énergie part à rétablir la justesse et je deviens vulnérable aux sentiments délétères. Je ne me sens plus accompagné de l’autre. Elle me lâche. Alors il faut continuer à  vivre en la réaccordant tant bien que mal, entre deux, à l’arrache. Il faut rattraper le coup. Je ne peux plus vaquer à la vie puisque quelque chose sonne faux. Mon amour ne m’accorde plus de sourires, elle les a désaccordés. Elle est là, comme cette guitare entre mes bras, un objet de défiance, elle m’a trahi et je ne peux plus me reposer sur elle et rêver, rire, chanter. 

Oui Bob, tu as raison. C’est une lancinante appréhension que la guitare se désaccorde. Et c’est bizarre, ce n’est pas la rupture de la corde qu’on craint. En réalité, on ne l’envisage pas vraiment. Peut-être parce que, comme le dit Aragon dans Que serais-je sans toi,  « une corde brisée au doigt du guitariste n’est peut-être qu’un sanglot de la déconvenue… »

Francis Basset

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