Il y a vingt ans, sortait Des Visages, des Figures. Sixième et ultime album studio de Noir Désir. À redécouvrir !
Le temps n’est pas merveilleux, les infos ne sont pas merveilleuses, l’ambiance générale n’est pas merveilleuse. Et si on se faisait du bien en retournant dans le passé ?
Non pas que c’était mieux avant, pas forcément, mais c’était différent. On se faisait déjà plaisir en écoutant de la bonne musique. Pour preuve, l’album qui cartonnait en ce mois d’octobre 2001 n’était autre que Des Visages, Des Figures de Noir Désir.
Oui alors, quand on dit Noir Désir, on pense évidemment à Bertrand Cantat. Comme à chaque fois qu’on évoque le groupe, il faut dire qu’on condamne ce qu’il a fait en Lituanie mais qu’on ne renie absolument pas ce qu’il a fait avant, en tant qu’artiste. Voilà qui devait être dit. Et c’est sincère en plus !
Des Visages, Des Figures, donc. Ce sixième album de Noir Désir est passé assez inaperçu lors de sa sortie. Faut dire qu’il a eu la malchance de sortir le 11 septembre.
D’ailleurs, en réécoutant Le Grand Incendie, on se dit que Cantat, en écrivant les paroles, a dû avoir une vision. Lorsqu’il écrit « Y a l’feu partout, emergency/Babylone, Paris s’écroulent/New-york City, Iroquois qui déboulent/Maintenant, allez London, Delhi, Dallas dans l’show/Hommage à l’art pompier/T’entends les sirènes, elles/Sortent la grande échelle… »
Sur cet album hallucinant, il y a aussi Le Vent Nous Portera, sur lequel Manu Chao était venu s’amuser avec sa guitare pendant quasiment cinq minutes, alors qu’il était en pleine séance d’enregistrement dans le studio d’à côté. Les puristes ont pu dire qu’avec ce morceau, Noir Désir s’est un peu fourvoyé pour tenter de faire grimper les ventes de disques toujours plus haut. C’est pas faux. Mais ce n’est pas vrai non plus. Avec ce titre, Noir Désir a surtout montré qu’il faisait ce qu’il voulait, quand il voulait.
Il y a aussi Son Style 1, Noir Désir pur jus, qui aurait très bien pu figurer sur quelques albums précédents comme Du Ciment Sous Les Plaines ou sur Où Veux-Tu Qu’Je R’garde ?. Il y a encorei Son Style 2, plutôt planant et troublant. La voix éraillée de Cantat, accompagnée d’une guitare électro acoustique et d’un léger synthé, y est à la fois brillante et plaintive. Tout ce qu’il faut pour composer un bon morceau blues.
Le titre le plus déroutant est sans doute L’Appartement ou une sorte de ritournelle technoïde se mélangeant avec des guitares saturées, et de la clarinette. C’est à la fois hyper violent et hyper étrange. Une impression de fin du monde qui débarque dans vos pompes sans crier gare.
Et puis, il y a À L’Envers À L’Endroit, sublime et mélancolique, qui dépeint une sorte de désillusion permanente, où les inégalités sont tellement bien dépeintes et accompagnées par la guitare de Serge Teyssot-Gay. Une ambiance jazzy et légère pour un morceau extrêmement sombre où le désespoir règne en maître. Terriblement beau et efficace.
Dans la même veine, L’Enfant Roi se pose là. Un morceau émouvant sur lequel Cantat évoque la paternité tout en magnificence. Il suffit juste d’écouter ce morceau qui ouvre l’album pour se rappeler combien le leader de Noir Désir écrit bien.
Et lorsqu’on écoute Lost, on ne peut s’empêcher de repenser à ce qui s’est passé un soir à Vilnius. Comme si Cantat savait que son avenir allait s’assombrir. Le morceau aurait pu figurer sur Tostaky tant la rythmique est proche de celle de L’Homme Pressé. Là encore, l’efficacité est redoutable.
Il ne faut pas non plus oublier Des Armes. Un poème que Léo Ferré écrivit en 1968, juste après les événements de mai. Il fut d’abord intitulé Lamentations Devant La Porte De La Sorbonne, avant de prendre son titre initial. Le grand Léo n’eut malheureusement pas le temps de le mettre en musique, ce que Noir Désir fit pour lui rendre hommage plus de trente années plus tard.
Deux ovnis clôturent l’album. Bouquets De Nerfs et sa minute de silence à la fin. Et surtout L’Europe, morceau de 23 minutes, complètement barré, sur lequel se mélangent aussi bien de la batterie, du didjeridoo, que du kalimba, de la guitare, du synthétiseur, ou encore du kaval, sorte de flûte jouée notamment en Turquie et en Arménie. Le rock se mélange aux musiques traditionnelles des Balkans et ça sonne franchement.
Côté voix, ça part dans tous les sens. On se demande comment il pouvait en être autrement avec un duo Bertrand Cantat/ Brigitte Fontaine. C’est d’ailleurs cette dernière qui a écrit le texte, à la fois brutal et fou, du morceau. Simplement énorme !
Noir Désir est indéniablement un groupe qui a marqué l’histoire du rock français. Il n’était pas grand, il était immense. À le réécouter, on se dit que certains groupes actuels tentent de l’égaler. Faut-il s’en étonner ? Ils n’y sont pas encore arrivés.
Laurent Borde