Aujourd’hui, les plus belles pépites du comique ne sont plus au cinéma ou au théâtre. Il y a bien plus hilarant. Et c’est partout. C’est la pub. Aujourd’hui, l’affiche de Guyane, saison 2, la série d’aventures diffusée sur Canal+.
Que voit-on ? Tout un tas de trucs ! Des types armés, des filles – mais en petit – une pirogue, une jeep, un hélico tip top, une explosion de toute beauté, un serpent apparemment peu aimable et de la jungle, certifiée bio, donc hostile.
1. « Ça va être trépidant ! La preuve : vous verrez un hélicoptère » : c’est le message. Et pour nous convaincre tout à fait – au cas où nous serions gagnés par un vague soupçon de publicité mensongère – Canal nous le montre cet hélico. Il est bien là : «c’est pas un mytho mec !»
Et après ? Ce n’est le premier hélico for the first time on screen, pas vrai ? Il n’a pas l’air de parler, comme le bolide de K 2000, ni de faire des trucs de ouf : arrêter des gangsters, par exemple, à l’instar de la légendaire Coccinelle. Non, il vole. C’est tout.
« Mais keskifoulà alors ? » me direz-vous, en négligeant sérieusement l’orthographe ? Il nous dit : « les potes, va y avoir du sport. Et zéro scène relou, genre balade au musée, partie de belotte, fille qui pleure, etc. »
C’est un label, à la manière de ces étiquettes – « Elevé en Poitou », «Sans OGM », « Commerce équitable » – fièrement apposées dans les rayons de Monop’. L’hélicoptère, c’est LA garantie que ça-va-barder-bordel ! OK, bon, why not ? Sauf que le « code hélico » – appelons-le ainsi – truste les affiches de films action/aventures, depuis des décennies : de Fantômas à Jumanji en passant par James Bond. La preuve :
Du coup, en 2018, sur l’affiche de ce Guyane, saison 2, notre hélicoptère a l’air plus ringard qu’ex-tra-or-di-nai-re : soit l’inverse de l’effet voulu. Ce qui produit invariablement… du comique !
Pourtant, à priori, il n’est pas si délirant ce « code hélico ». Depuis son premier vol, en 1907*, l’appareil ne s’est en effet jamais démocratisé. Il en circule tout juste 50 000 sur la planète (contre 1 milliard de voitures !). Et pour cause : l’heure de vol revient à 500 euros, les frais d’assurance sont exorbitants. Et passer son permis de pilote, coûte en moyenne… 70 000 euros !
In real life donc, le « cocoptère », comme dirait mon neveu, reste extra-or-di-nai-re. Accessoire onéreux d’une élite pressée, Il n’appartient pas au quotidien du spectateur lambda.
Alors – je vois venir votre question – pourquoi c’est total bolos d’en avoir mis un sur l’affiche ?
Parce que Guyane ne se déroule pas in real life – où l’appareil reste rare – MAIS in the movies, où l’image de l’hélico, recyclée à toutes les sauces, s’est banalisée, puis ringardisée, au point de devenir outdated.
2. Au rayon « codes visuels », la créa de Canal a cédé à une autre facilité : l’explosion. Là, c’est le « label badaboum » : l’assurance que dans cette histoire 1) L’ambiance est grave vénère 2) Les enjeux sont high level, niveau questions-de-vie-ou-de-mort : on ne se contente pas de renverser les chaises ou de s’envoyer la vaisselle à la figure. 3) On fait sauter tout plein de trucs. Et pas des petits trucs, genre… poubelle de jardin ou terrier de lapin.
Sous-entendu : « tu vas rester scotché à ton canap’ ».
Or, sans être exégète, sans avoir retourné la Cinémathèque, vous savez comme moi, que le « label badaboum » est plus usé, vu et revu, ressassé encore que le « label hélico ». Faites l’expérience : saisissez « affiches film explosion » sur Google. Résultat : des centaines de réponses. Celles-ci par exemple :
C’est à se demander comment un graphiste peut-il encore coller une explosion sur une affiche sans se dire « Mais WTF ! Qu’est-ce qui m’arrive ? Je suis en train de faire de la m**** ! »
3. Vous avez remarqué ? L’essentiel de l’affiche est occupé par 4 hommes. Autrement dit : c’est une série de « burnés », de gars qui en ont. Les nanas, c’est sympa mais… derrière. Le personnage féminin le plus visible est d’ailleurs… 3 fois plus petit que le duo masculin au premier plan !
Bien sûr, ce choix délibéré de reléguer les dames en background, ne préjuge pas de leur importance réelle dans la série. Elles en ont, on s’en doute, sans quoi les péripéties de ces gugusses en quête d’or dans les bois (bon, ok, la jungle) seraient bien mornes.
La question n’est pas là. Cette « mise en scène » – c’est le mot – nous intéresse surtout parce qu’elle dit la manière dont Guyane veut être perçue, ce que les équipes marketing de Canal ont jugé payants de mettre en avant : un univers viril, par définition plus brut, plus violent, plus propice aux coups d’éclat, à la fureur. TRADUCTION : de l’action. Pas de « gnagnagna ». Pas d’ennui.
Et par la force des chose, le positionnement féministe, pro-diversité, de la chaîne… passe hop, à la trappe ! Car si les filles font tapisserie, notez que c’est un black qui joue les méchants… et que les Indiens sont carrément logés tout au fond du visuel, au format timbre postes. Bref, juste une petite touche autochtone pour confirmer que Guyane n’est pas tourné au Jardin d’Acclimatation.
N’y voyons pas malice. Mais plutôt les effets pervers d’un marketing à ce point soucieux de toucher sa cible (l’abonné mec) et d’étoffer l’image de la chaîne («Tu vois man, nous aussi, on sait faire dans l’aventure exotico-trépidante »)…
… Que personne ne semble s’être interrogé : « Dis-donc, elle n’est pas un peu vieux jeu là notre affiche ? », «Tu crois pas qu’elle fait vaguement néocolonial : héros blancs. Méchant black. Femmes au second plan. Autochtones décoratifs ? »
4. Cette curieuse absence de recul – et d’imagination – est encore perceptible avec l’inflation d’armes au cm2. Le flingue, le gun, la pétoire – tous modèles et toutes marques confondus – étant le clicheton le plus répété, le plus assommant de l’histoire de l’affiche de cinéma. Loin devant l’explosion.
5. A ce stade, on a envie de dire : « arrête, t’es lourd là ! J’ai bien compris que Guyane ne racontait pas les chastes amours d’une retraitée suisse et d’un moine tibétain, lors d’un séjour en montagne ».
6. Mais le sommet du cocasse est atteint avec ce serpent ! « Oh Oh, qu’est-ce que ça fait peur dis-donc, c’est dingue : j’ose pas regarder l’affiche ». Fou rire garanti ! A ce stade, on conseillerait même à la créa d’ajouter une tarentule, des piranhas, des fourmis rouges…
Pourquoi pas ? Tant Guyane reprend à son compte, tous les gimmicks promos du cinéma d’aventures. A commencer par celui-ci : en mettre le maximum sur l’affiche. Tant qu’il reste de la place ! Et oui, ça coûte, donc pas de chichis : pour récupérer ses billes, attirer le chaland, on colle TOUT en vitrine**. Faut rater personne. D’où le côté : « Regarde les chouettes trucs qu’on t’as mis ! T’as vu un peu ? »
C’en est presque touchant. Car Guyane, avec ce visuel, ressemble étrangement à ces filles trop maquillées, trop apprêtées, par peur de louper leur date, de déplaire.
Et finalement, pour une fois, Canal+ pouvait en faire moins.
Olivier Ghis
*Vol de quelques secondes, à 1,5 m du sol, réalisé à Lisieux par le Français Paul Cornu, autodidacte génial et inventeur touche à tout. Il mettra notamment au point un vélo à moteur, un tricycle à vapeur, un régulateur de température pour couveuse (!) ou encore une voiturette ultralégère… avant de s’intéresser à l’aviation et au décollage vertical.
** On comprend mieux comment, presque mécaniquement, la pression, l’impératif du retour sur investissement ont imposé cette tradition d’affiche « j’en-mets-plein-la-vue ». Vous noterez qu’à l’inverse, le polar, les romances, les westerns, etc., moins soumis à cette contrainte, ont développé une école d’accroches, de teasing, de visuels plus allusifs, poétiques ou intrigants : construits sur une image, une ambiance… Ce qui laisse au spectateur assez d’espace pour imaginer son film, avoir le plaisir de le rêver… avant de le voir.