Psychologue, psychanalyste, Caroline propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, La Ciociara de Vittorio De Sica.
À Rome, en 1943, les bombardements de l’armée alliée font rage et terrorisent la population. Cesira, une jeune veuve d’origine modeste, s’inquiète pour sa jeune fille Rosetta, âgée de 12 ans, à la santé fragile. Elle décide de quitter son épicerie et de rejoindre sa province natale, plus au sud de Rome, afin de trouver refuge avec sa fille.
Elle confie donc les clefs de son magasin à Giovanni, un ami de son mari, lui-même très attiré par la beauté sensuelle de la jeune femme. Mais ses caresses ne la retiennent pas. La Ciociara fuit la capitale et se retrouve avec sa fille sur les routes, échappant aux fusillades des avions qui quadrillent le ciel.
L’arrivée au village semble la rassurer, en dépit des milices fascistes menaçantes à la recherche des déserteurs. Cesira est accueillie par des proches parents et fait la rencontre de Michel, un enseignant pacifiste, sympathisant communiste. Sa gentillesse envers Rosetta la touche, même si ses discours idéalistes la désorientent un peu. Une attirance réciproque naît entre eux.
Pourtant, la seule préoccupation de Cesira, comme tous les réfugiés de ce village de montagne, est de manger à sa faim. Les chansons et les rires des villageois l’aident à contenir son inquiétude et à s’occuper de sa fille.
Les Alliés ont libéré le territoire. Cesira décide de revenir sur Rome avec Rosetta, d’autant que son seul soutien affectif, Michel, a été pris en otage par des soldats allemands en fuite. Le retour est bien plus compliqué encore.
Les bombardements ont dévasté les villages et certaines troupes alliées, dont le corps expéditionnaire français, sèment la panique auprès des villageois par des viols et des pillages. Cesira et Rosetta, alors qu’elles cherchaient un peu d’ombre et de repos dans une église dévastée, subissent toutes les deux un terrible viol par des soldats nord-africains enrôlés par l’Armée française.
Traumatisées, les deux femmes sont prises en charge par un auto-stoppeur, qui invite ensuite l’adolescente, totalement choquée, à le suivre la nuit suivante. Cesira, ayant constaté sa fugue, est folle de désespoir. Le retour de Rosetta, au petit matin, ne la calme pas : elle comprend que sa fille a perdu son innocence. Seule l’annonce de la mort de Michel permet à Rosetta de sortir de sa sidération traumatique et de se blottir en larmes dans les bras de sa mère éplorée.
Vittorio De Sica signe dans ce très beau Noir et Blanc une œuvre dramatique historique, inspirée de faits réels qui marquèrent profondément l’Italie. Mais au-delà de la grande histoire du pays, le réalisateur nous donne à voir le destin d’une paysanne, la ciociara, exilée à Rome et mariée à un homme plus âgé qu’elle pour tenter de survivre à la pauvreté rurale.
Sophia Loren, seulement âgée de 25 ans au moment du tournage, incarne merveilleusement cette femme du peuple, au grand rire simple et généreux, prodiguant à sa fille soins et attentions exclusifs. Mais cette mère de famille n’a pas pour autant renoncé à sa féminité et à ses besoins affectifs.
La relation avec Michel témoigne de son désir de femme amoureuse sans perdre son indépendance. Incarné par Jean-Paul Belmondo, à contre-emploi dans ce rôle d’intellectuel pacifiste, Cesira est troublée par cet homme qui s’intéresse avec authenticité à elle et à sa fille. Cesira se laisse émouvoir et peut-être pour la première découvre un amour chaste, sans relation de domination.
Hélas, cette quête d’autonomie sera chèrement payée. Ses choix la conduisent à ne pas poursuivre sa route avec un petit groupe de réfugiés et à reprendre son chemin seule avec sa fille, vers Rome. C’est sur ce trajet qu’elle fait la rencontre d’un petit groupe de soldats qui la violent, elle et sa fille. La honte, la rage et le désespoir ne fléchissent pas Cesira dans sa volonté de rentrer chez elle au plus vite, afin de protéger sa fille.
Rosetta, jouée par une Eleonora Brown très convaincante, malgré sa jeunesse, n’est plus tout-à-fait une enfant : le traumatisme a marqué son corps à jamais. Désormais, un indicible réel sépare la mère et la fille, autrefois complices. Pour survivre à la souffrance, Rosetta se jette dans les bras du premier venu et refuse l’autorité de sa mère.
L’annonce de la mort de Michel les rapproche à nouveau, car il était l’homme désiré des deux femmes. Le pacifisme de Michel réunira ainsi dans un dernier élan d’amour posthume la mère et la fille, unies dans la douleur mais à nouveau vivantes pour affronter leurs blessures.
Caroline Mehallel
La Ciociara ou La Paysanne aux Pieds Nus est un film franco-italien, réalisé par Vittorio De Sica et sorti sur les écrans en 1960. Le film, adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, remporte le prix du Golden Globe du meilleur film étranger en 1962, et Sophia Loren l’Oscar de la meilleure actrice la même année.
Lire Caroline est un bonheur. L’écouter est une joie !