Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet.
L’histoire. Max, inspecteur de police, incarné par un Michel Piccoli magnétique, n’a qu’une seule obsession : arrêter les malfaiteurs en flagrant délit afin de pouvoir les mettre sous les verrous.
Après deux échecs successifs qui le laissent furieux et amer, Max rencontre Abel, un ancien camarade de régiment, devenu « ferrailleur », voleur à la petite semaine, de ferrailles sur les chantiers.
Alors que Max omet volontairement son identité, l’idée s’insinue en lui, pendant leur conversation, de séduire sa compagne, Lily, afin de lui transmettre des informations secrètes. Ce stratagème doit inciter Abel et ses comparses, à commettre un hold-up et à les surprendre en flagrant délit.
C’est ainsi que Max aborde Lily, une jeune prostituée d’origine allemande, rieuse, solaire, incarnée par une troublante Romy Schneider. Il se fait passer pour un client et lui « apprend » qu’il est directeur d’une petite agence bancaire, qu’il reçoit des fonds importants à intervalles réguliers.
Si leur relation tarifée n’est pas consommée, un jeu subtil de séduction se noue entre Max et Lily. Lily découvre chez un homme l’absence de demande charnelle. Ses grands faux cils, son fard à paupières outrancier, ses robes moulantes et sexy ne font pas d’effet sur cet homme solitaire, aux allures froides, mais qui sait l’observer et l’écouter.
Lily, aimée par le bruyant Abel qui passe plus de temps avec ses comparses qu’avec elle, est intriguée par cet homme silencieux, aux drôles de manies. Elle prend peu à peu du plaisir à leurs rencontres régulières, faites de discussions et de petits riens de la vie ordinaire.
Un jour, Lily transmet naïvement les informations d’un important transfert d’argent à Abel, interprété par Bernard Fresson. Ce dernier et sa bande tombent dans le piège, qui tourne mal. Ils sont arrêtés par la police, sauf un complice, qui tombe sous les balles.
Une enquête est ouverte sur la personne de Lily, à l’origine de la transmission des informations sur ce transfert d’argent. Max refuse que Lily soit inquiétée et préfère se sacrifier par un geste désespéré.
Max et les Ferrailleurs est une troublante romance qui n’est pas sans rappeler Un Cœur en Hiver, film réalisé vingt ans plus tard par Claude Sautet. La question de la rencontre manquée entre un homme froid, solitaire et une femme aux charmes singuliers, est au cœur de la problématique de ces deux films.
Ils donnent à la femme une place de choix, celle d’un être qui touche à la quintessence de la féminité, grâce au regard qu’un homme pose sur elle, homme le plus souvent torturé, manipulateur et secrètement amoureux.
Leur incommunicabilité est manifeste, mais leur attirance est d’une nature autre que sexuelle, c’est-à-dire d’une nature désirante, qui se situe dans les interstices du langage, dans un corps-à-corps distancié mais sensuellement présent.
Au moment où Lily réalise que Max n’est pas un banquier mais un flic, elle n’est déjà plus tout à fait la même femme. Ses faux cils ont disparu, ainsi que son fard à paupières. Elle a quitté ses robes moulantes, est habillée d’un jean et d’un pull-over ordinaires.
Désormais, son rire fait place à des pleurs d’une immense humanité, lorsqu’elle apprend la trahison de Max, qui s’est servi d’elle pour influencer Abel à commettre un hold-up. Lily ressent la réalité de ses émotions, elle renaît enfin à elle-même dans une authenticité poignante de ses sentiments.
Si Max, en dépit ou grâce à ses silences, et à son abstinence sexuelle envers Lily, a réussi à la rendre aimable à elle-même, il est lui aussi tombé amoureux de cette femme à la beauté singulière, sous l’emprise d’un milieu d’hommes indifférents et brutaux.
Son dernier échange de regards avec Lily, au moment où Max rejoint la prison, sera le plus bel hommage d’amour rendu par le grand loup solitaire à la prostituée, femme profonde, vivante et qu’il a désirée libre. Au prix du sacrifice de sa propre liberté.
Totto Chan
Max et les Ferrailleurs, d’après le roman éponyme de Claude Néron, réalisé par Claude Sautet, sorti en 1971.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !