Psychologue, psychanalyste, Caroline propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Une Journée Particulière de Ettore Scola.
Le jour blafard se lève sur une cour intérieure d’un grand immeuble gris sans charme. Les drapeaux nazi et mussolinien sont hissés silencieusement sur les balcons.
En ce 6 mai 1938, les habitants de Rome s’apprêtent à vivre une journée de fête. Le Duce va accueillir Hitler par des défilés de l’armée et des chants patriotiques et, pour rien au monde, les Romains ne veulent rater cette cérémonie en grande pompe.
Antonietta Tiberi, mère de 6 enfants, ne peut se joindre à la fête. Elle doit s’occuper des tâches domestiques du foyer, alors que son mari et ses enfants regagnent la liesse populaire.
Harassée par les corvées, elle débarrasse les verres et les bols du petit déjeuner, prise d’une immense lassitude. Son petit mainate l’accompagne dans la grisaille de cette journée qui s’annonce rythmée par les chants du poste de radio de la concierge.
Mais c’est sans compter sur le désir du petit volatile de fuir l’appartement encombré et en désordre. Profitant d’une négligence de la mère de famille, le voilà juché au-dessus de la fenêtre du voisin d’en-face. Antonietta, paniquée, n’hésite pas à frapper chez celui-ci pour chercher l’oiseau récalcitrant.
Gabriele, un journaliste de la radio, d’abord surpris, aide Antonietta à le récupérer. Rapidement, il devient curieux et cherche à savoir qui est cette mère de famille, encore belle mais tristement vêtue d’une robe sans charme et de bas troués.
Gabriele découvre ainsi l’appartement d’Antonietta, son mode de vie et ses croyances conformes aux attentes du régime fasciste. Peu à peu se tisse au cours des heures de la journée une relation singulière entre ces deux êtres que tout sépare, mais réunis par le besoin de partager leur solitude.
Antonietta n’a pas été à l’école très longtemps, et n’aspire à rien d’autre qu’à être une bonne épouse et une bonne mère. Gabriele semble être aux abois, il cache un lourd secret qu’il contient difficilement.
Il finit par avouer douloureusement à sa voisine son penchant homosexuel et les menaces qui pèsent sur sa liberté. Antonietta est déjà sous le charme de cet homme doux, aux aspirations anti-fascistes. Elle se donne à lui sans aucun remords.
Le soir tombant, chacun regagne son appartement. Antonietta accueille son mari et ses enfants avec un autre regard. Elle n’est plus tout à fait présente à son rôle de mère de famille. Son cœur bat au rythme d’une nouvelle aventure de femme amoureuse, revenue à une toute autre réalité.
Dans la soirée, alors que dorment ses enfants, Antonietta se refuse à son mari qui voulait fêter le fascisme triomphant en lui faisant un septième enfant. Elle commence la lecture du roman que Gabriele, l’homme de lettres, lui a donné.
Alors que son regard se pose sur les premières lignes, elle lève les yeux sur la scène la plus triste de sa vie : Gabriele est arrêté par la police, et prêt à être déporté pour ses mœurs contraires aux lois fascistes.
Ettore Scola écrit, avec ses co-scénaristes Ruggero Maccari et Maurizio Costanzo, non seulement une magnifique et singulière histoire d’amour, mais aussi un pamphlet politique qui dénonce la soumission du peuple italien à l’idéologie fasciste.
Tourné dans un beau coloris sépia, le film met en valeur le superbe duo Sophia Lauren et Marcello Mastroianni, réuni une fois de plus à l’écran dans un huis-clos qui respecte, à l’instar d’une pièce de théâtre, les unités d’action, de temps et de lieu.
En effet, ce drame psychologique se déroule principalement dans l’appartement d’Antonietta, et durera seulement quelques heures. Le temps pour ces deux êtres esseulés de se découvrir, avec pudeur et délicatesse.
Gabriele est un homme désespéré, conscient d’avoir peu d’heures libres devant lui. Il se sait recherché et hésite à se suicider. Mais l’apparition d’Antonietta va tout changer.
Est-ce sa candeur, sa fraîcheur, malgré les années de soumission docile à un mari brutal, qui touche cet homme cultivé et ami des femmes ? Est-ce ce corps sensuel qu’il devine sous la robe délavée, et cette mèche de cheveux qui lui rappelle peut-être sa mère, cette femme vénérée, indépendante et cultivée ?
Si Gabriele met à nu son cœur d’homme auprès de cette femme du peuple, sans autre culture que celle du parti fasciste, c’est parce qu’il se sent écouté et aimé d’un amour sans condition, dans un monde d’inquiétante étrangeté et de surveillance oppressive que le chant patriotique tonitruant, retransmis à la radio, ne cesse de rappeler.
Antonietta découvre de son côté un homme qui n’hésite pas à lui manifester de l’intérêt, malgré sa condition modeste d’épouse délaissée, à la faire rire et à aimer sa beauté d’âme, son intelligence.
Cette rencontre amoureuse, dépliée en quelques heures, changera profondément et intensément le regard de Gabriele et d’Antonietta sur leur vie, leur donnant à chacun le courage d’affronter leurs épreuves.
Caroline Mehallel
Une Journée Particulière (Una Giornata Particolare) est un film italo-canadien réalisé par Ettore Scola et sorti en 1977.
Lire Caroline est un bonheur. L’écouter est une joie !
Vous retrouvez Caroline sur sa chaîne Youtube, ici !
Ainsi qu’au Ciné-Klub du cinéma Jeanne d’Arc de Senlis !