Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, l’Aventure de Madame Muir de Joseph L. Mankiewicz.
Au début du XXième siècle, en Angleterre, Lucy Muir, une jeune et très jolie veuve, au caractère bien trempé, décide de quitter la maison de sa belle-famille pour vivre en bord de mer. Elle tombe sous le charme d’un ravissant cottage meublé, et le loue contre l’avis de son loueur. Elle s’y installe avec sa petite fille Anna et sa servante Martha. Un soir, elle découvre la présence énigmatique du propriétaire de la maison, un hôte décédé qui hante les lieux.
Cet ancien capitaine de Marine, du nom de Daniel Gregg, au tempérament un peu revêche et au port altier, n’a pas l’intention de partager sa maison et souhaite son départ au plus vite. Lucy ne cède pas à l’intimidation du capitaine et s’impose dans la maison qu’elle s’est choisie.
Daniel accepte cette cohabitation, amusé par la détermination de cette femme courageuse à habiter les lieux. Peu à peu, la confrontation devient une douce cohabitation, l’un et l’autre apprenant à se connaître.
Une mauvaise nouvelle vient malheureusement gâcher le projet de Lucy. Elle ne peut plus compter sur les actions de son défunt mari en bourse pour sa rente. Daniel suggère alors de lui dicter ses mémoires de marin, qu’elle publiera sous son nom à elle. Les longues heures de travail les rapprochent tendrement, Lucy découvrant la personnalité cachée de Daniel, un homme au caractère entier mais sensible.
En portant le manuscrit achevé auprès d’un éditeur, Lucy fait la connaissance d’un écrivain d’histoires pour enfants, Miles Fairley. Lucy est rapidement courtisée par ce séducteur impénitent, et succombe à son charme.
D’abord jaloux de leur relation, Daniel prend la décision de quitter définitivement la maison, pour ne plus être un obstacle à la vie amoureuse de Lucy. Las ! La jeune femme découvre que Miles est marié, père de deux enfants et n’est pas à son premier coup d’essai.
Cruellement déçue, Lucy abandonne tout espoir de vie à deux et continue sa vie de recluse au cottage, accompagnée de sa fidèle et bien-aimée servante. Le succès de son livre lui permet d’être propriétaire de la maison.
Les années passent, blanchissent ses beaux cheveux. Un soir, Lucy est particulièrement lasse. Elle contemple longuement la mer de son balcon puis s’allonge sur son fauteuil. La mort la surprend : Daniel est venu la chercher, il lui tend les mains, qu’elle accueille avec le sourire de ses jeunes années.
L’Aventure de Madame Muir est une romance, filmée dans un beau noir et blanc, d’une rare qualité poétique. Ce film est considéré comme un des chefs-d’oeuvre du cinéma hollywoodien d’après-guerre.
Joseph Leo Mankiewicz, cinéaste-scénariste, a écrit lui-même les dialogues, très nombreux et savoureux par leur humour caustique. Réalisateur d‘Eve (1950) et de La Comtesse aux Pieds Nus (1954), Joseph L. Mankiewicz brosse dans ce film le premier portrait d’une série de femmes fortes, déterminées.
Incarnée par la sublime Gene Tierney, Lucy, en acceptant un célibat hors norme, dans un cottage isolé, avec pour seul paysage la ligne d’horizon du ciel épousant la mer et ses tourments, fait fi du qu’en dira-t-on, et n’hésite pas à louer une maison qui lui plaît.
Si le fantôme Gregg, joué par un Rex Harrisson impressionnant, accepte sa présence à ses côtés, c’est parce qu’elle n’a pas peur de lui. Et s’il lui donne à écrire ses mémoires, c’est dans un esprit de collaboration amicale, franche et amusée. Le livre fera d’elle une femme riche et indépendante, soucieuse d’être en harmonie avec ses sentiments, plutôt que de céder aux normes de l’époque.
Même si Lucy se laisse abuser par son confrère Miles, joué à merveille par Georges Sanders, elle n’en reste pas moins lucide, fidèle à elle-même, et à ses valeurs. Le capitaine Daniel Gregg a-t-il d’ailleurs réellement existé ? Est-ce lui qui lui a dicté ses mémoires ? N’a-t-elle pas tout inventé, en amoureuse d’un absolu romantique, afin d’échapper au réel fade et sans âme d’une femme enchaînée aux obligations conjugales ?
Joseph Mankiewicz nous livre ses pensées en demi-teinte sur le sort des femmes. Anna, la petite fille de Lucy, jouée par la très jeune Natalie Wood, qui a côtoyé le fantôme enfant, sans jamais en avoir parlé à sa mère, a grandi et se destine à un mariage traditionnel.
Elle ne marchera donc pas dans les pas de sa mère. Anna ne sera pas le phare qui éclaire les marins, perdus au large dans une mer déchaînée, tandis que sa mère, arrachée brutalement à la vie, retrouve le grand amour de ses rêves.
Totto Chan
L’Aventure de Madame Muir (The Ghost and Mrs Muir) est un film américain de Joseph Leo Mankiewicz, sorti en 1947.
À voir et à revoir en ce moment à la Filmothèque du Quartier Latin, à Paris.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !