Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, L’Avventura de Michelangelo Antonioni.
À Rome, Anna vient dire au revoir à son père, car elle part faire une croisière au large des Iles Eoliennes, avec son fiancé et ses amis. L’entrevue avec son père est glaciale.
Ancien diplomate à la retraite, celui-ci déplore que sa fille ait peu de temps à lui consacrer, préférant sa liaison avec Sandro. Par ailleurs, il désapprouve ce lien avec cet architecte, dont il juge le comportement léger et inconséquent. Anna en est irritée et le quitte, fâchée. Sa meilleure amie Claudia la rejoint et elles vont, ensemble, jusqu’au domicile de Sandro. Anna hésite devant la porte de son immeuble. Il s’était absenté depuis un mois, sans raison. Alors qu’il paraît à la fenêtre, Anna gagne son appartement et se donne à lui sans un mot. Claudia trompe son attente en visitant une galerie de peinture.
Sur le yacht, Anna, Sandro et Claudia tentent de s’occuper, en compagnie de leurs riches amis oisifs. Les Iles Eoliennes sont majestueuses et impressionnantes. La petite équipe finit par faire escale sur l’île déserte et rocailleuse de Lisca Bianca. Les passagers se dispersent sur l’île, tandis qu’Anna se retire avec Sandro. Leurs échanges deviennent rapidement amers et conflictuels.
Anna affirme que son comportement a changé à son égard, mais celui-ci est incapable de lui donner une raison. Anna s’éloigne, en colère. Au moment de quitter l’île, les amis s’aperçoivent qu’Anna a disparu. Claudia, affolée, désire mener les recherches avec Sandro. La disparition de son amie devient inquiétante et des recherches s’organisent sur l’île avec la police maritime et le père d’Anna. Celle-ci reste introuvable.
S’est-elle noyée en chutant ? Ou bien a-t-elle fui sur un autre bateau qui aurait accosté en silence ?
Alors que les recherches de la police cessent du fait de la nuit tombée, Claudia et Sandro décident de rester sur l’île. Sandro est troublé par Claudia, mais une tempête se lève et les surprend. Le lendemain, en arpentant vainement l’île, Sandro tente de se rapprocher de Claudia. Confuse, Claudia résiste à Sandro, toujours dans l’espoir de retrouver son amie.
Alors que les recherches continuent de s’organiser en Sicile, Sandro devient plus insistant et dérobe un baiser à Claudia. Il cherche constamment à la revoir, malgré sa réticence. Elle finit par céder à ses avances, à mesure que s’éloigne la possibilité de revoir la disparue. Ils deviennent amants. Bouleversée, Claudia est amoureuse et Sandro la demande en mariage. Au cours de leurs recherches, ils descendent dans un palace, où ils retrouvent leurs riches amis. Une fête s’organise mais Claudia, tombant de sommeil, préfère s’endormir dans sa chambre et laisse Sandro aller seul à la réception.
Au petit matin, Claudia s’aperçoit qu’il n’est pas dans sa chambre et le cherche dans les salles vides du palace. Elle le surprend faisant l’amour avec une prostituée, allongé avec elle sur un canapé inconfortable. Claudia s’enfuit en larmes dans les rues de la ville, jusqu’à une place où Sandro vient la rejoindre, à quelques mètres d’elle, en pleurs. Alors que le soleil se lève sur le mont Etna, Claudia hésite un instant et s’approche de lui, caressant doucement sa nuque.
Dans ce très beau film en noir et blanc, Michelangelo Antonioni, cinéaste du réalisme intérieur et des tourments amoureux du couple moderne, nous livre un pur chef-d’oeuvre mélancolique et sensible. Rompant avec le style italien néo-réaliste, le réalisateur offre un film lent, contemplatif, aux dialogues rares et à la musique quasi inexistante. Les images, de toute beauté, se substituent aux paroles, et se concentrent en plans serrés sur les visages, ou en plans larges sur les lieux naturels, vides et hostiles de l’île de Lisca Bianca ou sur les monuments architecturaux écrasants des villes siciliennes.
Monica Vitti, sublime de sincérité, incarne Claudia, le personnage secondaire qui deviendra le personnage principal. Tandis que la jeune Lea Massari qui joue Anna sera finalement la disparue, celle qui est recherchée, que l’on n’oublie pas, mais qui s’efface littéralement, au profit d’un couple nouveau.
En effet, la recherche de son amie pousse Claudia, à son corps défendant, dans les bras de Sandro, incarné par Gabriele Ferzetti, homme médiocre, qui ne sera pas à la hauteur de ses sentiments.
Claudia, jeune fille pudique, n’est pas seulement la maîtresse de Sandro, mais elle devient aussi une femme amoureuse, dans le désir d’abandon auprès de son amant. Celui-ci, initialement préoccupé par la recherche de la disparue, ne semble pas voir la transformation féminine de son amante. Il ne perçoit pas non plus l’inquiétude de Claudia à l’idée de la possible réapparition d’Anna, crainte après avoir été désirée.
La présence/absence d’Anna scelle cet amour d’une impossible tranquillité et d’un remords indicible pour Claudia. Pourtant, c’est à ce prix que ses sentiments pour Sandro peuvent exister et continuer à vivre. L’absence d’Anna fait tiers, adoucit la passion des débuts et permet, paradoxalement, à son amour d’advenir.
Sandro, à l’inverse, ne semble ressentir aucune culpabilité. Comblé par l’objet de son désir, Sandro fuit à nouveau dans une nouvelle aventure, qui restera sans lendemain. Claudia, pétrifiée, découvre l’inconsistance du comportement de Sandro, capable de trahison après sa demande en mariage, et pourtant, elle ne parvient pas à le quitter.
Est-ce par pitié, par désir de pardonner cet homme pleurant humblement sur un banc, ou est-ce un geste de tendresse pour l’homme qu’elle a aimé et qu’elle aime encore ? Elle, qui s’était montrée si exigeante sur la profondeur de leur amour, se sent désemparée, mais sa main caresse la nuque de cet homme, jusqu’à plonger dans ses cheveux. L’infidélité de Sandro a sans doute détruit son extase amoureuse, mais elle ne peut l’abandonner à son triste sort.
Dans cette désespérance, leur avenir est incertain. Si les pleurs de Sandro semblent sincères, saura-t-il réellement accéder à ses véritables sentiments ? Saura-t-il faire une place à la disparue, afin que son amour pour Claudia puisse naître, enfin?
Totto Chan
L’Avventura est un film franco-italien de Michelangelo Antonioni, et premier volet d’une variation sur le même thème (La Nuit, 1961 et L’Eclipse, 1962). Il reçoit à Cannes le Prix Spécial du Jury le 15 mai 1960, pour son langage cinématographique novateur, précurseur du cinéma moderne.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !