Co-fondateur et directeur général du groupe Evok Hotels Collection, Emmanuel Sauvage propose une autre approche du luxe. Ses hôtels sont autant de romans à chaque fois singuliers qui s’écrivent autour de l’histoire de Paris. Rencontre avec un artisan de la parenthèse raffinée.
Le Nolinski entre l’Opéra et le Louvre, le Brach non loin du Trocadéro avec vue sur la Tour Eiffel, le Sinner dans le Marais et plus récemment la Cour des Vosges dans le vénérable hôtel de Montbrun de l’historique place royale, en cinq ans, ces hôtels sont venus bousculer à Paris un monde dont on pensait les codes immuables, celui du luxe.
Quatre lieux qui rompent avec la pompe parfois surannée de certaines vieilles enseignes et le bling bling affiché d’autres établissements plus récents. Des hôtels à la hauteur de leurs cinq étoiles qui assument totalement leur luxe, où séjournent celles et ceux qui en ont les grands moyens, mais sans l’arrogance intimidante de l’ostentatoire. Et ça change tout.
Chacun d’entre eux est la pièce unique et exclusive d’une même collection, celle qu’a imaginé le groupe Evok qui s’est offert les regards et les savoir-faire de Phlippe Starck pour le Brach, Jean-Louis Deniot pour le Nolinski, Tristan Auer pour le Sinner, Lecoadic et Scotto pour la Cour des Vosges. Chacune de ces maisons, à la manière d’un roman, raconte aujourd’hui une histoire qui lui est propre et qui s’est écrite en s’inspirant des battements de coeur du quartier de Paris où elle est venue se loger. C’est de cette façon qu’Evok a su se démarquer et affirmer sa signature.
« Il y a chez nous une âme commune mais chacun est différent et développe son univers, raconte Emmanuel Sauvage, en fait, c‘est le quartier qui fait le lieu. Parce que si vous pensez l’hôtel dans le mauvais endroit, la rencontre des univers ne se fera pas et ce sera ridicule… On n’imagine pas le « Sinner » dans le 16é arrondissement ni inversement le « Brach » dans le Marais.
Et s’il faut s’inspirer de la vie alentour, il faut aussi savoir s’inspirer du monde global et avoir beaucoup voyagé, avoir connu beaucoup d’autres hôtels. C’est très important et c’est ce qui permet de retravailler le savoir-vivre à la française. Il obéit à des codes classiques qui forcément doivent évoluer et on essaye de les faire évoluer.
Les gens qui ont de l’argent sont aujourd’hui très différents de ceux qui en avaient hier. Longtemps, ils avaient, disons, un certain âge. Aujourd’hui vous croisez des startuppers qui ont fait fortune en revendant leur boîte à 35 ans ! Ils ont des parcours et des pays d’origine très différents… la clientèle en vingt ans a donc considérablement évolué, il faut lui proposer autre chose et lui parler autrement… C’est pour ça qu’on a eu l’idée de faire des styles de vie, de styles de luxe différents dans nos hôtels.
Et le savoir-vivre à la française, je pense qu’il est étroitement lié à l’histoire de France, tout simplement. J’ai à ce sujet une anecdote. Je suis allé il n’y pas très longtemps aux État-Unis, à New-York, où j’ai fait la tournée des hôtels. Et j’en ai parlé il y a quelques jours avec Philippe Starck. Il me demandait ce que j’avais trouvé de beau. Je lui ai dit : « Mais rien ! Il n’y a pas d’histoire (sourire) ! » Ils font tout pour vieillir les lieux mais c’est du faux, c’est de la fausse patine… Il faut même faire attention où tu mets la main, tu risques de te retrouver avec du vernis style patine sur les doigts (rires) !
Nous, en France, on a une histoire. On n’a donc pas besoin de s’en inventer une. On a cette tradition, on a ces codes, cette base. Il faut ensuite se sortir de ce qui a pu devenir aussi un carcan, s’inspirer de l’international et parier sur la mixité de l’ancien et de l’actuel… Un exemple, une femme dans l’hôtellerie traditionnelle doit avoir les cheveux attachés en chignon, bon. Mais parfois, elle est beaucoup plus belle avec les cheveux libres. Autant qu’elle soit mise en valeur et qu’elle se sente plus à l’aise, plus libre… Plus elle est heureuse dans son travail, plus le client sera heureux aussi… Souvent, c’est surjoué. Or, je crois à l’élégance du naturel. »
L’histoire d’Evok Hotels, Emmanuel Sauvage aime le souligner, est celle d’un trio. Et elle a commencé à s’écrire opportunément au moment où une autre était parvenue à sa conclusion. Le jeune directeur qu’il était déjà officiait alors au Burgundy, un cinq étoiles du 1er arrondissement parisien dont il avait fait l’ouverture, et il se sentait arrivé à la fin d’un cycle.
« Ça commençait à devenir un peu tendu et je me souviens que le jour même où j’ai eu le sentiment d’être à la fin de quelque chose avec le Burgundy, on m’a appelé : « Bonjour, j’ai entendu parler de vous. Je souhaiterais vous rencontrer pour créer un groupe hôtelier. » C’était Romain Izerman, il gérait le Family Office de Pierre Bastid (industriel français devenu milliardaire après la vente de sa société Converteam à Général Electrics en 2011-ndlr). J’ai dit : « Mais oui, bien sûr (sourire)… » Je trouvais ça fou. Mais on s’est rencontrés. Et plus l’histoire s’achevait au Burgundy, plus on s’est rapprochés… jusqu’au jour (rire) où on s’est rapprochés définitivement (sourire)… C’est comme ça qu’est né Evok Hotels. C’est arrivé pile au bon moment.
Et on travaille très bien ensemble, tous les trois. On se complète, chacun est à sa place. C’est d’ailleurs grâce à cette facilité dans nos rapports qu’on arrive à faire tout ça. Et c’est grâce à la liberté d’action que Pierre Bastid nous donne qu’on peut se concentrer sur l’essentiel. C’est très important. Parce que vous avez parfois des investisseurs que vous devez rassurer deux heures par jour et qu’évidemment ça vous empêche de mettre votre énergie là où il faut, en l’occurence au développement des hôtels de votre groupe. Chez nous, chacun est libre dans son domaine de compétence, dans son propre champ d’action. Chacun sait ce qu’il a à faire et du coup, on n’a pas de pression inutile au mauvais endroit. »
L’hôtellerie de luxe, Emmanuel Sauvage s’y est fait aujourd’hui un nom qui compte. Mais à l’origine, il envisageait un autre parcours et se voyait plus volontiers près des fourneaux.
« Tout petit, je voulais faire de la cuisine. À partir de la seconde, j’ai donc fait une école hôtelière. C’était hyper-intéressant parce que j’ai pu aborder absolument tous les métiers de l’hôtellerie, le service, la salle, l’hébergement, faire les lits (sourire)… et j’ai compris que je n’étais vraiment pas bon en cuisine (sourire), j’en ai pourtant fait pendant quatre ans !
Mais bon, j’en ai gardé des souvenirs formidables. On passait de la théorie à la pratique. On rencontrait des grands professionnels qui avaient eu des carrières extraordinaires et qui avaient décidé de transmettre à leur tour. Je me souviens de ce prof qui avait été chef sur le paquebot France. Des gens aux parcours magnifiques… Et j’ai été bercé par leurs histoires… (silence)… Oui, j’ai passé des années extrêmement enrichissantes et absolument merveilleuses. Et puis, dans les dernières années, je me suis orienté vers la gestion hôtelière.
Ensuite, j’ai commencé ma carrière dans l’hôtellerie. En prenant tous les échelons. Même si vous sortez bac+5, vous faites de toute façon réceptionniste à moins de deux mille euros par mois. Quel que soit votre bagage, ce sont des métiers d’expérience. Et c’est grâce à la base que vous allez acquérir au fur et à mesure que vous progresserez. On peut d’ailleurs évoluer très vite. C’est un métier où tout bouge toujours très vite. C’est même encore l’un des rares métiers où sans avoir jamais fait ça de ta vie, tu peux passer en six mois de commis de salle à chef de rang si tu as une forte capacité de travail et une grande envie.
C’est en quelque sorte ce qui m’est arrivé. Dans l’hôtellerie, c’est allé très vite puisque j’ai eu mon premier poste de direction à 24 ans, j’ai fait ma première ouverture d’hôtel à 27 et ma grosse ouverture à 33… et toujours à Paris, je n’ai jamais voulu partir à l’étranger. En plus, j’ai un anglais complètement pou… pardon, très… approximatif (sourire). Aujourd’hui, j’aime beaucoup l’hôtellerie mais je reviens à ce qui était mon métier d’origine, c’est à dire la restauration. Parce qu’il faut être énergique, il faut aller vite…
C’est d’ailleurs ce que j’aime beaucoup dans ce métier, ces contrastes. Vous avez des équipes très différentes. À la restauration, vous avez des petits phénomènes, très vifs, ultra énergiques, un peu fous fous. À l’hébergement, ça ne bouge pas, c’est carré. Au spa, c’est calme, zen. Au sport, ce sont des sportifs, des coachs, ça se regarde les muscles (sourire)… C’est ce qui est très agréable pour moi, c’est d’avoir toute cette mixité de métiers, avec des caractères et des personnes très différentes. C’est agréable et très intéressant. »
De son enfance à Châteauroux, Emmanuel Sauvage a su garder le sens et le goût d’une certaine simplicité. S’il est bien conscient d’évoluer dans un univers où l’ordinaire des uns nourrit le fantasme des autres, il ne se perd pas à envier la vitrine. Il ne se voyait d’ailleurs tout simplement pas vivre et travailler dans le monde du luxe, lequel ne l’intimide pas plus qu’il ne le fait rêver. Ses respirations, il les prend aujourd’hui à Collioure plutôt qu’à Saint-Tropez. Et dans un monde de plus en plus globalisé, où les boutiques, les marques et les hôtels étoilés sont partout semblables, il savoure particulièrement d’apporter avec Evok Hotels une touche de singularité. Ses maisons, au fond, sont comme lui. Elles ne manquent ni de charme, ni de caractère.
O.D