Dans l’Isba de Boris : « C’est toi, Demis ? »

Dans l'Isba de Boris-C'est toi, Demis ?-Ouv-ParisBazaar-Bergman

Londonien et Parisien, il est auteur, acteur et parolier. Il est l’homme aux mille chansons. Il s’appelle Boris Bergman. Et souvent, il se souvient… Aujourd’hui, de Demis Roussos quand il chantait Rain and Tears.

– « C’est toi, Demis ?

– Non, Borissou , c’est Vangelis… Je te rappelle plus tard, je suis chez la petite cousine de la pythie de Delphes. Elle devrait me brancher avec le Demis dans l’après-midi. On ne peut pas le déranger pour l’instant. Il fait des vocalises avec une des dames de compagnie d’Athéna. Ça va prendre du temps… La communication n’est jamais très bonne. Le responsable de communication de l’Olympe est en grève et son remplaçant n’est pas à la hauteur… Catalaves ?

– Vangelis, tu t’souviens ?

– Comment pourrais je oublier, Pousti mou… Ça a été le début de tout pour tout… »

Les trois ours ont laissé le porridge sur le feu. Ils entrent en file indienne dans le studio d’enregistrement du Bd Auguste Blanqui,  slalomant habilement entre les marteaux-piqueurs et les pyramides de gravats.

Les 3 ours préparent la trève musicale dans un décor de guerre.

Dans l'Isba de Boris-C'est toi, Demis ?-Trio-ParisBazaar-Bergman

Lucas Sidéras a installé sa batterie en moins de temps qu’il n’en faut à  son voisin pour avaler un souvlaki XXL…
Le voisin s’appelle Artémios Ventouris Roussos. Il caresse la basse qu’il a sorti du flightcase en peau de dromadaire, garanti d’origine. Évangélos Odysseas Papathanassiou dévisse le tabouret à tourniquet qui lui permettra d’être à la hauteur de ce qui ressemble étrangement à un guide de chant mais qui n’en est pas un.

Je demande (car je suis aussi là) : « Où est l’orchestre ? » Et celui que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Vangelis dirige son index vers le « guide de chant ».

Flashbackons…

La veille, Frédéric Leibovitz, jeune éditeur, m’a appelé chez Esther Bergman (ma maman) :

– « Tu n’as pas oublié ton anglais ?

– Impossible, je m’endors avec Buddy Holly et me réveille avec Gene Vincent… je sais ce n’est pas Byron ou Shelley mais…

– J’ai un groupe qui arrive de Grèce. ils n’ont pas encore le H2 visa qui…

– Le H2 visa ?

– Le visa qui permet aux performers étrangers de se produire au Royaume-Uni.

– Écoute, j’ai le OK de Mercury Londres pour leur enregistrer un 45 tours. J’ai besoin d’un texte anglais… Tu peux venir demain au bureau… à 10 heures ?… Je sais c’est loin et c’est tôt mais…

– Je dirais même plus mon cher Dupont : c’est tôt et c’est loin…

– Amène-toi… Je fournis le papier et l’encre… »

9 heures 55. Petite pluie sur le métro aérien. La femme qui a collé sa joue contre la vitre ne saura jamais qu’elle va être a l’origine d’un texte écrit à la hâte dans le bureau d’un éditeur chez Philips, qui ne s’appelle pas encore Universal.

Le soleil met en valeur les gouttes de pluie sur la vitre du wagon. On dirait que la jolie brune pleure gentiment., Je descends à la prochaine.

Le vilain nuage gris anthracite en remet une couche. Il pleut de plus belle. J’men fous. J’ai mon vieux Burberry d’origine. Je croise le cigare qui dépasse du Stetson de Jean-Pierre Melville. Il a sur le nez les aviator dont je rêve depuis que les ai vues sur le nez d’Errol Flynn… les studios de Melville sont à 100 mètres de la maison Philips.

Frédéric L me présente Evangelos P.
Ce dernier nous joue sa variation du canon de Pachelbel sur le piano désaccordé.
On me tend la bande magnétique de l’enregistrement. Frédéric L m’enferme dans son bureau : je n’en ressortirai qu’une fois le texte écrit et validé.
Le bureau du jeune éditeur est à peine plus grand que les gogues de ma chambre de bonne. On ne peut qu’entrouvrir « la » fenêtre. La morgue de l’hôpital est juste en face et les héritiers endeuillés ne supportent plus d’entendre Cloclo couiner Belle, Belle, Belle lors du transport du cher défunt.

Il faut que je sorte de là. Je revois le visage de la jolie brune (dont je trouverai plus tard qu’elle ressemble étrangement à Carlos Sotomayor…). La chanson s’appellera Rain and Tears.
J‘appelle Frédéric L qui ne me fait aucune confiance.

Je dois glisser le texte sous la porte. J’entends de l’autre pièce Vangelis le vérifier sur ce qui fut un piano.

Quelques tasses de thé plus tard, nous nous retrouvons devant le studio.

Le petit ours gréco-égyptien pose sa voix sur les accords de Vangélis. Il faut quelquefois demander au gentil serbo-croate de ne plus faire de bruit. La rythmique n’est pas seulement celle Lucas S. Elle est aussi celle de l’hypodermique marteau-piqueur des costauds qui shootent le plancher de ce qui n’est déjà plus le studio B du Bd Auguste Blanqui

La journée fut longue. La sortie du disque ne prendra qu’une semaine. Sa pochette rouge avec la tête des 3 oursons m’atterrit dans les mains au réveil : le 13 mai 1968.
J’aurai heureusement le loisir de chuchoter à l’oreille de Daniel Cohn-Bendit que Rain and Tears fut lancé avec le premier pavé.

Dans l'Isba de Boris-C'est toi, Demis ?-Cover-ParisBazaar-Bergman

À l’heure ou je me souviens…

Lucas Sidéras fait de la gym à Athènes…
Vangelis saute de Chariots de Feu en Blade Runner...

Je l’ai revu au Max Linder pour l’avant-première du film de Roman Polanski, Lune de Fiel dont il avait fait la zique…

– « Alors Boris… Bôris ? » (« Tu peux » en grec, plaisanterie préférée de Vangelis à mon égard)

Dans une alcôve reculée de l’Olympe, Demis, fidèle à lui-même essaye de convaincre Junon que Zeus n’est pas fait pour elle. Il lui fredonne un chant qu’il a appris à l’église byzantine d’Alexandrie. Sa méthode a fonctionné en bas, et Artémios Ventouris Roussos ne voit pas pourquoi elle ne fonctionnerait pas en haut.

Boris Bergman

One thought on “Dans l’Isba de Boris : « C’est toi, Demis ? »

  1. Si la pluie disparaît après avoir été absorbée par le sol et « reniflée » par le soleil, il est des larmes qui persistent malgré l’évaporation du temps !

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