Jean-Christophe Grangé : nos Terreurs font son Bonheur

Jean-Christophe Grangé-Ouv-ParisBazaar-Marion

Il écrit des romans passionnants depuis 25 ans et c’est en racontant des histoires terrifiantes qu’il a trouvé son équilibre. Jean-Christophe Grangé flirte avec ses démons et danse avec le Diable.

Il a l’allure d’un bon père de famille, le sourire charmant de l’homme paisible et les sourcils de Faust. Trop libre pour pactiser avec qui que ce soit, c’est plutôt à un pas de deux que Jean-Christophe Grangé semble avoir consenti. Avec le Diable et à peu près toutes ses créatures, depuis plus de vingt ans qu’il les glisse dans ses romans.

Du Vol des Cigognes en 1994 à la Dernière Chasse en avril dernier, l’auteur a multiplié les crimes les plus abominables, ourdi les plus noirs complots, réveillé nos instincts barbares, blanchi nos nuits et collectionné les best-sellers. Quand on songe qu’il aurait pu se borner à aimer Proust ! Qu’aurait d’ailleurs pu dire de son oeuvre au rouge le si doux et si fragile Marcel ?? On en sourit rien que d’y penser. Longtemps, Grangé ne s’est pas couché de bonne heure et ce sont les grands reportages, autant d’aventures, aux cotés notamment du photographe Pierre Perrin, qui ont décidé de son chemin.

« Avant, j’étais un intellectuel sédentaire, toujours en bibliothèque et puis alors très centré sur la littérature en tant qu’objet de lecture. J’avais un gros défaut du point de vue de ma connaissance du monde, je n’avais pas voyagé ! Par chance, j’ai rencontré des photographes qui m’ont emmené avec eux et qui m’ont permis de faire le tour du monde. 

Au même moment, j’ai découvert le roman policier. En voyageant, en prenant l’avion souvent, j’ai commencé à lire ces romans que j’avais longtemps méprisés, parce que moi j’étais dans Marcel Proust (sourire). Et j’ai découvert, avec James Ellroy, Raymond Chandler ou Martin Cruz Smith et son Gorki Park par exemple, que ces romans étaient très bien écrits et bien plus intéressants que la littérature classique qui est une grande littérature mais dont on regarde les livres souvent au coin de la page pour savoir où on en est, parce que bon… (sourire).

Là, tout d’un coup, je dévorais ces bouquins qui avaient toujours une histoire très solide et j’ai eu envie de faire la même chose. Parallèlement, par ma vie professionnelle, j’avais la matière. Quand je faisais ces reportages, j’étais free-lance, j’avais donc le devoir de trouver des sujets inédits. Donc, je passais ma vie à faire des reportages sur des sujets peu connus, dangereux, lointains… qui m’ont fourni ensuite une matière extraordinaire pour planter mon décor et trouver les arguments de mes propres histoires qui évidemment n’avaient rien à voir avec le néo-polar.

Aujourd’hui encore, 25 ans après, c’est toujours ma ligne : essayer d’étonner le lecteur ! On parle toujours du suspens mais le moteur du suspens, c’est l’étonnement, la surprise.

Ça peut venir d’un coup de théâtre bien sûr, mais je suis resté journaliste et j’aime quand ça vient d’histoires qu’on ne connaît pas sur tel ou tel domaine, là aussi ça peut être surprenant… J’aime quand les lecteurs me disent qu’ils ont été surpris par des éléments du réel que j’ai glissés comme ça.

J’aime quand un récit que j’ai construit, soit par l’histoire qu’il raconte, soit par le milieu que je décris, vous fait tourner la page. »

Jean-Christophe Grangé-1-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Il a le souci de l’info juste et le sens du détail qui rendrait le réel presque irréel, Jean-Christophe Grangé. Singulièrement à l’oeuvre d’ailleurs dans la Terre des Morts, son avant-dernier roman, où le lecteur est invité à se dissoudre dans un monde de perversions sexuelles délirantes, qui ferait passer n’importe quel film X, même ceux de Damiano, pour une aimable bluette.

On n’oubliera pas de sitôt le commandant Corso, ce flic au passé ultra-violent et au delà du tourmenté, revenu d’une terre que même les dieux auraient désertée. Mais chut… qui lira saura. Et pâlira jusqu’au petit matin.

« En tant que lecteur, ce que j’aime beaucoup dans le roman policier c’est que ce soit un voyage. Ça peut être au Soudan, ça peut être aussi dans un univers ou dans un métier. Je me souviens, quand j’étais petit… j’ai des références maintenant (sourire)… je regardais les Cinq Dernières Minutes. À  chaque fois, il y avait un meurtre dans un milieu, j’en avais vu un qui se passait dans la Bande-Dessinée, ça m’avait beaucoup frappé ! Tout d’un coup, le voyage, c’était dans un métier dont on apprenait plein de choses.

Aujourd’hui, j’aime bien situer mes histoires dans des pays lointains et le porno est pour moi une espèce de continent à part, qui est très riche d’anecdotes à raconter… des anecdotes pour le moins étonnantes(rires) ! Moi-même, j’ai été très surpris quand j’ai commencé à sonder un peu le milieu. Bon, sonder le porno, c’est sonder les hommes. Mais leur perversité, la diversité des envies et des désirs des gens… là, j’avoue que … pfff… (sourire)

J’ai eu plein de retours, les gens m’ont dit : « Là, tu vas trop loin ! Tu inventes des trucs ! »  Je leur ai dit : « Ah mais non, là c’est la partie journalistique ! » … Quand j’enquêtais, parfois, je ne comprenais même plus de quoi on me parlait (rires) !!

Il faut être surprenant dans son livre et surprendre de livre en livre. J’essaye donc à chaque fois de m’attaquer à des univers différents. Dans celui que je viens de publier, (la Dernière Chasse-ndlr), je m’intéresse à la chasse. Je considère que les romans policiers sont des romans de chasse, en fait. Et j’aimais bien que ce roman se passe carrément dans le domaine de la chasse, en plus en Forêt Noire, dans un paysage très singulier et dans une communauté assez  particulière. Où là, on a vite le sang qui se glace (sourire).

Et puis le photographe avec qui je travaillais était chasseur mais à l’arc, c’est la chasse d’approche, la « pirsch ». Une chasse en solitaire, sans chiens, sans le barda ni la parade habituelle. Juste en suivant les traces de l’animal. Elle peut durer des jours, le chasseur n’a le droit qu’à une flèche. Et ce qui m’intéresse, c’est le parallèle entre cette chasse solitaire où le chasseur piste les indices et avance sans bruit pour surprendre sa proie et le flic, Niemans, qui fait la même chose mais avec l’assassin. Ça me plaisait beaucoup. 

À titre personnel, la balle ou la flèche dans l’animal, ça a du mal à passer. Je le dis à un moment donné dans mon livre, c’est comme le type qui aurait écouté le Requiem de Mozart, l’aurait adoré et l’heure d’après brûlerait la partition… C’est quand même bizarre, quand on admire un beau cerf, sous les futaies, que le réflexe suivant soit de l’abattre. Mais bon…

J’ai situé l’action en partie dans la Fribourg allemande, totalement écologique. C’est intéressant mais, je le fais dire à Niemans, c’est un peu oppressant aussi. Il y a une sorte de dictature qui plane. La dictature de l’écologie. C’est un peu angoissant de voir tous ces mecs faire leurs courses à vélo. On est dans la série « le Prisonnier » (sourire) !

Jean-Christophe Grangé-2-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Davantage encore que ses reportages au long cours, ce sont les terreurs qui ont longtemps fait la trame de ses nuits qui ont nourri plus tard celle de ses récits. Elles auraient pu le museler et l’emmurer vivant, en les regardant en face, c’est à croire qu’il les a apprivoisées d’abord pour mieux en jouer après.

Arrivé après Jean-Patrick Manchette, Jean-Bernard Pouy et tous ceux qui avec talent ont bougé dans les années 70 les lignes du polar français, Jean-Christophe Grangé a tracé les siennes. Ce qui rend sa voix d’autant plus singulière. Ses aînés interrogeaient la société et dénonçaient les turpitudes crapoteuses de l’ordre établi, Grangé fouille jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine.

« Tout ce qui peut appartenir à l’univers de la violence, de l’effroi, je l’ai découvert très jeune, enfant. Et je suis toujours resté du côté de la peur. J’ai toujours fait des cauchemars. Ensuite, je me suis intéressé à ce qui dans l’Art transformait la peur en un objet esthétique et finalement savoureux, comme les films d’horreur, les romans gothiques, ça a toujours été ma passion.

Donc, assez naturellement, quand j’ai commencé à écrire des romans policiers, je savais que ça serait des romans aux confins du fantastique et dans une atmosphère vraiment maléfique, qui n’auraient rien à avoir avec une enquête policière faits divers ou hold-up, ce qui n’est pas du tout ma tasse de thé. Moi ce que j’aime, ce sont les tueurs effroyables, les incarnations du Mal absolu (sourire)…

Pouy, Manchette, c’est justement cette ligne dont je me suis écarté. Quand je suis arrivé dans le milieu du roman policier, on en était à ce qu’on appelait à l’époque le « néo- polar » qui était un polar à forte tendance sociale. Bien souvent, et c’était un peu le talon d’Achille du genre, l’histoire, l’enquête semblaient être le prétexte pour dénoncer en toile de fond des problèmes sociaux, des pratiques politiques.  

Moi, je n’avais pas du tout cette conscience politique. Ce que je voulais surtout, c’était écrire des bonnes histoire qui tiendraient le lecteur de la première page jusqu’à la dernière. 

Donc, je suis tout de suite parti sur des histoires beaucoup plus diaboliques avec des méchants vraiment très très méchants et des héros qui étaient pris dans des tourbillons de violence et de peur.

Avec toujours cette idée dans mon esprit, un schéma très ancien, du chevalier luttant contre le dragon au fond de la forêt (sourire). C’est un peu le modèle que j’ai toujours : montrer que ce chevalier qui est souvent pas blanc lui-même va réussir à vaincre le dragon. »

Jean-Christophe Grangé-3-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

On l’imagine aujourd’hui moins fébrile qu’à ses débuts. Après le cinéma, la télévision lui a ouvert les bras et lui a laissé toute la latitude qu’il voulait. En passant du grand au petit écran, Les Rivières Pourpres ne se sont pas, loin s’en faut, embourbées en chemin.

Olivier Marchal en succédant à Jean Reno a su composer un Pierre Niemans complexe et inédit. On se prend d’ailleurs à imaginer tout ce que le réalisateur de 36, quai des Orfèvres, de Braquo ou des Lyonnais pourrait apporter à la série s’il passait aussi de l’autre côté de la caméra. Pour autant, Jean-Christophe Grangé ne cède pas à la béatitude de l’auteur que le succès aurait repu.

Il dit au contraire remettre son titre en jeu à chaque fois. Le sommet de la montagne, il est vrai, n’a jamais été l’endroit le plus confortable. On y est seul le plus souvent, tandis qu’en bas nombreux sont ceux qui guettent la descente. C’est la loi du genre. Et le Polar est en outre du genre qui exige.

En dépit des apparences qui ne sont là que pour tromper leur monde, ces romans-là doivent selon lui s’écrire sans « recette ». À ceux qui pensent encore qu’il s’agit là d’une littérature mineure, on le verrait bien tendre son majeur s’il était juste un peu moins bien élevé.

Hier avec ses grands reportages, aujourd’hui avec ses romans policiers, Jean-Christophe Grangé continue au fond d’observer et d’interroger la condition humaine, dont la part de cruauté demeure pour lui un mystère absolu. Il n’en fera sans doute jamais le tour. Elle est le moteur de son écriture. Et si on peut penser qu’il n’a pas terrassé tous ses démons, on se dit que ce faux tranquille a au moins appris à chevaucher son dragon.

O.D

Les Rivières Pourpres de Jean-Christophe Grangé, saison 3, avec Olivier Marchal et Erika Sainte,  à partir du 8 mars sur France 2.  

One thought on “Jean-Christophe Grangé : nos Terreurs font son Bonheur

  1. Super article sur Grangé.
    Moi qui adore les méchants, je suis servi avec lui.
    On tourne les pages de ses romans avec un frisson de terreur qui perdure jusqu’aux lignes finales….
    Une belle réussite et des thèmes toujours surprenants.
    Les photos sont tres belles aussi.

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