Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
L’ amie Brigitte
Le PDG de la maison de disques où Langolff avait enregistré son album Normal – ( album où il avait composé toutes les musiques que j’avais toutes parolées et sur lequel figurait Tue-moi)- partait pour un gros poste chez Hachette. Comme ma façon d’écrire l’avait séduit, il m’avait dit : « Là-bas, je vais m ‘occuper de plusieurs compartiments, histoire, polars, société, érotisme… choisis et je te publie. »
Après avoir fait une brève étude de marché avec moi-même, d’environ vingt secondes, j’ai opté pour l’érotisme. C’était Brigitte Lahaie qui dirigeait la collection qui s’appelait Brigitte Lahaie présente. Plusieurs auteurs travaillaient sur cette collection mais tous écrivaient du cul sérieux. Moi c’était plutôt déconnard, dans le style San Antonio. Sur les couvertures des livres, format poche, c’était toujours Brigitte dans des tenues où on ne se demandait pas si on avait déclaré ses frais réels dans l’année imposable : petits hauts en soies de couleurs vives, balconnets, culottes à dentelles, bas porte-jarretelles, escarpins. Bon, ben je vais prendre ça !
Mes histoires la faisaient rire. Elle me disait que pourtant le rire et le cul ne faisaient pas bon ménage. Elle adorait mes titres : La Cousine au Beurre, Une de Perdue Dix de Retroussées, Y’a t-il un Pilon dans la Vioque ?, Les Derniers Jours, je Pompais Yves… D’ailleurs je trouvais d’abord le titre et j’imaginais le scénar en fonction. Parfois, je la rejoignais chez elle pour un debriefing. C’est arrivé qu’elle s’assoie en face de moi et que je voie sa petite culotte. Les potes à qui je racontais ça me disaient : « Et alors? »
Et alors, rien. Je ne me voyais pas lui proposer mes services en sortant un scoubidou ridicule à cause des pieds nus sur le carrelage et de l’intimidation. Psychologie érotique de base. Moi c’était plutôt : « Arrêtez Francis ! J’aime mon mari, je ne l’ai jamais trompé et j’ai peur de vous céder. » Là, d’accord. Y’a un challenge. Mais présenter mon truc à Brigitte avec son passif, ça aurait été comme une virgule dans Les Misérables.
Bref, un amour de fille. Complexée quand elle était ado à cause de sa poitrine, se tenant même courbée et rentrant les épaules. Et puis finalement ça aurait été ballot de ne pas en faire profiter, non? La maison Kleenex lui doit beaucoup. Et moi des beaux souvenirs. Dont les 40 ans avec Thierry évoqués lundi dernier
Descente de garage
J’avais un vieux pote, Freddy, un peu soixante-huitard pour la musique mais pas le profil laxiste léniniste avec les solutions pour une justice en ce monde. On se retrouve dans un bar. Sur une télé au dessus du zinc, Lennon chante Imagine.
Freddy me dit, avec de la mousse de pression dans la moustache :
-« Imagine qu’il n’y ait pas de religion, pas de frontières et que tout le monde bouffe à sa faim… c’est facile à dire quand t’es plein aux as ! »
Je lui dis :
-« Oh Freddy, comment tu gamberges ?! On ne peut pas mettre en parallèle un confort matériel effectif et un idéal ! C’est avec ce genre de dogme qu’on est dans la merde…tu fais des raccourcis. Avec ton raisonnement, pour être raccord avec sa fonction, le ministre du Logement va aller dormir dans une cave et se chauffer au réchaud à gaz. Et Jacob et Delafon vont boire l’eau de la cuvette des chiottes pour s’excuser d’avoir fait fortune dans la faïence de lavatories ! »
-« Oui mais c’est le clivage qui est trop », il me répond. Freddy, son problème aussi c’est qu’il emploie des mots qu’il ne contrôle pas.
-« Au fait, je lui dis, quand tu veux tu me rends les 3000 euros que tu me dois. Là, ça me ferait chaud au coeur de les récupérer. »
-« Tu me prends à la gorge ! », il me dit.
-« Ben oui, ça fait cinq ans que je te les ai prêtés ! »
Mais il était attendrissant. Il était un peu musico et touchait un peu à tout : batterie, piano, harmonica. Il bricolait des chansons dans l’esprit Marche des Canards ou Viens boire un P’tit Coup à la Maison et voulait faire un tube pour refaire la descente de garage de son pavillon. Chacun ses ambitions.
Métro Washington
Il y a une dizaines d’années, une expérience à été faite dans le métro de Washington. Joshua Bell, un des plus grands violonistes virtuoses du monde, a joué. Sur 1087 personnes qui sont passées, seulement 7 se sont arrêtées et le violoniste n’a récolté que 32 dollars. Preuve en est que la plupart des gens ne discernent pas le Beau quand ils sont livrés à leur propre jugement.
Et c’est par là que le label « vu à la télé » s’engouffre, que les médias suggèrent ou installent un chanteur ou un politique. La subjectivité individuelle est anesthésiée. Le formatage envahit et fait tache d’huile, croît et se mutiplie, anesthésiant le goût et les facultés d’analyse.
Un artiste falot peut être mis en exergue et imposé. Et un génie rester dans l’ombre. Un démagogue peut se retrouver à la tête d’un pays et un homme compétent à l’écoute de l’humain être à peine toléré dans la gestion d’un club de ping-pong en Charentes.
Ce monde est d’une grande injustice, je sais. Mais pour ne pas faire désespérer des gens comme moi à force d’à force, si on faisait, au moins une fois l’an, une journée de la justice et de l’équité ? Comme on fait une journée sans tabac ou sans voiture ? On peut rêver… Ah non, on ne peut plus ? Bon.
Francis Basset