Longtemps compagnon de route de Franck Langolff, auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Olympia Johnny Winter
À vingt ans à peine, je me suis retrouvé dans un groupe pop jouissant d’une certaine cote en Normandie. Le batteur m’avait « remarqué » alors que je gratouillais avec des copains.
C’était ma première expérience au sein d’un groupe constitué et qui tournait bien, ayant plutôt l’habitude de jouer tout seul en repiquant des riffs des Stones et de Chuck Berry.
On avait répété plusieurs fois dans un local, les uns sur les autres. J’étais un peu le puceau du groupe, débarquant de sa campagne.
Un jour que je tondais le gazon chez mes vieux où j’habitais encore, à Quillebeuf-sur-Seine, le bassiste et un des chanteurs se sont pointés pour me dire que le soir même on jouait à l’Olympia en première partie de Johnny Winter, en remplacement à l’arrache d’un groupe qui s’était désisté. Je n’avais pratiquement aucune expérience de la scène et j’allais jouer en première partie du mythique guitariste albinos. Et à l’Olympia !
À l’époque où ce music-hall consacrait encore les artistes, les adoubait, et où ne voyait pas affiché à son fronton des noms de gloires poussées comme des champignons et cassées comme les oeufs de l’omelette.
Je me suis retrouvé sur scène avec une agoraphobie de place de la Concorde. Le bassiste était loin à ma gauche, le batteur loin derrière et les chanteurs loin devant. Je me sentais à poil avec ma guitare, chaque note, chaque accord jouant contre moi. Dès la fin du premier morceau, la salle est devenue houleuse.
Ils voulaient Johnny Winter et qu’on dégage le plus vite possible. Je voyais des tronches haineuses en bas de scène et des poings levés. C’était pas du tout le public d’Alain Barrière ou de Georges Chelon. On sentait les puristes politisés, peu portés sur la culture de l ‘excuse musicale. On n’a pas pu finir notre set.
Après un tel baptême du feu, j’ai vite pris du métier. Et c’est pas les baloches, les casinos ou les podiums rock qui m’ont intimidé. J’étais vacciné.
Encore maintenant, quand je déroule mon répertoire sixties/seventies dans les pubs, je joue en pilote automatique. C’est pas un « Hé le chapeau ! Tu peux me faire Quand la musique est bonne ? » qui me déstabilise. Je balance le riff de Tobacco Road en faisant signe au barman de me donner une autre bière. Sacré Johnny.
Une nana qui chante bien
Du temps de mon ami et complice Franck Langolff, quand on exerçait encore notre métier de songwriters en duo et à plein temps, on venait souvent nous voir pour nous proposer d’écrire pour des petites nanas.
« Vous allez voir, elle chante super bien », on nous disait comme argument imparable. En fait, elles chantaient toutes « super bien ». C’est à dire qu’elles dégriffaient Maria Carey ou Céline Dion. C’étaient juste de très bonnes imitatrices. Comme les imitateurs pour noces et banquets qui imitaient Jacques Chirac, en imitant Yves Lecoq imitant Jacques Chirac. C’est Lecoq qui avait fait tout le boulot en chopant les caractéristiques types de la voix de Chirac.
Sans originalité, sans particularités vocales, avec juste les mêmes apogiatures et circonvolutions de la glotte. On se demandait toujours pourquoi les maisons de disques signaient l’une et pas l’autre. C’étaient les mêmes. Nous, on avait envie d’entendre une voix à la Tanita Tikaram ou à la Kim Carnes. Au moins là, on se repérait.
Début du formatage. De la mondialisation vocale. Du vocalement correct. On ne demandait pas à tomber sur une Janis Joplin mais quand même, un petit peu d’originalité.
Lennon au début des Beatles arrivait au studio, se plantait devant le micro et lançait qu’il allait imiter Presley… C’était vrai. Et au bout de 30 secondes, c’était du Lennon. C’est ce qu’on attendait des chanteuses qu’on nous présentait : qu’au bout d’une minute leur vraie personnalité vocale perce sous Céline Dion ou autre.
Alors on en arrivait à ce genre d’extrémité :
– « Hé les mecs, je connais une nana qui chante super ! »
– « Eh ben, tu te la gardes », on répondait.
Trouver un chanteur
Quand j’ai commencé à monter des groupes rock vers 16/17 ans, je me souviens qu’on avait toujours du mal à trouver un chanteur. Moi j’étais bien à l’abri derrière ma guitare. Et le batteur et le bassiste, pareil. C’était rare un mec capable d’aller en devant de scène avec sa seule voix. C’est intime une voix. Ça révèle, ça trahit. On met sa peau sur la table. C’est comme les visites médicales surprise à la communale où on se retrouvait en slip kangourou pas très net devant l’infirmière. Désarroi total, honte.
La voix c’est toi. C’est ta bande annonce. Quand t’es à la guitare, tu délègues. « C’est pas moi, c’est elle ! Et j’ai pas le son, c’est l’ampli. » L’instrument sert plus ou moins de bouc émissaire, d’exutoire. La voix, t’es à poil. Aucun repli possible.
Quand on ne trouvait pas de chanteur, les autres du groupe me disaient: « Ben t’as qu’à chanter, toi ! » Mais non. Moi, j’étais guitariste. Bien sûr que je chantais… tout seul. Je piquais un peu les inflexions de Stevie Winwood du Spencer Davis Group ou les nasillements de Bob Dylan. Mais de là à passer ça dans un micro, non.
C’est personnel une voix. On se fait vite décrypter. Et on n’aime pas ça se faire démasquer, houlà . Ou alors on imite. Comme toute cette époque où tout le monde chantait comme Stevie Wonder. Avec des apogiatures dans tous les sens. Comme ça on délègue. C’est pas soi mais on a un référend inattaquable. « Waoh vous chantez comme Stevie Wonder ! » « Ah, vous trouvez ? »
D’où le problème des imitateurs qui passent de Cabrel à Barry White avec brio mais qui sont bien emmerdés quand on leur propose d’enregistrer un disque avec leur voix originelle. Quelle voix dégainer du magasin des accessoires? L’imitation c’est le canard bouée au milieu de la piscine quand tu ne sais pas nager.
Plus tard, une femme m’ a dit qu’elle aimait ma voix. Elle m’a rendu unique.