Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Oh Michel Delpech, j’ai pas d’alcool !
On avait réalisé l’album de Michel Delpech, Cadeau de Noël, dans un home studio sur les hauteurs de Rouen. J’avais écrit et co-écrit tous les textes.
Un soir où Michel rentrait sur Paris, je lui demande de me laisser chez ma mère qui n’habitait pas loin, pour que je lui souhaite son anniversaire. Arrivés devant chez elle, je dis à Delpech: « Tu ne veux pas descendre deux minutes lui souhaiter avec moi ? Elle t’adore depuis toujours. » « Bien sûr », il me dit.
On descend de voiture, je sonne en bas de l’immeuble. Ma mère m’ouvre à l’interphone et on monte au premier où elle habitait. Je précédais Michel. Je sonne à la porte et elle m’ouvre. « Bon anniversaire ! », je lui lance. Je l’embrasse, je m’efface et elle aperçoit Delpech. « Oh, Michel Delpech ! » elle s’exclame. « J’ai pas d’alcool ! »
C’était du style: « Oh, Guillaume Tell, j’ai pas de pommes ! » Ou : « Oh monsieur Landru, j’ai plus de fourneau !«
Michel a ri de se voir associé en réflexe à l’alcool. Ma mère se demandait bien pourquoi. Elle avait juste eu l’automatisme de la visite du facteur quand il venait apporter les allocs : « Oh, facteur, j’ai plus de vin rouge ! Un petit Rivesaltes ? Ou alors il me reste du Porto ! »
Cheveux en feu
Du temps de notre jeunesse folle, comme disait Villon, mon frangin Franck (Langolff-ndlr) et moi on faisait les bals. C’était mieux que l’usine mais c’était plus dangereux. On jouait deux à trois fois par semaine dans la région normande ou dans le nord, avec des pointes en Bretagne.
Là, le danger était qu’on embarquait le matériel à trois heures du matin à la pointe du Raz par exemple, et qu’on roulait le reste de la nuit et de la matinée sans dormir, entassés dans le camion, pour jouer à Abbeville ou Fécamp l’après-midi. Bien sûr on se relayait au volant mais on était vaseux et chargés en bière et en mauvais vin. J’ai le souvenir d’avoir conduit le camion, et au petit jour d’avoir eu des symphonies qui m’arrivaient dans la tête. Un musico à côté de moi gueulait alors en me voyant piquer du nez. On aurait dû mourir vingt fois.
Mais le vrai danger venait des bals en eux – mêmes, où à quelques dizaines de kilomètres d’une grande ville on se retrouvait dans des ambiances du film Délivrance. On s’est souvent demandés si on allait rentrer chez nous sains et saufs. Ainsi ce bal à Nassandre. Ville qui m’a marqué au-delà de la raffinerie sucrière.
On arrive en fin d’après -midi, on installe le matériel dans la salle des fêtes et on bouffe sur le tas à une grande table au bas de la scène. L’ organisateur était un rougeaud qui nous bombardait de blagues de cul pendant qu’on s’expliquait avec la charcuterie. Autour de la table, nous autres, les musicos, et des gens qui s’occupaient des entrées et du bar. En face de Franck et moi, un mec avec une chevelure à la Hendrix mais rouquin, un peu simplet, se faisant chahuter par le staff du baloche.
Voyant que nous on le charriait pas, il nous prend en sympathie et nous dit qu’il travaille dans une usine de jeans et qu’il peut nous en avoir au prix de gros. Franck et moi on s’intéresse. Hendrix est content qu’on le prenne au sérieux et en rajoute. Pendant ce temps – là, l’organisateur continue de nous bombarder avec ses blagues à la con. Mais, voyant qu’ on lui échappe à cause de Jimmy et ses jeans, il va se placer derrière lui, sort son briquet et lui allume les cheveux. On a vu soudain une espèce de torche devant nous. Le rougeaud riait aux larmes. Le ton était donné.
Pendant le bal, bagarre générale. Plus ça castagnait, plus on jouait fort. Fallait surtout pas s ‘arrêter de jouer. Des abrutis à tronches de Massacre à la Tronçonneuse savataient un pauvre type à terre, la gueule et les mains en sang. On voyait tout ça dans la lumière crue de la salle des fêtes -la consigne dans ces cas-là est de rallumer- tétanisés sur nos instruments. Le videur qui avait voulu s’interposer implorait : « Me tapez pas, j’ai des gosses !!« . Pas un gendarme, juste nous pour faire tampon dans un Smoke on the Water apocalyptique à rallonge.
Après, les commis bouchers s’en sont pris à nous. On a demonté notre matos dans la confusion et on l’a embarqué dans le camion au cul de la salle des fêtes. On a démarré en catastrophe avec les autres qui s’accrochaient aux portières, et on a quitté Nassandre un peu comme les GI on quitté Saïgon pendant la débâcle. Un peu seulement.
Rentré chez moi, je regardais ma belle guitare Gibson 335 TD. J’avais honte pour elle.
C’est propre ce qu’il fait !
En musique, ce que j ‘aime bien comme argument c’est : « C’est propre ce qu’il fait. » Personnellement je n’achète pas un CD parce que ce que fait l’artiste, c’est « propre« . J’achète la folie, le rêve, le disjonctage. Je me suis déjà fait piéger à écouter des musiques « propres » comme ça pour les paroler. Je ne sais pas quels mots « propres » j’aurais pu mettre dessus.
Je pense que Picasso ne serait pas trop sorti du lot en peignant « propre »: « Fais gaffe Pablo ! T’as foutu un oeil à côté de la bouche et le nez à l’autre bout ! » Et Dali aurait cartonné pantouflard si, à la place de ses montres molles, il avait peint des montres normales avec juste un peu de fantaisie. Cette fantaisie que vous vendent les opticiens quand vous ne vous décidez pas sur une monture, un trait de couleur sur les branches ou une géométrie à la con du verre. Et Van Gogh: « Hé Vincent ! Peins une oreille propre, merde ! Ça fait négligé, tu ne vas pas vendre de ton vivant ! »
Je ne me vois pas entrer en priapisme corps et âme avec une nana parce que « c’est propre ce qu’elle dégage. » Je veux du mystère. De la coquine qui perce sous la bonne éducation. Et quand elle fait l’amour, c’est la guerre. Je veux sa salive, son sébum, sa transpiration, ses moiteurs partout sur moi.
« Tu ne veux pas que je te présente Machine, Francis ? C’est propre sa façon d’aimer. Quand elle t’embrasse c’est pas mouillé, rien. Elle te roule des pelles shampoing sec. Ça s’élimine au plus léger brossage. » « Non merci, vieux. Je vais en découdre avec moi même . J’ai une boîte de kleenex et mes fantasmes.
Euh… avec kleenex c’est clean qu’ils ont voulu dire les pubards, non ? Merde. Ils m’ont eu quand même.
Francis Basset