Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Où ça va se nicher le Rap !?
Voici une vingtaine d’années, Gérard Lenorman m’avait appelé.
« Allô, vous êtes Francis Basset ? Je suis Gérard Lenorman. C’est vous qui avez écrit Tue Moi ? J’aimerais beaucoup vous rencontrer… »
Voilà. J’étais Francis Basset qui avais écrit Tue Moi et Gérard Lenorman voulait me rencontrer. Mon nom tout seul ne suffisait pas dans le show-biz, comme Goldman ou Barbelivien se suffisaient à eux-mêmes. Il fallait derrière « qui avait écrit Tue Moi » pour me situer dans les paroliers crédibles et bankables.
Dans ce métier, il fallait avoir au moins un tube pour être reconnu au moins. Connu c’est autre chose. Sinon, on était classé loser ou poète maudit-bistrot du coin. Ou le mec qui a écrit pour des illustres inconnus et des chanteuses à la ramasse et qui brandit en étendard les mots d’Aznavour dans Je M’Voyais Déjà : « Ce n’est pas ma faute mais celle du public qui n’a rien compris. » C’est vrai qu’à un moment donné, pour bénéficier d’un statut il faut avoir fait ses preuves.
Pour ça, j’aime beaucoup le proverbe anglais : « Un jour ou l’autre il faut gagner. »
Donc, Gérard Lenorman. Il me donne rendez-vous chez lui, dans une somptueuse maison avec jardin, du côté du métro Église d’Auteuil, si Alzheimer ne m’a pas encore squatté la tronche. Je sonne avec chapeau et blouson, en tenue d’aventurier qui se repère aux stations de métro.
D’entrée, il se montre très affable. Il me dit combien il aime ma chanson et qu’il aimerait beaucoup qu’on collabore. J’ai le beau rôle. Le chanteur multi-tubes des seventies me veut, moi Francis Basset, balochard de formation et fils d’une immigrée polonaise et de Mimile Basset pêcheur de crevettes à Honfleur à ses moments perdus.
Puis, sans transition notable, de fortement désiré je passe à demandeur. Alors que je n’ai rien demandé. Gérard parle de lui à la troisième personne et je dois mesurer la chance que j’ai qu’il ait jeté son dévolu sur moi pour lui écrire des trucs. J’ai rien vu venir.
Après m’avoir gratouillé une composition à la guitare, il se lève et me dit : « Vous savez parfois quand je parle je sens que ma langue part toute seule comme ça dans ma bouche belebelbele, c’est du rap ! »
A ce moment-là, je me suis dit qu’il allait être temps de prendre congé et j’ai opéré un repli vers la porte. Il m’a suivi triomphant, l’oeil allumé, exalté : « Et pourquoi Gérard Lenorman ne ferait pas du rap?!! » , il m’a balancé. Qu’est ce que je pouvais répondre à ça ? Que pourquoi pas, que monsieur Jourdain faisait bien de la prose sans le savoir ?
J’ai hoché la tête et je suis parti. Il ne m’a jamais relancé. Et j’ai malgré tout survécu. Comme un Basset qui a écrit Tue Moi. Et pourquoi Francis Basset n’écrirait pas pour Paris Bazaar et ne pisserait pas à la raie du monde entier !!?
Il n’est plus cocu le chef de Gare
Une vieille chanson paillarde s’intitulait : « Il est cocu le chef de gare » . Mais ça, c’était avant. Du temps où le Paris Marseille arrivait avec une marge d’erreur de 20 secondes. L’amant pouvait se repérer par rapport aux horaires du cocu avec le Paris Lyon de 17h54 ou le Rouen Le Havre de 14h49. Il savait dans quelle tranche horaire exacte il pouvait rester à l’établi avec madame.
Maintenant c’est plus possible avec le fonctionnement – le dysfonctionnement plutôt -de la SNCF. Le chef de gare rapplique en pleins ébats de son épouse perplexe dont l’amant n’a juste que le temps de se glisser dans l’armoire ou sous la literie.
– « Ben chéri, pourquoi t’es revenu? Et le train de 19h 15 ?
– Il a été annulé.
– Mais tu ne dois pas être à celui de 21h 15 ?
– Retard de 2 heures. »
Dialogue avec madame à poil et amant sous le plumard. A poil aussi.
Donc, aujourd’hui, le chef de gare est l’anti-cocu par excellence. Et avec les grèves encore plus. Et madame, un modèle de vertu.
« Times they are changing » … Merci qui ?
Je n’ai pas percé que dans la Chanson
J’ai été démonstrateur en perceuses. Période sombre de ma vie où j’avais du mal à percer en tant que parolier de chansons. Alors pourquoi pas percer normalement en attendant que les choses se débloquent ?
J’allais par toute la Normandie et la région parisienne, chignoles à l’épaule, de grande surface en Bricoramas et je m’installais au rayon outillage. Et je prouvais au blaireau foreur et au retraité bricolo, sur leur terrain, que la perceuse Bosch était le meilleur rapport qualité-prix.
J’avais dix francs(1.50 euro) par machine vendue à partir de la vingtième. Autant dire que j’y étais de ma poche la plupart du temps. C’est là qu’on se rend compte que, finalement, les gens ne percent pas autant qu’on voudrait nous le faire croire.
On avait été briefés en groupe par une espèce de coach du bricolage et je n’avais pas compris la moitié des explications quant aux machines : perceuses, scies sauteuses, visseuses-dévisseuses, ponceuses, rainureuses… J’aurais ressenti le même égarement à Cap Kennedy avec un formateur autour de la console de mise à feu des fusées.
Je partais la plupart du temps vers six heures du matin, sac de machines à l’épaule, pour me mettre en place avant l’ouverture du supermarché ou du Bricorama. J’étais surtout spécialisé dans la perceuse mais j’étais censé faire l’article pour toute autre machine de la marque. Quoi de plus glauque qu’un supermarché avant l’ouverture, juste avant que les fauves de la consommation n’investissent les lieux.
Un jour à Caen, un commercial de chez Bosch m’avait installé un bloc de béton à mon stand pour démonstration de la perceuse à percussion. J’avais bien mis la mèche béton qu’il fallait mais j’étais en mode dévisseuse. Je ne maîtrisais pas tout. Et je m’escrimais à percer quand même, tout rouge sous l’effort. Un blaireau est passé avec bobonne, maillot de corps, short, tongues et ongles incarnés. D’ailleurs, y’a que ça qu’il pouvait incarner. Il s’est arrêté, rigolard : « Hé, t’es en dévisseuse ! il m’a dit. Tel que tu es parti, demain on y est encore ! »
Mais j’avais réussi à percer quand même. Par la volonté. Avec sa femme il se foutait de ma gueule : « Et puis Bosch c’est de la merde. Moi j’ai une Hilti ! »
La femme, fière de son homme, le regardait les yeux enamourés, prête à lui tailler une pipe en tête de gondole s’il lui avait fallu concrétiser son attachement, en attelage avec lui qu’elle était pour la vie, jusqu’à la dernière traite du pavillon.
Une autres fois, à Gennevilliers, je me pointe avec un tas de gadgets pour récompenser le bon client : porte clés, stylos, portes- monnaie à l’effigie de la marque. Un vieil arabe se pointe en djellaba avec toute une ribambelle de mouflets autour de lui. Il prend une perceuse. « Comment ça marche ? » Je lui explique, appliqué à le convaincre d’investir. Pendant ce temps-là, les mômes m’ont piqué tous mes cadeaux. Un mec du rayon électricité en face qui avait vu la scène m’a dit : « Hé, surveillez votre matériel mon vieux. Sinon vous allez repartir en slip ! »
Mais le plus dur, c’était les chansons qui passaient. Tout ce que je fuyais dans le civil et qui m’était imposé en vase clos. Quel plus grand supplice qu’une chanson de merde qu’on est obligé de se goinfrer jusqu’au bout parce qu’on ne peut pas s’y soustraire. Je ne citerai pas de titres parce que je vais faire polémique. Et tel titre est une daube pour l’un et un enchantement pour l’autre. Hélas !
Seule consolation, un jour dans un Carrefour géant, Sacrifice d’Elton John passait en boucle. Bien nommée, la chanson. Ce jour-là, le matin, une sorte de table m’attendait, recouverte d’une tôle en inox un peu bombée. J’en ai fait le tour, perplexe, et j’ai finalement décidé que c’était pour une démo de scie sauteuse. Et j’ai commencé à découper la tôle devant les clients que je croyais intéressés. Le bruit était insoutenable et une grande flamme bleue s’échappait de la machine en surchauffe. Une caissière à quitté son poste pour venir me dire qu’ils ne s’entendaient plus aux caisses.
Vers midi, le représentant Bosch est passé. Il a regardé ma table avec l’inox découpé, comme si j’avais tracé des voies navigables sur un plan vierge. « Qu’est ce que vous avez foutu ? » Il était effaré. « Ben, j’ai fait une démonstration de la scie sauteuse sur métal… » « Mais c’est pour la ponceuse !! »
Et j’ai fini en beauté avec la rainureuse qu’un mec regardait dans le rayon depuis un bon moment, lèvre pendante, oeil globuleux, longs bras le long du corps, comme un boxeur qui récupère. Je n’avais pas été briefé sur la rainureuse et je ne voyais pas du tout à quoi ça pouvait servir.
Alors, j’ai pris le mode d’emploi et je l’ai mis devant les yeux du mec en lui montrant les explications de mon index, croyant qu’il suivait. Puis j’ai retourné la feuille etn dans un silence de mort, j’ai continué à lui souligner les explications du doigt. Le mec m’a regardé, la lèvre inférieure encore plus pendante, l’oeil vitreux. Et il s’est barré.
Un démonstrateur d’une autre marque en face de moi qui avait observé la scène est venu me voir, hilare :
-« Excusez -moi, il m’a dit, c’est pas votre vrai boulot ??
-Non , j’écris des chansons. »
Francis Basset