Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Pierre Delanoë, le réac des trouducs
Je vais passer sans transition de Chuck Berry à Pierre Delanoë. Peut-être parce que la tendance, avec l’épisode Delon, est aux taillage de « réacs », des supposés homophobes, racistes, misogynes et autres chairs à bûcher de la nouvelle Inquisition. Pierre Delanoë disait les choses. Ou plutôt ne se les envoyait pas dire.
Selon son humeur et son emportement du moment, il appelait un noir un noir, un assisté abusif un assisté abusif et une lesbienne, une gouine. Et de ce fait, tout comme Delon, il s’est retrouvé catalogué. Du coup, toutes les chansons qu’il avait pu écrire et qui avaient aidé à supporter la grisaille, la mouscaille et toute la quincaille de connerie de nos contemporains passaient à la trappe. Ou au second plan. Les gens en plus, et particulièrement les médias, ne connaissent pas le vieux proverbe : « Ne brûle pas aujourd’hui ce que tu as adoré hier. » Mais ils le font parce qu’il faut sacrifier au Progrès et que le Progrès c’est le Bien, et avant tout de ne pas nommer les choses. Mieux, de les décorer comme un sapin de Noël.
Ça a commencé avec les « non- voyants » et les « techniciens de surface » et ça va sûrement s’amplifier avec les « non – dispensateurs d’orgasmes » pour les impuissants, et les « non-enclins à l’aspiration salariale » pour les feignasses indécrottables.
Pourquoi Delanoë, en plus de l’actualité Delon ? Parce que je suis parolier de chansons et que je vis de ce métier depuis une quarantaine d’années. Mais aussi et surtout parce que j’ai eu l’occasion de rencontrer le bonhomme quelques jours avant sa mort lors d’un déjeuner à la SACEM. Claude Morgan, un ami compositeur, m’avait présenté à lui en vue de l’écriture du livret d’une comédie musicale qu’ils montaient tous les deux. En passant, une des chansons phare de cette comédie musicale était la Fin du Chemin, que Delpech a reprise avant de partir. Ironie du sort.
J’étais parolier mais j’étais pressenti pour écrire le livret. Et j’étais très flatté de ça. Cet homme avait marqué la chanson française d’une telle empreinte !! Depuis mon enfance ses chansons étaient en moi. Mon père chantait Mes Mains et ma grande soeur le Jour où la Pluie Viendra. Deux chansons interprétées par Bécaud. Cet homme avait écrit des hits énormes comme Et Maintenant, Le Bal des Laze, Femmes des Années 80, Le France, En Chantant, La Belle Histoire et tant d’autres… et je déjeunais avec lui.
Morgan l’avait briefé sur mon parcours de parolier et d’auteur en général mais au début du repas « Pierrot » m’a pris un peu de haut. J’étais un « gamin » pour lui. Il me jaugeait. Mais j’ai eu le bon réflexe d’éviter les louanges et de ne parler que du boulot pour lequel j’étais pressenti. Ça lui a plu. Il a senti aussi que je n’avais pas le trac et qu’au fond, rompu aux déceptions et aux mauvaises surprises, j’en avais rien à foutre de rien. J’ai dû d’ailleurs lui sortir un truc du genre : « Je ne m’envoie plus en l’air avec d’éventuelles bonnes nouvelles, je préfère assurer le coup avec les mauvaises. »
Le bon vin aidant, au dessert on était très en connivence et il m’a confié toutes ses notes de chansons. Je les ai feuilletées dans le métro. J’étais très impressionné de lire tous les tâtonnements de mots, de voir toutes les ratures , de voir le « travail ».
J’ai gardé ces notes presqu’un an avant de les restituer à la famille par le biais des affaires sociales de la SACEM. Je les consultais régulièrement histoire de prendre un coup de recul sur les choses dans la tronche. Ça ne fait jamais de mal.
La guitare et l’amour
« Je suis insupportable« , me dit-elle souvent. « Je ne te rends pas heureux avec mon caractère, mes exigences, ma vie compliquée. Il y a tellement d’autres femmes qui te conviendraient, qui te faciliteraient l’existence« …
– « Mais mon amour, je n’ai pas besoin de confort de vie… et c’est toi la femme que j’aime. Tu n’es pas remplaçable.
– Bien sûr que si ! Y’en a plein dont tu pourrais tomber amoureux. Et qui seraient moins chiantes que moi. »
Ça me contrariait et me bouleversait qu’elle ne comprenne pas que son « remplacement » n’était pas envisageable, que rien de ce qui avait trait à sa sortie de ma vie n’était négociable.
-« Écoute » j’ai dit, « Avant d’être écrivain, je suis avant tout guitariste. J’ai commencé à gagner ma vie avec ma guitare juste après ma scolarité et c’est un symbole fort pour moi. C’est resté. Même si j’ai fait mon trou après comme parolier, ou en écrivant des bouquins ou des scénars. Alors je vais t’expliquer. La guitare de mes rêves c’était une Gibson 335 TD. La même que celle de Chuck Berry et Alvin Lee, mes deux idoles d’adolescence. Aucune autre guitare de marque ne trouvait grâce à mes yeux. Pourtant, elle avait des défauts. Entre autres, elle se désaccordait souvent et facilement, quand je tirais trop sur les cordes ou à cause des changements de température. Je m’en foutais de ses défauts, tu comprends ? C’était cette guitare et pas une autre ! »
Elle m’a regardé, comme si ma parabole commençait à la rassurer.
-« Alors, nos… désaccords ?
– Nuls et non avenus » j’ai dit.
-« On peut réduire un humain à une guitare, tu crois ?
– On peut aussi l’augmenter à une guitare. Quand tu douteras d’être unique pour moi, pense à ma guitare Gibson 335 TD, mon amour. »
Les heureux hasards de l’écriture
Très difficile pour un compositeur de retranscrire ce qu’un auteur a ressenti a travers son texte. Il élabore sa musique avec son passé, son affect, ses origines sociales, ses fiertés et ses humiliations. Qui ne se calquent que très rarement sur celles du parolier. C’est le même décalage que lorsqu’on se mitonne l’héroïne d’un livre en petite brune aux yeux mauves et que, dans le film tiré du livre, le réalisateur vous impose une endive d’un mètre quatre-vingt aux cheveux blonds filasses. Dans ces cas là, non seulement je ne rentre pas dans le film mais je m’esbigne illico par l’issue de secours.
Tomber pile dans le mood de l ‘auteur et lui faire le costard sur mesure pour ses mots relève bien souvent de l’heureux hasard. En général, le parolier, s’il ne sait pas ce qu’il veut, sait en tous cas ce dont il ne veut pas. Et ce dont il ne veut pas c’est d’un univers que la musique lui dicte et où il ne retrouve pas le sien.
S’opère alors un rejet, comme dans une greffe cardiaque. L’organisme -mots ne veut pas du corps étranger-musique. Ce qui se passe souvent alors, c’est que l’auteur colle une autre idée et d’autres mots sur la musique proposée. Il change complètement l’eau du poisson rouge. Et se retrouve avec un texte célibataire sur lequel, un jour, un autre compositeur mettra la fiancée idéale.
Francis Basset