Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Buccolo, le retour
Buck: « En tant que guitariste j’ai fait à peu près tout le monde. Même Bruel ! »
Y’a des mecs comme ça, comme lui, quand vous vous demandez si la vie vaut d’être vécue, une petite voix intérieure vous répond : « Oui ». Buck c’est ma jeunesse débridée où je croyais encore à une poésie du futur, c’est la folie douce, les potes, la marginalité de luxe, la déconnade hors normes. C’est pour ça que j’ai tenu à en remettre une couche avec lui ce lundi. Avec mon « frère » Langolff, il représente Renaud que j’apprécie du fond du coeur, qui m’a bien eu avec certaines de ses chansons, à la limite de la larmiche, comme La Pêche à la Ligne, signée Buck justement.
Renaud suite donc. À toi, Buck :
« Manhattan Kaboul. On fait une tournée à trois. Renaud sortait d’un de ses premiers enfers du « Barman, la même chose, pour commencer ! » Y’avait Alain Lanti au piano, Renaud et moi. On devait faire 30 dates et on en a fait 202. Et Renaud me demande des musiques pour son prochain album, « Boucan d’Enfer » . Et la dernière semaine d’enregistrement, il me dit : « J’ai envie de faire un duo. Tout le monde en fait, alors… »
J’avais fait une maquette qu’il aimait, que j’avais chantée en chewing-gum. Elle traînait dans mes fonds de tiroir depuis cinq ans. Il se sentait en période de doute quant à lui et son impact sur le public et décide de taper dans l’actu musicale et de prendre Alizée. Il voulait tenter ça. Il appelle les gens qui s’en occupaient à l’époque, Mylène Farmer et son mac. Mais ils lui ont imposé des conditions genre un point sur le disque et là, stop, au- revoir !
On enregistrait au studio ICP à Bruxelles, mon studio préféré, et par hasard passe Axelle Red. Je vais lui parler parce que lui trop timide : « Voilà, y’a Renaud à côté, il aimerait que vous fassiez éventuellement un duo. » Elle dit OK. Renaud avait fait le texte en trois, quatre jours sur ma musique. Et la magie a opéré. Miss Magie… on n’en sort pas.
La chanson ne devait pas figurer sur l’album. On avait le compte. « Manhattan Kaboul » s’est invitée au dernier moment comme « Mistral Gagnant » sur l’album éponyme, que Renaud a écrit paroles et musique, bien aidé par un pianiste américain qui jouait comme une bête et qui a trouvé le gimmick. Mais Renaud lui avait quand même indiqué qu’il voulait un genre de boîte à musique. Pour revenir à « Manhattan Kaboul », en général Renaud distribuait les textes aux compositeurs. Mais Manhattan, c’est la seule fois où il a écrit sur mon chewing-gum.
J’adore aussi une chanson, pas très connue de lui, et pas seulement parce que j’ai fait la musique, elle s’appelle « Olé » .
D’ailleurs, quand Cabrel a fait « La Corrida » il m’a dit qu’il s’était un peu inspiré de « Olé » .
Là-dedans, il raconte que les femmes qui vont assister aux corridas, c’est les mêmes que celles qui vont à Roland-Garros, elles sont blondes, elles se prennent pour des Parisiennes, mais pire elles sont Niçoises. C’est tellement ça en plus, les blondasses bronzées… »
Voilà, Buck. Ton karma c’était de te tromper de porte et de tomber directement sur Renaud quand il auditionnait pour trouver un guitariste. Les guitaristes qui, soit-dit en passant, sont souvent des bites à risques. Mais c’est un autre débat.
Buck mon pote, accroche-toi ! Ils sont presque tous partis mes potes de ta mouvance. Et s’il n’en reste qu’un, je ne veux pas être celui-là, qui n’aurait rien à foutre dans ce nouveau monde. Très loin d’être une symphonie.
Vive Facebook… parfois
Voyons le bon côté des choses avec Facebook et les réseaux sociaux (je n’aime pas cette appellation, ça fait parcours fléché pour la soupe populaire). Avant, on se parlait par dessus les haies des jardins avec les voisins. Ou alors on attendait de sortir en boîte pour rencontrer quelqu’un, ou encore on sympathisait avec un parent d’élève à la sortie de l’école. Personnellement, j’ étais musicien, et du temps de ma jeunesse folle et chevelée- maintenant c’est plus le cas-j’avais juste qu’à descendre de scène pour aimer et être aimé. Pas de prémisses ou très peu. Bref, du travail de sagouin. Y’a pas de quoi se vanter, je le reconnais.
Avant ces fameux réseaux sociaux donc, beaucoup de hasards et de synchronicités étaient nécessaires pour se lier avec quelqu’un. Après on s’écrivait ou on se téléphonait. Au mieux. Là, reconnaissons-le c’est quand même plus simple. On multiplie les opportunités, on peut « faire son marché ».
Bien sûr, on peut tomber sur des connards, des pétasses ou des harceleurs. Mais en boîte et chez le fromager aussi. Et la vie est courte et ça pousse derrière. Alors pourquoi attendre une amitié au bar PMU du coin ou l’amour assis au pied d’un arbre ? De toute façon, y’en aura plus des arbres. Alors le canif pour graver un cœur avec deux prénoms et une flèche, on peut se le garder pour se curer les ongles ou se retirer le petit salé des prémolaires. Et vive Facebook !
Avant que la censure nous le sucre comme le reste. Parce que c’est vrai que ça commence à agacer les pouvoirs publics tous ces cons qui préfèrent se désinformer tout seuls, quitte à tomber sur une bonne info par hasard, plutôt que de gober la désinformation massive des médias.
Mais ça n’empêche pas la solitude. Au contraire, ça la multiplie. Wolinski disait, bien avant de se prendre des bastos de Kalachnikov : « On est connectés au monde entier et on n’a jamais été aussi seuls. » Puis il est mort. Si ça se trouve, c’est pour ça qu’ils l’ont flingué, les radicaux libres. J’ai remarqué que plus on était radicalisé, plus on était libre. C’est quand même fou comme ça galope, le progressisme
Quand je serai K.O
Cioran racontait qu’un jour une jeune fille était venue le voir, terrassée par un chagrin d’amour. Elle hoquetait dans ses sanglots, débordée par ses larmes. Il lui a alors simplement proposé d’aller se promener dans un cimetière. Elle en est revenue quelques temps après, rassérénée. Sa peine immense, relativisée par sa marche entre les tombes avait presque complètement disparu.
Moi, mon conseil serait autre : visionner un documentaire animalier. Observer une mésange s’occuper de ses petits ou un blaireau s’affairer dans les profondeurs de son terrier. Ça calme aussi. Bien sûr, pas notre blaireau à nous avec papiers gras, bouteilles plastiques et bob Ricard.
Celui-là donne plutôt envie d’épouser sa peine, voire de macérer dedans jusqu’à plus soif. Avant d’en finir. Avec lui.
Donc, si un jour j’étais cocu, je le suis peut-être déjà comme on peut être séropositif sans le savoir, je n’irais pas me promener entre les tombes. Je regarderais les bestioles s’affairer à leur survie dans leur univers. Je me dirais : « Au moins, cet éléphant ne s’emmerde pas avec un problème de cocu. Il se trompe déjà lui-même. Il s’est auto vacciné. Et s’il se sent menacé et/ou remplacé, il charge. Décharger ne le concerne pas. Moi oui, avec mon amour partie avec un autre. Je me retrouve comme une maman qui a perdu son bébé et qui se demande ce qu’elle va faire de ses deux seins pleins de lait, tout bêtes et désormais inutiles. »
La solution serait de ne pas tomber amoureux, de crainte d’être poussé en bas un jour par des plus beaux, des plus forts que moi. Comme dit Souchon dans Quand j’s’rai K.O. Oui, mais ça fait partie du jeu de la vie. Et je joue le jeu avec plaisir. Et j’en remets même une couche en jouant aux courses. Bref, je n’en sors pas.
Finalement, pour pallier à un éventuel gros chagrin d’amour je vais peut-être aller dans le sens de Cioran et me faire installer d’ores et déjà ma tombe pour aller me promener autour quand ça m’arrivera.
Et rien ne m’empêchera d’observer les moineaux en train de lâcher des fientes sur mon beau marbre noir.
Francis Basset