Avec Live From London, un grand parmi les grands, et sans doute l’un des plus grands bluesmen au monde, nous livre son ultime testament. Il s’appelait Gary Moore.
Le blues est vraiment un genre à part. Contrairement à ce qu’on peut entendre ici et là, ce n’est pas un genre musical élitiste. Pour preuve, tout le monde connaît au moins un nom de bluesman. De ceux qui sont les plus populaires, comme Eric Clapton, Muddy Waters, Stevie Ray Vaughan, Robert Johnson, Screamin’ Jay Hawkins ou BB King, à ceux qui le sont un peu moins, comme Sony Boy Williamson (I & II), Buddy Guy, Memphis Slim ou Elmore James. En France, nous ne sommes pas en reste grâce à des artistes comme Paul Personne, Bill Deraime, ou encore Patrick Verbeke. Et puis il y a l’«OVNI» Gary Moore.
Faut dire qu’ils ne sont pas nombreux les musiciens nord-irlandais connus mondialement. Il y a bien Van Morrison, Fergal Sharkey (ex-chanteur des Undertones), Gary Lightbody et Johnny McDaid qui officient chez Snow Patrol, ou encore Neil Hannon, crooner officiel de Divine Comedy. À part ça ?… Gary Moore justement !
Bluesman génial, rocker fou, au début de sa carrière, dans les années 70 et 80, il a joué avec Skid Row et Thin Lizzy, dont le chanteur et bassiste du groupe, le légendaire Phil Lynott, Gary Moore n’est autre que l’auteur de cet énorme tube qu’est Parisienne Walkways. Le morceau parle d’ailleurs du père du leader de Thin Lizzy.
Moore, qui aimait se renouveler, a également joué avec Colosseum II, un groupe formé par deux anciens membres des John Mayall’s Bluesbreakers, au sein duquel jouait aussi Don Airey qui avait baladé ses claviers avec divers groupes commes Black Sabbath ou Deep Purple.
Autrement dit, Moore était entouré de véritables tueurs à gages, capables de jouer tout et n’importe quoi, rapidement et proprement. Avec un tel pedigree, il était obligatoire que, du haut de son mètre 80, Gary devienne un géant de la musique. Et c’est ce qui s’est produit. Il a sorti de nombreux albums solo, souvent critiqués par des pseudo puristes, l’accusant de pomper sur Led Zeppelin et Deep Purple.
Un jour de 93, le bluesman, qui s’en foutait royalement, décida de monter un super groupe. Pour ça, il recruta Ginger Baker, batteur fou, hallucinant et ingérable de Cream, mort en octobre dernier, ainsi que Jack Bruce, bassiste qui avait non seulement joué avec Cream, mais aussi avec John McLaughlin ou Frank Zappa. Autrement dit, ces trois-là n’étaient pas ensemble pour déconner. Ce trio extraordinaire, oscillant entre power rock et blues, ne dura qu’un an, le temps d’enregistrer Around The Next Dream, album sorti en 1994. Par la suite, Gary Moore continua de faire ce qu’il avait fait toute sa vie en enchaînant albums et tournées, jusqu’à sa mort par coma éthylique, avec près de 4 grammes dans le sang, la nuit du 6 février 2011, lors d’un séjour en Andalousie.
Avec Live From London, album enregistré le 2 décembre 2009 à l’Islington Academy de Londres, on redécouvre la virtuosité du maître. À ce moment de sa carrière, Gary Moore est au top. Il est connu mondialement et reconnu pour son talent de guitariste. Et il se donne à 100% sur scène. Qu’il est bon d’écouter I Love You More Than You’ll Ever Know et son long solo sur lequel il semble se déchaîner avec une telle facilité que c’en est presque déconcertant.
Oh Pretty Woman, le morceau qui ouvre les festivités, est juste une mise à feu terrible. La country rock de Down The Line part à 100 à l’heure. Comme si un cowboy sous coke décidait de se faire une randonnée à cheval en essayant de dépasser un TGV. Là, on n’est plus dans la plaisanterie ! Ça joue sérieux ! La reprise du Have You Heard de John Mayall est proprement exécutée, voire même brillamment enrobé par ce jeu de guitare exceptionnel. Une sorte de retour aux sources pour Gary Moore qui était fan du bluesman anglais, qu’il avait vu sur scène à Belfast dans sa jeunesse, et dont il ne niera jamais l’inspiration.
L’enchaînement des deux morceaux Too Tired / Gary’s Blues 1 est synonyme de bonheur, de plaisir, extrême, de jouissance. Seule la musique peut amener à de tels états, proches de l’extase, où on n’écoute pas, on admire. On arrête tout et on profite du savoir-faire et du génie d’un musicien hors normes. On imagine le guitariste à la gueule burinée, faisant quelques grimaces de souffrances pour réaliser chaque solo, sortir chaque son de sa guitare qu’il adore et contre laquelle il se bat sans arrêt pour la pousser au maximum.
Gary Moore était surtout connu pour ses tubes et superbes morceaux, que sont Still Got The Blues, Walking By Myself et évidemment, Parisienne Walkways, morceau paru originellement en 1978 sur Back On The Streets et qui cartonna un peu partout quinze ans plus tard, lors de sa sortie en version live sur Blues Alive, album enregistré au Royal Albert Hall de Londres.
Putassier pour certains, génie pour d’autres, grâce à ces morceaux, le guitariste a indéniablement réussi à davantage populariser le blues. À tel point que Gary Moore ne pouvait pas faire le moindre concert sans les jouer. Ce soir-là, il les a littéralement sublimés. Il ne faut pas louper l’intro de Parisienne Walkways, sorte de rapide hommage à Hendrix qui enchaîne aussi sec sur cette rythmique si connue. Cette version live est encore meilleure que celle de 93 ! Un bonheur de quasiment neuf minutes, avec un solo final fabuleux, qui clôt cet album extraordinaire.
Gary Moore a inspiré toutes sortes d’artistes. Il y a évidemment Joe Bonamassa, dont le style mélodique, se rapproche parfois de Gary Moore sans pour autant l’égaler. Il y a aussi Kenny Wayne Shepherd, dont la vitesse d’exécution et la puissance peuvent se rapprocher de celles du musicien nord-irlandais.
Plus surprenant, l’influence qu’a eu Gary Moore sur Kirk Hammett. Le guitariste soliste de Metallica est un fan de Thin Lizzy, Jimi Hendrix, Eric Clapton, Pat Travers, et Gary Moore. Kirk Hammett a même racheté la célèbre Gibson Les Paul Sunburst de Moore, dont le premier propriétaire n’était autre Peter Green, un des fondateurs de Fleetwood Mac. Il l’utilise parfois sur scène avec Metallica, histoire de rendre hommage à Moore.
Moore, Gary Moore, un bluesman qui aura marqué à tout jamais l’histoire de la musique. Ce très beau Live From London, qu’on peut entendre comme son vibrant testament, vient à point nommé nous le rappeler.
Laurent Borde
Gary Moore / Live From London / Provogue Records (Existe en édition limitée avec quatre médiators, un autocollant, une carte postale, et 2 sous-verres)