Figure des nuits parisiennes et icône de l’underground, DJ Vegas a conjuré le mauvais sort et dompté ses démons. Rencontre avec une dame de coeur ni sage ni soumise qu’on appelle Mademoiselle.
« Il y a des trucs de mon passé que j’ai oubliés et que je préfère laisser enterrés. J’ai vécu beaucoup de choses qui auraient pu me briser en vingt millions de morceaux. Chacun sa technique, certains vont voir un psy, moi j’ai tout mis dans une boîte et j’ai décidé de jeter la clé. Ce passé, c’est même pas moi, c’est même pas mon passé. »
De ce passé proche et lointain dont on ne saura rien et dont on comprend seulement qu’il était plus qu’imparfait, on ne retiendra que l’essentiel. Il lui a un jour donné le désir ardent et impérieux de vivre autre chose et de s’écrire autrement. Depuis, on l’appelle Mademoiselle Vegas. Un alias qui la protège de ses années noires. Mademoiselle Vegas, comme le personnage principal de son propre roman. À quarante ans et quelques printemps, elle a une fois pour toutes interdit de ses jours l’hiver qui fit son enfance.
Pour l’avoir souvent croisée derrière ses platines ou dans l’une de ces soirées peu balisées encore moins formatées qui font tout le charme du Paris la nuit, elle nous intriguait singulièrement. Avec ses bagues et ses bracelets d’argent, ses tatouages d’avant que ce ne soit tendance et ses mèches blanches comme la neige précoce qui tranchaient sur le noir jais de ses cheveux, elle ressemblait à la grande prêtresse d’un ordre oublié. Elle était d’hier et d’aujourd’hui. On se doutait bien qu’elle était rock mais pas seulement. On n’imaginait pas à quel point la musique en entrant dans sa vie l’avait simplement sauvée.
« La musique, elle est arrivée tôt dans ma vie. Je crois que j’ai d’abord commencé à l’écouter pour étouffer les cris et après pour apaiser mon âme. Elle me suit depuis toujours et tous mes métiers ont toujours tourné autour d’elle…
J’ai débuté avec des groupes psychobilly, punk quand j’avais onze, douze ans. J’étais fascinée par les punks, j’avais rencontré un punk anglais que je trouvais magnifique ! J’adorais la dégaine, j’adorais Londres, je voulais absolument vivre là-bas… C’était une image de liberté, de différence et ça me plaisait. J’ai toujours aimé les gens atypiques qui ont réussi à s’imposer, à faire ce qu’ils voulaient… c’est une preuve de liberté.
En même temps, je me suis mise à la photo. Mon grand-père que j’adorais m’avait offert un vieux Nikon et j’ai commencé à aller aux concerts vers quatorze ans. Là, je me suis dit : « Je vais faire de la photo de concerts, c’est ma passion ! Et je veux que les gens que je vois m’aiment. Je veux qu’ils fassent attention à moi ! » Et c’était pas facile par que j’étais assez forte quand j’étais jeune, donc j’ai opté pour le côté rigolo (rires) plutôt que le côté bombasse que j’étais pas (sourire).
Et puis de fil en aiguille, je suis passée des photos que je prenais en bas de scène à des pochettes de disques et même à manageuse de groupes. J’organisais des tournées en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne. Après, j’ai décidé de monter mon premier festival. Je devais être aidée par le groupe que je manageais mais à part boire des coups dans les loges, ils ont pas branlé grand chose (sourire), j’ai cru que j’allais avoir une crise cardiaque ! J’avais vingt ans.
Mais ça m’a vachement plu quand-même et j’en ai fait un, une fois par an, en France, au Gibus, et deux à Berlin. Il s’appelait « Bizarre Festival » (rires). Et j’ai fait tourner jusqu’à cinq groupes. Après, j’ai travaillé pour une grosse enseigne de photo. J’y ai appris le commerce. D’abord en tant que vendeuse à mi-temps, et ensuite en tant que responsable de leur plus grosse boutique. Il y a eu un plan social, ils m’ont proposé un gros poste dans une FNAC mais je voulais rester indépendante et vendre ce que j’aimais vraiment, donc j’ai refusé.
Et j’ai monté ma première boutique en 2006-2007, rue Charlot dans le Marais. Je l’ai tenue pendant cinq ans. Je vendais que des trucs rock pour les hommes, les femmes et les enfants. Plein de bijoux et plein de têtes de mort partout (sourire) ! Là, j’ai rencontré plein de gens de plein de milieux. La mode, la moto, les Hell’s… tout le monde (sourire)…
Comme j’avais aussi envie de m’occuper des femmes qui n’étaient pas bien dans leur peau, je l’ai été moi-même, j’ai voulu les aider à se relooker. Même si elles étaient grosses, même si elles n’aimaient pas leurs genoux, leur cul… donc, j’ai créé un truc qui n’existait pas à l’époque, « Relooking Pin-Up » . Ça a intéressé Canal, Arte, M6… j’ai même eu un article dans Playboy, figure-toi (sourire) ! La boutique s’appelait « Mademoiselle Vegas » (sourire). »
De cette période, Mademoiselle Vegas retient le bonheur qu’elle a ressenti de voir des femmes se trouver enfin belles à leurs yeux, en dépit de leur 42 de tour de taille que ne tolèrent pas les ayatollahs de la mode et leurs diktats. C’est aussi à ce moment-là qu’elle a commencé à mixer, se partageant entre ses jours de commerçante et ses nuits de DJ ponctuées d’excès, de verres d’alcool et de lignes blanches. Sédentaire pratiquante mais pas franchement convaincue, elle a finalement vendu la jolie boutique, a rencontré des difficultés familiales et s’est un brin perdue dans son nomadisme noctambule. Deux ronds en poche, des hébergements provisoires chez des amis fidèles avant de remonter sa pente et de retrouver son cap.
« Tu vois les chats ? Ils ont plusieurs vies, ils ont de la chance… comme moi. Je commence même à m’aimer un peu mieux… Ça remonte à ma première fois en Thaïlande. Je me souviens, c’était il y a quatre ans. Un matin, il était sept heures, j’étais toute seule… Je passe devant un autel, il y avait un bouddha… et je me suis mise à pleurer mais à pleurer, mais toutes les larmes de mon corps. Ce n’était pas de la tristesse, c’était un truc qui partait.
Depuis, à chaque fois que je voyage là-bas, j’évolue de façon fantastique ! J’en prenais tous les jours, j’ai arrêté la coke du jour au lendemain ! J’ai même pas été malade, pas de manque, rien. C’était fini, j’étais passée à autre chose. Et là, je vais faire la même chose avec l’alcool qui pourrait tuer la DJ que je suis…
Pourquoi je suis DJ ?… (sourire) Parce que j’aime la musique et que j’aime rendre les gens heureux. Je suis passée aujourd’hui à la Soul et au Rythm’n’Blues qui sont devenues mes passions. C’est un truc de dingue ! Il y a des morceaux qui me filent une puissance, une force !… Il faut que ça me monte les poils… comme l’Opéra, je suis dingue d’opéras, la Callas, Pavarotti je les surkiffe !
Et je continue à découvrir. Tout le temps. Et oui, tu as raison, c’est marrant que tu aies vu ça, je regarde toujours la piste quand je mixe. Je suis heureuse quand je les vois s’amuser, quand je les entends hurler sur certains morceaux (sourire).
Je sais que j’aurais plus de boulot si je faisais de l’Electro mais j’y arrive pas. Je me suis mise à la Deep House mais ce sont des sélections très particulières, dès que c’est les mêmes sons dans mes oreilles, j’aime pas… faut que ça me plaise.
Bon, des fois ça m’arrive de passer les conneries qui font danser les gens mais il y a des trucs, c’est non… Si t’en as un qui me demande « La Danse des Canards », c’est : « Allez, va te faire enculer (rires) ! » « Va faire le canard tout seul (rires) ! » Sans moi ! Mais je suis quand même plus ouverte qu’avant, je suis moins sectaire (sourire). »
Si ses tatouages comme un livre à ciel ouvert la racontent à leur façon, c’est le surnom que certains parmi ses plus proches lui ont donné qui éclaire son récit d’un autre jour encore. Ceux-là l’appellent « Mama » , ça la rend heureuse et ça comble le manque. Elle dit ne jamais avoir pu avoir d’enfants et confie son souhait d’adopter aujourd’hui la fille de son ancien époux. La petite fille avait onze ans à l’époque, elle avait perdu sa mère quelques années auparavant, la vie a su réunir ces deux âmes soeurs, elles ne sont jamais quittées.
Enfant, comme souvent les enfants, Mademoiselle Vegas rêvait d’une autre vie, d’un autre monde. Devenue femme, elle a fait de ses rêves sa réalité. Elle en a payé le prix, mais elle est libre. Libre de dire ce qu’elle pense, libre d’être ce qu’elle veut, avec qui elle veut. C’est aussi pour ça qu’on aime cette si singulière demoiselle d’honneur.
O.D