Danseuse, actrice, comédienne, auteure, metteure en scène, Mathilda May prend le temps de l’inventaire et de la mise au point dans V.O. Le récit de sa vie.
Chacun ses souvenirs et ses premières fois. La nôtre avec elle nous renvoie à ce beau film de Jean-Claude Sussfeld,sorti en 1988. La Passerelle. Elle y tenait le rôle de Cora Elbaz. Une mère seule, dont le petit garçon à la suite d’une chute accidentelle était entre la vie et la mort. Pierre Arditi interprétait son voisin, un vieux garçon empêtré dans ses pudeurs, sa culpabilité et ses désirs. Il allait en tomber fou d’amour. Et nous avec. Parce qu’elle était monumentale de sensualité et de force, parce qu’elle était émouvante de tendresse. Parce que tout d’un coup, on ne voyait qu’elle. Cette actrice au magnétisme fou s’appelait déjà Mathilda May.
On apprit ensuite qu’elle avait déjà tourné cinq films. Avec Claude Zidi, Tobe Hooper, Georges Lautner, Claude Chabrol. Et celui qui, avant tous les autres, lui fit confiance, Arnaud Sélignac. Pour Nemo, qui fut d’ailleurs pour tous les deux le tout premier film, et qui, au générique, lui fit côtoyer Harvey Keitel, Carole Bouquet, Michel Blanc ou encore Dominique Pinon. Pas mal pour un début. Des films, il y en eut beaucoup d’autres. Des partenaires prestigieux aussi. Comme Yves Montand, Richard Gere, Bruce Willis, Patrick Bruel ou Jacques Dutronc. Des prix et des honneurs, comme le César du Meilleur Espoir Féminin ou le prix Romy Schneider. Il y eut encore cette photographie signée par la grande portraitiste Bettina Rheims, qui acheva de faire d’elle l’une des icônes absolues des années 80.
Et puis, le temps passant, la lumière autour d’elle lentement s’est tamisée. Celles comme ceux, à croire que seule la médiocrité connait la parité, qui hier encore se la disputaient, s’en réclamaient, lui ont tourné le dos. On ne dira jamais sans doute assez la cruauté de ce métier et les faux-semblants de la célébrité. Elle n’a été ni la première ni la dernière à en payer le prix amer. Quand l’homme qui prend de l’âge est comme le bon vin qui gagne à vieillir, la femme qui avance dans la vie est juste une étoile qui pâlit, une fleur qui s’étiole. Le refrain est connu et l’air toujours aussi aigre. Ce qu’il faut être aveugle et sourd pour ne pas saisir cette évidence qu’une femme arrivée à l’entre-deux rives de son parcours est infiniment plus désirable d’avoir justement vécu et aimé depuis tout ce temps.
Pour Mathilda May, celui est finalement venu de dire sa vérité. Sans fard, elle qui s’est si longtemps cachée derrière le paravent de ses rouges à lèvres. Sans amertume aucune, la vie est trop prenante. C’est avec lucidité, et il faut bien le dire un certain courage, qu’elle vient donc de prendre le temps de l’inventaire et du grand ménage. V.O. est ce récit. L’histoire de cette danseuse classique devenue actrice, de cette petite fille devenue femme et sex-symbol qui a longtemps fait exactement comme on lui disait et ce qu’on lui disait de faire. Docile et passive comme on ne s’imaginait pas qu’elle pût l’être. Toujours ces apparences qui trompent l’oeil.
Au fil des pages, les anecdotes se succèdent, drôles, inattendues, émouvantes. Les rencontres et les tournages s’enchaînent mais s’installe comme un malaise. Le sien. De ne pas être regardée ni écoutée comme elle l’aurait souhaité. Comme un malentendu, un contresens. Ce ne sont pas seulement les déceptions, les coups de blues, les désillusions, la vie ne se résume pas, on le sait bien, aux seuls cadeaux de la chance et du hasard.
C’est plus profondément comme un enfermement sur lequel Mathilda May mettrait enfin ses mots à elle. Le lent travail de sape de ce qu’elle appelle aujourd’hui ses monstres censeurs. Ses freins, les vôtres, les nôtres, que nous mettons à nos rêves, à nos désirs. Qui nous empêchent de grandir et nous interdisent de vivre nos vies. Elle aussi ne s’est pas jugée parfois, souvent, assez digne, assez forte, assez légitime. À quoi bon dire non quand dire oui est tellement plus facile ? Pourquoi se risquer au défi, au combat, quand on se sent intimement désarmée ?
V.O.raconte cette histoire. Celle d’une artiste qui s’est confrontée au vide et à ses silences, et a pris le risque enfin de ses propres choix. Celui d’être drôle, très drôle, alors qu’on la croyait hermétique à l’humour, beauté couchée sur papier qui glace, partageant la scène avec Pascal Légitimus dans Et plus, si affinités. Celui surtout d’écrire et mettre en scène son premier spectacle, un conte d’aujourd’hui, une chorégraphie poétique et burlesque du quotidien, Open Space. Pièce sans paroles, juste celles des corps en mouvement. Un ovni. Un bijou. Une révélation pour elle comme pour le public. Mathilda May avait donc beaucoup à dire et autant à montrer sans jamais paraître, s’effaçant presque devant sa création.
Elle vient donc ces derniers jours de prendre le temps du redoutable rendez-vous avec soi, le temps aussi de dire aux autres et sans doute d’abord à elle-même qui elle est. Elle laisse à d’autres le soin, c’est pourtant la loi du genre, de donner leur recette surfaite du bonheur assuré ou leur leçon à deux balles de vie réussie. On retient de la sienne qu’elle est aujourd’hui plus libre qu’elle ne l’a jamais été. De ses choix, de ses élans.
Comme de dire oui à Ahmed Sylla, qui a pensé à elle pour Access, série diffusée sur C8, et il a eu mille fois raison. Elle aussi, qui en jubile encore et travaille en ce moment sur le Banquet, sa prochaine création, ce sera encore plus barré !!, d’ores et déjà programmé pour la rentrée au théâtre du Rond-Point. Voilà qui devrait nous faire aimer l’automne, le mariage c’est moins sûr.
Aphone au moment de la parution de son récit, parce qu’elle avait sans doute tout dit, elle a depuis retrouvé sa voix. Arrivée au point final de son récit, elle confie s’être réconciliée avec celle qu’elle était et avoir appris à aimer celle qu’elle est devenue. On la voyait moins, on ne la voyait plus. Ce livre nous offre de la regarder mieux. De la regarder vraiment. À vous le second pas. À vous de faire enfin connaissance.
O.D