Dominique et Alexandra Duvivier : Magiques de Père en Fille !

Duvivier - Une - Paris Bazaar - Marion

C’est au Double-Fond, un cabaret absolument unique dans son genre merveilleux et magique, que les Duvivier perpétuent et renouvellent l’art de l’illusion. On y cultive depuis trente ans le bonheur d’être un moldu.

Il y avait quelque chose dans l’air et dans sa bonhommie qui nous disait bien qu’il allait nous feinter. On n’a rien vu venir. Ce n’est pas faute d’avoir planté le regard dans le sien tout en restant aux aguets, des fois qu’avec ses bras sans manches, il aurait tenté de nous embrumer. La boule rouge dans la main droite, on l’a serrée. Il en avait une dans la sienne. Bon. Ben, vazy, étonne nous, Mandrake. Et lève toi de bonne heure, c’est pas aujourd’hui qu’on va tomber dans le panneau.

Il a eu un sourire, il a tapoté comme ça, et puis hop ! La boule a disparu de sa main. « Ah ?! » qu’on a dit. Et quand on a ouvert la nôtre, elle était là. En plus de celle qui y était déjà. Alors, on s’est résumé à une même onomatopée assez mal articulée à cause de la surprise. « Aaahhh, mais ??? » qu’on a fait. On venait de se faire shazamer par Duvivier Père. À coté de lui, Alexandra, sa fille, rigolait. On s’est dit qu’on était à la bonne adresse.

Au Double-Fond, en l’occurence. Place du Marché Sainte-Catherine, au coeur du Marais. C’est ici, dans la cave voûtée de ce qui fut au 13è siècle le couvent Sainte-Catherine du Val des Écoliers, que Dominique Duvivier a fondé en 1988 un cabaret unique à Paris comme en Europe, et qui le reste, entièrement dédié à la magie.

« Je faisais du table en table. C’est à dire des tours à des tables pour des gens qui n’ont pas du tout envie de voir de magie (sourire) mais il faut quand-même que tu les fasses. J’ai fait ça pendant x années, et puis un jour, j’en ai eu marre. J’ai dit : « Ça suffit, il faut créer un lieu  pour montrer qu’on peut faire plus qu’un tour qui dure trois minutes. On peut peut-être faire une heure et demie de spectacle de magie, de près, tout en étant dans une salle où il y a quand-même cinquante personnes ? »

C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’acheter une ancienne boîte de nuit antillaise, le Colombo, qui ne fonctionnait pas bien. Nous-mêmes, on n’a pas bien marché tout de suite. Il a fallu que le bouche à oreille s’installe et circule. Chemin faisant, ça a mis du temps, mais ça a fini par prendre.

Et la magie ? Ah, c’est en regardant « M le Maudit » de Fritz Lang. Le film n’a rien à voir avec la magie mais il y a une scène où deux gangsters font une manipulation de bonneteau. Quand j’ai vu ça, j’ai appelé ma grand-mère, je lui ai demandé si elle n’avait pas un jeu de cartes quelque part, elle a trouvé un vieux jeu. À partir de là,  j’ai emmené ma mère à la boutique Mayette Magie Moderne (plus vieille enseigne du genre au monde, fondée en 1808 !!-ndlr)… et j’ai eu la chance de la racheter. Mais pas au début. (rires) »

Dominique-Duvivier-Double-Fond-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Au début, il y a surtout eu cette rencontre, décisive, avec celui qui aujourd’hui encore est considéré comme l’un des grands maîtres de la magie de proximité, dite du « close-up », René Lachartre alias Renélys. À la fin des années 50, cet artiste précurseur oeuvrait non loin du Grand Rex ainsi qu’à la foire du Trône lorsque elle prenait ses quartiers sur le cours de Vincennes.

« Ma mère était très italienne, très très sicilienne, donc il m’était impossible de traverser la rue tout seule avant quinze ans (sourire). Par contre, pendant la foire du Trône, comme c’était piétonnier, elle me permettait d’aller juste en face de ses fenêtres, et il se trouve qu’il y avait là Renélys qui vendait ses tours de magie. C’est grâce à ça que j’ai pu commencer à en faire. 

Je dis souvent que j’ai eu la chance de ne rien savoir faire d’autre. J’étais très très très mauvais à l’école. La seule façon de me faire venir au tableau, c’était pour faire un tour de magie. « Allez Duvivier, viens nous faire un tour puisque il n’y a que ça qui t’intéresse ! » Voilà ce qu’on me disait tout le temps. 

Et ça m’émerveille toujours autant. Je continue d’inventer trois ou quatre tours par semaine depuis quarante ans. Je me sens le même débutant qu’au premier jour. »

Alexandra, ne peut s’empêcher de voir dans le début de carrière de son père un signe du destin. Comme si celui-ci avait habilement distribué les cartes pour que Dominique puisse librement et pleinement en jouer comme en vivre. Elle a d’ailleurs dû s’accrocher et démontrer qu’elle aussi voulait devenir magicienne pour qu’il accepte enfin de l’initier à quelques uns de ses secrets et lui entrouvre la voie.

« Papa ne voulait pas que je sois magicienne parce qu’il était magicien. Il ne m’a jamais aidée au début. Je lui demandais sans arrêt de me montrer des tours, il ne m’en montrait jamais ! Quand il a vu que j’insistais, il m’a filé un livre…pff. Je peux te dire que pour apprendre la magie, un livre, il n’y a rien de pire (sourire) ! J’ai quand-même travaillé par moi-même. Et là, il m’a aidée.

Je me souviens, j’avais quinze ans, il se produisait à la Haye pour une grande rencontre internationale de magie, maman avait fait le voyage pour assurer la traduction, vu qu’il ne parle pas une broque d’anglais (rires) et j’ai assisté à l’un de ces numéros fétiches, celui des gobelets. C’était une salle en amphithéâtre, il devait y avoir 700 personnes. Elles lui ont fait une standing-ovation… ça m’a percutée. 

Deuxième choc, je découvre lors de ce même festival, une magicienne américaine qui fait du close-up, Lisa Mena. Elle est belle, intelligente et elle ne joue pas sur sa plastique. Là, je me suis dit : « Ouais, ça, ça me correspond ! » Je n’avais pas envie d’être la nana assistante en maillot de bain qui sert la soupe au magicien. Le milieu était très masculin, je ne voyais pas d’ouverture. Quand j’ai vu Lisa, je me suis dit qu’il y avait une brèche. Que c’était possible. C’était en 1988. C’est comme ça que ça a vraiment commencé pour moi. »

Alexandra-Duvivier-DoubleFond-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

L’aisance déconcertante avec laquelle l’une et l’autre nous embarquent dans leur univers s’est payée et se paie encore au prix d’un travail qui se compte en années d’efforts et de recherche. Il lui en a fallu du temps à Alexandra avant de triompher un beau soir de mars dernier sur la scène de Fool Us, le grand show américain, devant cinq millions de téléspectateurs, face aux deux légendes du métier que sont Penn et Teller. La petite Parisienne qui parle comme Audiard et qui bluffe les plus grands, avec un tour imaginé par son père des années plus tôt, on se dit que ce dernier a dû sentir courir sur son échine comme un frisson de fierté. Lui qui n’a pourtant pas le compliment facile reconnait que sa fille fait aujourd’hui partie du top mondial.

Artistes aussi formidables qu’accomplis, ils sont magiciens certes mais aussi auteurs, interprètes, metteurs en scène et comédiens. Ils se nourrissent des musiques qu’ils ont écoutées, des films qu’ils ont vus et des acteurs qu’ils aiment. Dominique se souvient ainsi avoir eu l’idée de l’Imprimerie, un tour à huit cartes en écoutant A Day in The Life des Beatles. Tour qu’il a ensuite vendu à plus de cent mille exemplaires, ce qui lui a permis au passage d’acquérir la grande maison où réside le clan Duvivier au grand complet. Par les temps qui courent de travers, le bel esprit de famille qui les unit tient lui aussi de la magie.

Leur admirable dextérité ne serait ensuite que simple virtuosité si elle n’était pas portée par l’histoire que Dominique et Alexandra savent insuffler dans chacun de leur spectacle. Une quarantaine tout de même en trente ans de Double-Fond ! On connaît des auteurs moins féconds. C’est parce qu’il y a toujours chez eux ce désir de raconter que leur public s’émerveille. Un public venu du monde entier comme de partout en France. Dominique confie à ce sujet que le public français est tout à la fois le plus mauvais et le meilleur du monde. Il y a souvent un bras de fer avant que ne s’amorce le lâcher-prise. À croire que nous avons trop lu Descartes pour nous laisser happer si facilement par le jeu des siennes. Ce qui de toute façon, inutile de lutter, finit systématiquement par arriver et ne manque pas de le faire jubiler.

Duvivier-Tour-DoubleFond-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

En trente années, le Double-Fond a lui aussi vu le monde changer, les écrans se multiplier, le digital imposer son règne et le numérique ses règles du jeu. Mais rien qui soit de nature à entamer la relation si singulière que savent nouer ici les magiciens avec leur public toujours plus nombreux. Parce qu’à l’invraisemblable complexité des algorithmes, on préférera sans doute toujours la simplicité abracadabrante d’un tour de magie. Parce qu’à nous vouloir toujours plus rationnels, nous restons finalement, aujourd’hui comme au premier jour, avides de merveilleux.

Dominique Duvivier le résume d’ailleurs joliment :

« Nous, les magiciens, on est les gens les plus honnêtes de la planète. Parce que nous, on dit qu’on triche (sourire) ! Et on triche, pas pour faire du mal ou du tort, mais pour faire plaisir ! »

O.D

À votre tour, prenez le temps un prochain soir du Double-Fond.

Et si l’envie de magie vous gagne, allez dénicher cartes, tours et baguettes chez Mayette, l’antre des magiciens.

Enfin, pour le plaisir de vos yeux éberlués, découvrez le tour incroyable d’Alexandra Duvivier sur la scène de
Fool Us !!

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