Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
L’Ami Séchan
Thierry Séchan et moi sommes nés la même année, le même mois de septembre, mais lui le 19 et moi le 18. Mon vieux Thierry que les paroles de Brel « c’est dur de mourir au printemps, tu sais » effrayaient, et qui a devancé l’appel.
Donc même année, même mois et presque même jour. Aussi avions-nous décidé de fêter nos 40 ans ensemble chez lui, dans le Marais. A l’époque, j’avais écrit pour Pagny (Tue-moi) et pour Sylvie Vartan. Ma reconnaissance dans le Show-Biz se limitait à ces deux-là. Lui, Thierry Séchan, avait écrit entre autre pour Daniel Lavoie et Elsa et était surtout reconnu pour ses livres gentiment vitriolés Nos amis les Chanteurs, et connu en tant que frère de Renaud.
Donc, on organise les festivités avec des amis de base et des gens de l’ombre tels le compositeur fou Jean-Pierre Buculo (Miss Maggie, La Pêche à la Ligne, entre autres tubes, pour Renaud). Pour le côté people, Thierry me demande : « Qui tu amènes toi, Bassman (il m’a toujours appelé comme ça ) pour nos quarante balais ? Parce que moi j’amène Renaud, Julien Clerc, Roda-Gil... »
Mon tour d’horizon était vite fait. Sylvie était aux Etats-Unis avec Tony Scotti tournicoton et Pagny à Pétaouchnok. Me restait que Brigitte Lahaie à dégainer comme people. A l’époque, elle dirigeait une collection « Brigitte Lahaie présente » et on étaient plusieurs auteurs à fournir dans le style livres de gare érotiques. Mon originalité était que j’écrivais du cul déconnant. Brigitte adorait. Elle me disait que j’étais le seul à la faire mourir de rire en écrivant dans le genre.
Bref, je dis à Thierry : « J’amène Brigitte Lahaie ! » J’étais sûr de mon coup, on était très proches par le boulot et en sympathies partagées. Thierry manque de s’étouffer dans son whisky de saisissement. Rigolard, il prend ses potes à témoin : « Hé les mecs ! Vous savez qui il amène Bassman pour notre anniv ??… Brigitte Lahaie !!! » Ouaf ouaf, tout le monde rigole. Face à Renaud et Julien Clerc, avec ma p’tite Brigitte j’avais l’air d’un con à ma mère, comme chantait Brassens.
Finalement le jour J, ni Julien Clerc, ni Roda, ni Renaud ne sont venus. Brigitte a sonné alors que les festivités se poursuivaient plan plan. Thierry et moi on est allés ouvrir. J’étais sûr que c’était elle.
Elle était là sur le palier, jupe de cuir noir, bas et bottines et petit haut rouge affriolant à balcon pas que romantique. Elle tenait un magnum de champagne sur ses seins comme un bébé. Elle est entrée, faisant la curiosité des femmes présentes et l ‘engouement de la plupart des mecs.
Elle s’est assise dans un canapé au fond de la pièce et ça s’est vite agglutiné comme par magie autour d’elle. On se demande bien pourquoi !!! Nos quarante balais avaient eu sa people. Oui je sais, dans people… y’a pipe. Merci qui ?
Être et ne plus l’être
Parfois, les magazines people titrent : « Que sont-ils devenus ? » En parlant de stars de la chanson ou du cinéma. « Stars » de carrière ou éphémères. Et ils nous dévoilent des déchéances, des visages bouffis et des corps en laisser-aller, des regards de stupeur et de détresse se demandant ce qui a bien pu se passer depuis la gloire.
Ils n’ont pas tout suivi. Ils ont cru qu’elle était entérinée cette gloire. Comme le baccalauréat ou le permis de conduire. Et non ! Descendez, on vous demande !
Les politiques n’ont pas ce souci. Ils ne sont jamais déchus de rien. Déçus tout au plus. En rotant leur champagne avec le dos de main pour amortir. Ils ne sont plus ministres ? Pas grave. Ils sont vite recasés dans une commission européenne ou dans un audit quelconque.
Ils rebondissent tellement bien qu’on les fait les sortir une fois qu’on leur a annoncé qu’ils sont lourdés. Sinon ils crèvent les plaftards et les toits de l’Elysée et de Matignon. Les vrais artistes, pendant ce temps-là, se contentent de la débine pour être raccord avec leur statut.
Femmes je vous aime, politicards je vous dégueule. Dans cet ordre.
En musique, y’a les surdoués et les sûrs d’être doués
Dans les surdoués on peut évoquer Mozart, Mahler, Debussy, Ravel, Rachmaninov, entre autres pour le classique, et pour la pop on peut penser à McCartney, Lennon, Elton John, Bjork, Sting, Stevie Wonder, Brel, Bashung, Ferré, entre autres aussi.
Avec eux, ça se passe plutôt bien. Ils ne s’imposent pas trop, on les détecte à la radio, on se berce d’eux en fond sonore, ils surgissent comme une bonne surprise. Avec les sûrs d’être doués ça se gâte parce qu’ils s’imposent, gavent, grâce aux inconditionnels qui croient avoir découvert un génie et l’imposent en radio, à la télé, dans Télérama.
C’est plus chiant parce qu’on est sommés de s’extasier. En général sur deux accords mineurs, archi rebattus, dépeignant un mal de vivre et une neurasthénie sociale ornés d’une mélodie prévisible avec apogiatures et vocoder véhiculant des mots d’une maladresse de CM2. Mais soyons justes, il y a aussi pas mal d’anglo-saxons dans le genre.
Et défense de critiquer !
On a déjà la police religieuse quoi qu’on en dise, mais on a aussi la police de la pensée et la dictature de l’émotion sous cellophane. Quoiqu’avec le sûr d’être doué, quand il se cantonne aux médias, on s’en tire bien. C’est quand vous l’avez chez vous qu’il faut pas laisser traîner une arme. Sinon vous vous tirez une balle dans la bouche.
Le sûr d’être doué n’est pas radin de sa production. Jusqu’au bout de la nuit, il vous joue ses merdes avec quatre accords en boucle et trémolos sur le message : « Où va le monde ?? Et si oui, pourquoi ? » Ou alors, on a le pendant festif. La chenille qui redémarre mais repensée. Et vous ne lui ferez pas lâcher le piano ou la guitare. Autant convaincre Marc Doutroux de quitter un dortoir de jeunes filles. Et si vous lui parlez de Burt Baccharach, Lennon, Kate Bush, Lieber et Stoller, le sûr d’être doué a une moue un peu suffisante style : « Mouais… mais c’est pas trop mon truc. Moi je kiffe plutôt Berjag troubles shlag… surtout l’avant dernier album. » Bon.
On aspire alors au silence des forêts primitives. Un suppo, un xanax et au lit.
Francis Basset
(Crédit photo de Thierry Séchan : Michel Marizy)