Francis Renaud s’est imposé en plusieurs dizaines de films comme l’un des grands seconds rôles du cinéma français. Belle gueule et forte tête, rencontre avec un comédien qui sait tout jouer sans jamais se mentir.
C’était il y a quelques semaines maintenant, sur le tournage de Bronx, le prochain long-métrage d’Olivier Marchal. À Fos-sur-Mer, après un matin d’été sous un soleil de feu, la fin de journée virait au gris automnal. Il avait pourtant enchaîné les prises depuis le début de la matinée mais c’est avec un grand sourire qu’il a dit oui à nos envies de questions comme de réponses.
Et pour se protéger du vent, c’est dans une voiture du film qu’il nous a invités à le rejoindre. Drôle d’endroit pour une rencontre, une voiture noire siglée Police. Pas la municipale mais plutôt celle qui traque le gros gibier. Dans le prochain film d’Olivier Marchal, il affichera d’ailleurs un pedigree du même calibre. D’un côté de la barrière ou de l’autre, Francis Renaud a de toute façon la présence qui à chaque fois fait la différence.
Titi Brasseur dans 36, quai des Orfèvres ou Brandon dans les Lyonnais, qu’il soit flic ou voyou, il crève l’écran. Même évidence à la télévision quand elle a eu la très bonne idée de penser à lui pour incarner François Villon, poète maudit et mauvais garçon, et qui ne s’est pas trompé non plus en lui proposant le rôle d’Isham Amadi, ce religieux musulman trouble et fascinant dans la Commune. Francis Renaud a la gueule de tous les emplois et fait partie de ces acteurs sans qui le cinéma ne serait pas tout à fait ce qu’il est, sans qui les premiers rôles seraient plus petits à l’image.
Le cinéma est entré un jour dans sa vie comme le soleil qui met fin à l’hiver. Le sien fut long. Quand à quatre ans, votre paternel se fait emporter par le crabe et qu’un autre prend sa place sans jamais vous aimer, ils peuvent durer une éternité les moments durs. Comment ne pas rêver d’une autre vie ? Comment s’envisager autrement qu’ailleurs, surtout loin d’ici ? C’est en tout cas comme ça que l’enfant de Thionville a eu l’envie de ce métier.
« J’en ai pas mal chié quand j’étais petit. Ma mère, un jour, a été ouvreuse dans un cinéma qui s’appelait « le Paris », aujourd’hui « le Scala », à Thionville. J’ai vu des films très très tôt qui m’ont complètement transporté et amené finalement à réaliser un rêve de gosse…
Ça n’a pas été facile. Je venais d’un milieu ouvrier. Il a fallu que je me batte. À l’âge de seize ans, je pensais pouvoir partir mais je n’ai pas pu me faire émanciper. Alors, j’ai dû faire apprenti-cuisinier. J’ai foiré mes études mais j’ai quand même fait deux ans de cuisine. Et à dix-huit ans, le jour de mon anniversaire, je suis monté à Paname. Je voulais être acteur.
J’avais James Dean en tête, ce mec me faisait kiffer… Et je me suis accroché à la proue d’un navire comme au jeans de James Dean. Et puis, j’ai lâché James Dean et j’ai essayé de trouver mes marques, mon truc à moi… mais James Dean m’a bien amené où il fallait (sourire).
Ça le fait marrer comme un môme quand on lui fait remarquer qu’effectivement, il y a quelque chose chez lui de Jimmy Dean. L’acteur devenu mythique fut le premier à l’écran à donner enfin un visage à l’adolescence, cet âge de toutes les rébellions et de toutes les fragilités. Francis Renaud certes n’est plus un ado mais il reste à vif. Et il se soucie moins d’être beau que de jouer.
« Ma beauté ? Je m’en fous complètement ! Non, ce qui m’intéresse c’est le personnage, c’est de lui amener une dimension, de le rendre crédible… c’est super de pouvoir travailler dans le cinéma, de pouvoir interpréter… Jouer, c’est un privilège énorme !
Tu quittes tes problèmes, ta vie, cette société qui peut être terrible, cette réalité qui est redoutable qui s’appelle aussi la vie. Elle peut déborder de bonheur et en même temps, elle est extrêmement cruelle… Et le cinéma te permet d’oublier tout ça, c’est un flash ! C’est un truc de dingue ! Quand j’entends « moteur ! », y’a plus rien qui existe autour. J’entre dans cette danse et j’y vais avec mes partenaires.
Oui, le plus dur c’est quand on ne tourne pas. C’est l’enfer pour tous les acteurs, toutes les actrices… Un acteur, c’est fait pour apporter des émotions, pour jouer. Un acteur qui ne tourne pas, il devient fou, c’est pas possible… Ça m’est arrivé dernièrement… J’ai rien fait pendant deux ans et demi… Tu le vis très très mal… c’est hyper dur… et puis c’est un métier difficile…
Je ne suis pas tout seul dans cette situation… Tu travailles pas pendant six mois, un an, un an et demi, deux ans… C’est vrai que c’est blessant… Moi, j’ai écrit, je me suis occupé de mes enfants… Il faut tenir, il faut travailler, être rigoureux, faire ses gammes comme un musicien, faire du sport, s’entretenir… Et surtout pas se laisser aller à la déprime… même si elle est là tous les matins. »
Il y a quelques mois, Francis Renaud est donc sorti de son désert. La télévision et puis le cinéma. Au mois d’août, il a ainsi retrouvé Olivier Marchal, l’ami des premiers jours, qui l’a embarqué dans la belle aventure de Bronx. Et Francis a retrouvé son oxygène.
« Ça me fait bander ! Être sur un plateau, voir les techniciens, les machinos, les électros, la scripte… Un plateau, c’est magnifique ! C’est quelque chose d’extraordinaire !! Le plus dur, c’est quand ça s’arrête, quand tu rentres chez toi et que tu reprends ta routine. Un plateau de cinéma, c’est du 100%, c’est du concentré ! Tu es nourri, logé, tu vas à l’hôtel, tout le monde est ensemble !… C’est du bonheur !!
Il y a tellement de gens qui galèrent, qui n’ont pas cette chance-là, qui bossent tous les jours et qui ne sont pas forcément éveillés, exaltés par le boulot qu’ils font. C’est à nous justement de les transporter ! »
La « Grande Famille » du cinéma n’existe en réalité que pour le plaisir facile de la jolie formule. Ce sont plutôt des bandes et des clans qui se forment ou se reforment le temps d’un tournage. Des individualités qui se rejoignent et se conjuguent quelques semaines autour d’un film. Chacun repart ensuite de son côté et poursuit sa route avant de se croiser à nouveau. Mais le nomadisme auquel prête le métier n’empêche pas les amitiés au long cours. Marchal et Renaud ont signé leur bail lorsqu’ils étaient aux pieds de la montagne.
« Avec Olivier, ça a commencé en 1996, sur un épisode de « Quai n° 1 ». Il interprétait un flic aux côtés de Sophie Duez. On avait quelques scènes ensemble. On est restés assez proches. C’est quelqu’un de très fidèle, jusqu’à aujourd’hui…
Il m’a apporté énormément de plaisir, d’émotions. Il m’a permis de jouer avec Auteuil, Depardieu, avec plein d’acteurs, avec Anne Parillaud, Anconina… Il m’a fait confiance, il m’a fait grandir… Rocky dans « Gangsters », Titi dans « 36 », Kowalski dans « MR-73 », Brandon dans « Les Lyonnais », Nadal aujourd’hui pour « Bronx », ce sont des rôles qui m’ont beaucoup apporté…
Olivier, c’est quelqu’un qui vous porte et qui ne porte pas seulement ses acteurs mais toute son équipe. Il vous fait rêver !… Je l’aime… Profondément. »
Olivier Marchal n’est pas moins fraternel quand il évoque Francis. Et il se souvient très bien de leur première rencontre.
« Oui, c’était avant de tourner, dans le camion de maquillage sur « Quai n° 1 », je l’ai entendu gueuler : « Personne ne me touche ! », je me suis dit : « Mais qui c’est ce con ?? (rires) » On s’est ensuite retrouvés sur « Police District », quand la télé savait encore faire des films qui ressemblaient à quelque chose (sourire). Il jouait un flic impulsif, violent et j’étais le chef de groupe qui l’avait pris sous son aile… Et puis, on a continué au-delà.
Quand j’ai réalisé « Gangsters », je lui ai donné le rôle de Rocky, ça lui collait à la peau… Francis, il me fait penser à Marc Porel (Acteur magnifique qui jouait notamment le rôle du petit-fils de Jean Gabin dans « la Horse »-ndlr), à Patrick Dewaere, le tout saupoudré de Gary Oldman…
Il ne « joue » pas, il faut qu’il soit et il part dans toutes les émotions ! Il faut juste savoir le driver. Et surtout, le respecter. Sinon, il part au quart de tour… Il a croisé tellement de salopes dans le métier. Des mecs qui ont essayé de le briser, en abusant de sa beauté, de sa naïveté… Ce milieu est aussi un milieu de putes. »
Cash, Marchal. Toujours. Pour avoir pris le temps des uns et des autres, on comprend mieux que Marchal, Figlarz, Renaud et d’autres encore de cette bande se soient un jour trouvés et puis choisis pour ne plus jamais se quitter ensuite. Ils ont en commun d’avoir dû tracer leur propre route en dépit de tous les vents contraires et de pas mal d’esprits contrariants.
« On n’est pas du sérail et le sérail est redoutable, poursuit Francis, ces mecs sont des vrais bonhommes. Tu prends Figlarz et ses associés, Oumar, Stéphane…c’est une super rencontre !
Ce sont des vrais passionnés. Ils connaissent le bitume, ils ont un vrai professionnalisme, ils vont très vite, ils ne se regardent pas, ils vont dans la direction du réalisateur, ils sont très forts. C’est une grande équipe de stunt ! Il a sa marque aujourd’hui, Alain Figlarz ! Et c’est un très très bon comédien aussi, on ne lui propose pas assez de rôles d’ailleurs…
On souffre aussi de la jalousie de certains… J’aime beaucoup le bouquin d’Éric Neuhoff, « Cher Cinéma Français » où il explique vraiment ce qui se passe. Le sérail, les fils à papa… Nous on n’est pas des fils à papa, on est des fils de personne !
C’est beaucoup plus dur par exemple que pour ceux qui disent : « Ah putain ! J’ai un nom mais qu’est-ce que c’est dur de se faire un prénom ! » C’est pas vrai, faut arrêter de mentir à un moment donné !… En plus, c’est pas les meilleurs (rires). Mais c’est comme ça, c’est la vie et parfois c’est injuste (sourire).
Quand il se prend à penser à ce qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas rencontré le cinéma et le métier d’acteur, Olivier Marchal confie que sa vie aurait tout simplement pu tourner mal pour ne pas dire court. Francis Renaud se dit lui aussi que le cinéma l’a sauvé. Il se souvient que chez lui lorsqu’il était enfant, il n’y avait ni livres, ni musique. Que même Mozart n’existait pas. Il considère d’autant plus vital aujourd’hui d’aller vers sa lumière, « son initiation », la découverte du monde et de soi.
Jouvet conseillait à ses jeunes comédiens de « mettre un peu d’art dans sa vie et un peu de vie dans son art », on se dit que Francis ne l’a que trop bien compris. Il ne sait juste pas ce qu’ « un peu » veut dire.
Le cinéma est pour lui « un livre qui ne se ferme jamais ». Sincère, intense, généreux et talentueux, il est à l’évidence au nombre de ces acteurs qui savent en écrire les plus belles pages. Ces mêmes pages, n’en déplaise aux petits marquis, qui font qu’on aimera toujours le cinéma.
O.D
Pour prolonger la rencontre, ce livre de Francis Renaud, « La Rage au Coeur », paru chez Hugo Doc.
Francis Renaud,
Tout simplement humble. Exceptionnel en tant qu’homme, tout simplement. Sa rage de vaincre et de ne jamais lâcher font de lui un acteur hors pair.
Son livre « La rage au cœur » est l’histoire de sa vie, ses batailles, ses épreuves, son abnégation, son courage.
Bravo Francis ! Tu es un exemple dans ton métier, mais surtout dans ce qui émane de toi.
Humilité, courage, persévérance, talent.
Merci pour ce que tu es.