Avec Fric-Frac d’Édouard Bourdet, Michel Fau s’offre une jolie bulle de truculence et de drôlerie. Une balade joyeuse dans le Paris de jadis et des faubourgs, haute en couleurs et poétique. Que du chouette !
Il est gentil, Marcel. Bon coeur et bonne mentalité. C’est dire s’il est naïf. Amoureux, qui plus est. Il en pince pour une blonde à croquer. Loulou qu’elle s’appelle. Il l’a rencontrée l’autre jour au Buffalo, le stade vélodrome du côté de Montrouge. Depuis, il ne pense qu’à elle. Et elle ? Elle, elle se fait surtout du mouron pour Tintin, son homme, enchristé depuis peu à la Santé. Avec Jo, un ami du couple lui aussi dans les « affaires » et qu’on surnomme « bras coupés » vu qu’il n’aime pas se fatiguer, elle se creuse pour trouver l’oseille à envoyer à son jules, histoire qu’il puisse cantiner et améliorer l’ordinaire. Pas simple.
Notez, que pour Marcel c’est pas Byzance non plus. Au bureau, Renée lui mène une vie de galérien. Une furieuse, cette femme-là. Elle veut faire de lui son fiancé et menace de le faire renvoyer s’il ne cède pas à ses avances. En même temps, elle a un argument. C’est la fille de son patron, Mercandieu, bijoutier de son état et véreux de nature… Tiens, un bijoutier ? Est-ce qu’on ne pourrait pas réfléchir à un fric-frac ?
Maintenant que les bouilles sont dans la place, il n’y plus qu’à les faire jouer. Comme au billard. La régalade peut commencer. Le texte d’Édouard Bourdet remonte aux années trente mais en chemin il n’a rien perdu de sa verve ni de sa truculence. Ça jacte fleuri comme des jonquilles sur les fortifs et ça gouaille comme à la belle époque de Ménilmuche et du petit peuple de Paname. C’est drôle et puis rythmé et enlevé comme une gambille canaille. C’est qu’il connaît la java, Michel Fau !
« Je pense qu’il y a tout un répertoire à redécouvrir et Édouard Bourdet, c’est un très grand auteur de théâtre de l’entre-deux guerres qui a fait des gros succès dont « le Sexe Faible » ou « les Temps Difficiles » et « Fric-Frac » qui a été son plus grand succès. Et j’aime beaucoup cette période parce qu’il y avait une insouciance, une folie dans la peinture, dans le cinéma, dans la musique. Et puis ce qui me plaisait c’était la langue aussi, qui est à moitié en argot… il y a des moments, on se croirait dans le « Guignol’s Band » de Céline et on pense autant à Audiard, à Frédéric Dard… la langue française est magnifique, elle a plein de couleurs et ça, ça m’intéresse… mais ça m’intéresse autant que lorsque je travaille sur les alexandrins du XVIIe… l’évolution de la langue française me passionne ! »
À suivre les péripéties bondissantes de Marcel, Loulou, Renée et Jo les Bras Coupés, on se dit qu’effectivement il y avait, malgré la dureté de l’époque, de l’insouciance dans ces années trente. Le monde dansait sans doute sur un volcan mais il dansait. Et c’est avec une sincère jubilation que Michel Fau et son équipe ont revisité jusqu’aux couleurs de cette période. Aux noir et blanc que nous renvoient les clichés habituels, les décorateurs Citronelle Dufay et Bernard Fau, s’inspirant du cubisme alors en vogue et des réclames qui s’affichaient aux murs de Paris, ont eu la bonne idée d’oser les couleurs franches voire franchement vives. À déciller un borgne daltonien. On dirait du Trauner mais sous amphétamines. Quant aux costumes, signés David Belugou, ils paraissent tout droit sortis d’une planche de l’épatant Louis Forton, le père des Pieds Nickelés.
« J’ai une passion pour la bande-dessinée, pour le dessin animé, pour la caricature aussi. Parce qu’on sait que c’est faux mais on marche. Et pour moi, le théâtre, c’est ça. On sait que c’est faux mais on est totalement pris par l’histoire… on voyage.
Chez Bourdet, les personnages sont des figures, des marionnettes. Il fait avec l’image d’Épinal ou avec le cliché mais il trouve l’humanité. Je pense que nous sommes tous des clichés ambulants et le cliché ne me gêne pas du tout. Au contraire, il me fascine. Donc, on a des imageries comme ça… on a l’image de la putain sublime, de la bourgeoise hystérique, du mac, l’image du petit bourgeois véreux, des images qui font partie de notre imaginaire et de notre histoire mais parce que le monde est un peu comme ça aussi. Ce n’est pas si éloigné de la réalité…
Et oui, il y a une humanité terrible qui se dégage de ce théâtre-là. C’est un théâtre intelligent mais qui doit être joué de façon naïve un peu. Comme les dessins animés ou comme la comedia del arte, comme la farce. »
Pas de belle farce sans farceuses ni farceurs de talent. Julie Depardieu (Loulou), dès le début de l’aventure, parce qu’ « elle a un rapport évident avec l’argot, ce qui est rare, qu’elle n’est pas dans la parodie et qu’elle respire ce texte ». Régis Laspalès (Marcel) parce qu’ « il m’intriguait, il a un jeu très mystérieux, une façon de parler, il a inventé un truc à lui et qui ne ressemble à rien d’autre. » Et on n’oublie pas non plus Émeline Bayart (Renée Mercandieu) qu’on a ici découverte. D’une drôlerie peu commune, d’une folie très singulière, surprenante d’inventivité, en quelque sorte le pendant féminin de Fau. Étonnante autant qu’irrésisitible.
On l’a déjà évoqué ici, Michel Fau n’est pas homme à se laisser enfermer dans un seul théâtre. Il a su prendre le bon pli de ne se plier à personne, encore moins aux tics tocs du moment. N’écoutant que ses envies et ne suivant que ses désirs de jeu et d’histoires, il bouge ses lignes, bouscule sa marge et se soucie de plaire à tous à peu près autant que de sa première limace. Ce qui lui offre tout à la fois de nous surprendre et de nous réjouir. Même dans ce Fric-Frac où il nous arrive trivial et débraillé. Décidément et pour de vrai, tout lui va bien à Fau.
O.D
Fric-Frac, une pièce d’Édouard Bourdet, mise en scène par Michel Fau.
Avec Julie Depardieu, Émeline Bayart, Régis Laspalès, Michel Fau, Georges Bécot, Fabrice Cals, Yannis Ezziadi, Antoine Kahan, Audrey Langle et Roland Menou.