Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, l’Homme à la Peau de Serpent de Sydney Lumet.
Dans une bourgade du Mississipi, Valentin Xavier, musicien guitariste, arrive de la Nouvelle-Orléans qu’il fuit. Vagabond ayant eu des démêlés avec la justice, il ne se sépare ni de sa guitare, ni de sa veste en peau de serpent. Il souhaite faire amende honorable et trouver un travail stable.
Il rencontre une ancienne amie, Carol Cutrere, anarchiste agitatrice, qui tombe sous son charme. Mais Valentin ignore la séduction de Carol, car il sait qu’il n’a plus le droit à l’erreur. Il obtient un travail dans le bazar de Lady Torrance, une femme d’âge mûr, épouse tourmentée qui assume seule la direction de son magasin, son mari étant malade et alité.
Une relation ambiguë se noue entre Valentin et Lady Torrance, deux solitaires qui parviennent peu à peu à se comprendre. Attirés l’un par l’autre, ils se découvrent, se désirent puis deviennent amants.
Lady Torrance confie à Valentin le trauma qui la hante, la mort de son père, assassiné dans une sombre histoire de haine et de rivalité. Elle souhaite que Valentin l’aide à construire un salon gourmand-pâtisserie, une extension qui donnerait à son magasin une dimension de réussite. Ce projet assouvirait ainsi sa soif de revanche sociale contre le crime de son père, resté impuni.
Son mari, Jabe Torrance, quoique faible et alité, perçoit la relation adultère passionnée de sa femme. Fou de jalousie, Jabe lui avoue dans un accès de colère avoir participé à l’assassinat de son père. Et décide de mettre le feu à la pâtisserie. Il tue de plusieurs coups de révolver Lady, qui s’écroule lentement. Les secours, organisés par le shérif et ses hommes, empêchent délibérément Valentin de sortir du bâtiment en flammes. Il connaîtra le même sort que le père de Lady Torrance : brûlé vif.
L’Homme à la Peau de Serpent est un splendide film tragique, à l’atmosphère lourde et orageuse, traversé par des passions impitoyables.
Réalisé par Sydnet Lumet, le cinéaste de Douze Hommes en Colère, le film repose essentiellement sur le jeu des acteurs et sur les dialogues écrits de Tennessee Williams, d’une grande poésie.
C’est l’histoire d’un homme marginal, épris de liberté, amoureux des femmes, toujours prêt à les séduire. Valentin/Orphée est incarné par un Marlon Brondo au charme magnétique, alliant force et fragilité. Il est d’une justesse admirable dans sa quête d’échapper à la loi inique des hommes du vieux Sud, gangréné par l’argent roi et les discriminations envers les minorités (Femmes, Noirs).
Valentin oppose à ce monde à la dérive celui du langage poétique, des chansons de jazzmen célèbres, grâce à sa guitare, son instrument de rêve et de liberté. Et c’est pour la conserver qu’il décide pour un temps de travailler dans le bazar de Lady Torrance. Femme à la beauté brune un peu fanée, toujours vêtue de noir, Valentin perçoit sous sa force de caractère, une vulnérabilité mystérieuse.
La bouleversante et tempétueuse Anna Magnani offre le visage d’une femme fière, mais épouse accablée par un mari brutal, prisonnière frustrée d’une vie sans amour ni désir, que le deuil impossible de son enfance ne cesse de hanter.
La présence de Valentin, sa beauté animale, provoque en elle l’éveil de sa sensualité refoulée, et le désir d’échapper à sa condition de femme soumise, anéantie dans son amour de fille et meurtrie dans sa chair. Tout deux enfermés dans leur propre solitude, ils unissent leur force pour tenter de contrer un destin qui semble inéluctable.
Si Valentin périt dans les flammes, s’étant consumé littéralement pour la femme qu’il aime, c’est sans doute parce qu’il a renoncé à être un fugitif. Une autre voie s’était pourtant présentée à lui, sous les traits de l’amour de la jeune Carol, jouée par la magnifique Joanne Woodward.
Femme blonde vêtue d’une robe blanche, personnage également libre et solitaire, ayant renoncé à ses privilèges de femme riche et bien née, toujours prête à refuser bruyamment le jeu hypocrite des hommes. Carol proposait à Valentin de fuir avec elle l’Etat du Mississippi.
Pourquoi a-t-il renoncé à la suivre pour rejoindre l’enfer des hommes? Pourquoi a-t-il sacrifié cet oiseau qui vole sans cesse dans le vent sans jamais dormir ni se poser ? La lassitude de l’homme fatigué, cherchant un abri, la chaleur d’un foyer, aura-t-elle eu raison de sa soif de liberté et de rébellion ?
Carol, sidérée, assiste dans les ruines fumantes à la disparition de l’homme qu’elle aime. Un mendiant noir trouve la veste à la peau de serpent, miraculée de l’incendie, et la donne à Carol, en échange de sa chevalière en or.
La dernière image du film s’attarde sur le geste de Carol, serrant la veste contre elle. Orphée n’est pas mort, il a désormais un visage féminin.
Totto Chan
L’Homme à la Peau de Serpent (The Fugitive Kind) est un film américain réalisé par Sidney Lumet, sorti en 1960. Le scénario est signé Tennessee Williams, adapté de sa propre pièce de théâtre, La Descente d’Orphée (Orpheus Descending).
À voir et à revoir en ce moment à la Filmothèque du Quartier Latin, à Paris.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !