C’est une pièce forte qui questionne autant qu’elle bouscule nos certitudes. À l’affiche en ce moment du théâtre de l’Atelier, Baby. Le choix d’une vie.
Baby, de Jane Anderson et qu’a adaptée Camille Japy, c’est l’histoire de deux couples. De deux Amériques. De deux mondes qui vivent à la lisière l’un de l’autre et qui jusque là ne se regardaient qu’à travers le jeu de miroir déformant de la télévision. Il y a Wanda-Isabelle Carré et Al-Vincent Deniard, tous deux naufragés du rêve américain, échoués dans un camping miteux de Louisiane, accrochés à leur mobile-home comme à un radeau de fortune. Si leur vie n’est pas encore l’enfer, elle a tout l’air d’une interminable galère.
Et puis, il y a Rachel-Camille Japy et Richard-Bruno Solo. Ils travaillent dans le cinéma sous le soleil de Californie. Belle villa, grand jardin, piscine et le kit complet de l’opulence. Juste cette ombre au beau tableau, ils n’ont pas d’enfants. Et ce désir ardent d’en avoir est maintenant comme une plaie ouverte. Ça tombe bien, des enfants, Wanda en a. À ne plus savoir qu’en faire ni comment faire pour les élever, ne serait-ce que les nourrir. En plus, un autre arrive bientôt. Et si les deux familles faisaient un deal ? Nos dollars pour votre enfant. Pourvu qu’il soit blanc, ce qui ne devrait pas poser de problème. Et à la condition, bien évidemment, qu’il naisse en bonne santé. On ne sait jamais. Et c’est vrai qu’on n’est jamais sûr de rien.
Baby, c’est en deux actes, le récit de ces manques, de ces désirs. De ces vies aux antipodes qui, le temps de quelques mois, vont devoir coexister et de leurs dissonances. C’est le portrait sensible de deux femmes magnifiques de volonté, émouvantes de candeur et drôles dans leurs maladresses, qui vont s’apprivoiser, laissant apparaître leurs fêlures profondes. Celui aussi de deux hommes aux certitudes fragiles, dont l’assurance n’est finalement qu’apparente et l’arrogance de façade.
Baby pose enfin la question redoutable et effrayante d’un choix impossible. Et il vous chavire le coeur, le spectacle de l’homme qui aime et qui doute, qui croyait et qui ne sait plus.
« C’est sans aucun doute le personnage le plus proche de ce que je serais, moi, si j’étais confronté à cette situation, confie Bruno Solo. Je n’ai encore jamais rencontré un rôle qui m’ait fait éclater une telle vérité ! Je pense que si je me retrouvais dans la peau de Richard, c’est comme lui que je réagirais. Même si cette réaction peut susciter des commentaires, une frayeur, une distance, de la circonspection tout du moins, je serais comme lui… Cette pièce essaie de montrer toute la somme des contradictions, des choix cornéliens, des batailles intérieures, des tourments possibles en pareille situation. … Jane Anderson n’hésite pas à montrer les personnages dans ce qu’ils ont de plus ambigu, de plus tordu… Elle est lucide et surtout, jusqu’au-boutiste. »
Indubitablement, l’auteure a su se jouer des écueils qu’une telle histoire n’allait pas manquer de dresser sur son chemin. Elle a joué avec une grande finesse à faire tomber les masques de ses propres personnages, apportant par petites touches les fissures qui achèvent de nous les rendre complexes, d’autant plus humains et proches de nous. Jusqu’à l’intime. Fallait-il encore savoir lire et traduire. Ce qu’a remarquablement tenté et très intelligemment réussi Camille Japy. Car à aucun moment, Baby ne cède à la facilité convenue. On observe, on ressent mais on ne juge pas. Hélène Vincent a pour sa part composé avec ses cinq virtuoses une très belle mise en scène, leur offrant de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Jane, Camille, Hélène… faut-il seulement s’étonner que trois femmes aient ensemble su nous livrer une pièce aussi riche de nuances ? Baby est en tout cas de celles qui vous font rire et pleurer et vous laissent repartir avec plus de questions que de réponses. Ce qui, vous en conviendrez, n’est pas la plus mauvaise raison d’aller au théâtre.
O.D
Baby de Jane Anderson, adaptée par Camille Japy et mise en scène par Hélène Vincent.
Avec Isabelle Carré, Bruno Solo, Camille Japy, Vincent Deniard et Cyril Couton.
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