Journal d’une Pandémie : Seuls sans Scènes-3

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À l’invitation de Paris Bazaar, des artistes racontent ici leurs vies sans vous et disent comment la pandémie a durablement affecté leur quotidien. Entre frustration, colère, angoisse et incompréhension, se dresse l’état des lieux d’un monde qui s’accroche pour ne pas sombrer.

Journal d'une Pandémie-Salomé Villiers-ParisBazaar

Nous attendons. Depuis le 17 mars 2020, nous sommes en stand-by. Mode pause. Comme le reste du monde depuis l’apparition de la Covid 19, nous veillons. Nous attendons. Qui ? Sûrement pas Godot. Même si la situation que nous vivons actuellement ressemble plus au monde de l’absurde qu’à autre chose.

La réalité a dépassé la fiction et nous tentons de survivre en attendant que la tempête passe.

Maintenant, nous attendons des réponses, de vrais actes forts de la part d’un gouvernement dépassé aux mesures de plus en plus incohérentes et qui nous infantilisent chaque jour davantage. 

Au début de la pandémie, tout le monde était logé à la même enseigne. Nous étions tous inquiets, perdus et soucieux face à cet ennemi invisible dont nous ne savions rien.

Mais depuis quelques mois, alors que tous les lieux de culture pouvant accueillir du public avaient tenté d’ouvrir à nouveau leurs salles en respectant les mesures de sécurité sanitaire de la manière la plus rigoureuse qui soit, qu’aucun cluster ne s’est produit dans l’enceinte d’aucun de ces établissements, nous sommes tout simplement ignorés et méprisés. Comme la sensation de ne plus exister.

« Non-essentiels »… La violence de cette étiquette collée sur le front de la Culture est tout simplement insupportable.

Nous sommes sans nouvelles. Comme des naufragés qui attendraient un signe du ciel pour se donner un petit espoir auquel se raccrocher.

Quand la catastrophe est arrivée, j’avais la chance d’être en pleine répétitions de Badine, un spectacle que je mets en scène et dont la première devait avoir lieu le 24 avril au Théâtre Nouvelle France dans la ville du Chesnay. Nous devions ensuite jouer au festival du Mois Molière à Versailles et enchaîner au Théâtre des Gémeaux au festival d’Avignon.

Tout se décale ? Bien. Nous sommes chanceux dans le malheur. On se retrousse les manches et on va essayer de naviguer à l’aveugle. Décalons, donc. Nous reprenons alors les répétitions fin octobre pour tenter de jouer fin novembre et là, deuxième confinement. Encore une fois, chanceux dans la malchance nous avons quand même la possibilité de répéter et de faire la captation d’un filage. Sans public évidemment.

Mais qu’est-ce que c’est, du théâtre sans public ? Ce n’est plus du théâtre car le principe même du théâtre c’est la représentation, et qui dit représentation dit forcément que quelqu’un regarde. Mais encore une fois, on ne se plaint pas, on avance.

Arrive alors la lueur d’espoir de pouvoir ouvrir pendant les fêtes. Tout le monde se prépare, les artistes, les techniciens, les producteurs, les programmateurs qui ruent dans les brancards pour pouvoir organiser au plus vite des spectacles dans des conditions de sécurité strictes et rigoureuses. Et nourrissant l’espoir de revoir le public, de revoir des regards pétillants, à défaut de voir leurs sourires, de spectateurs enchantés de retrouver une connexion avec d’autres êtres humains, se réjouissant de retrouver des voir des acteurs leur raconter des histoires sans écran interposé.

Et là, la sentence tombe : nous ne rouvrirons pas et nous n’avons aucune idée de quand nous pourrons enfin reprendre le chemin d’un établissement culturel. Je co-produis ce spectacle, j’y ai consacré plus d’une année de travail avant d’arriver au stade des répétitions, j’ai la chance encore une fois de travailler avec des gens formidables qui font tout pour décaler les plannings, mais en attendant, QU’EST-CE-QU’ON FAIT ???

Et les autres projets sur lesquels je devais travailler, quand pourront-ils voir le jour ??

La Grande Musique de Stéphane Guérin, ma première mise en scène de texte contemporain, projet sur lequel je travaille depuis deux ans déjà avec l’auteur, les comédiens et la production et que nous devions jouer à Avignon, quand est-ce que je pourrais même envisager un planning de travail ? Impossible de savoir quand nous pourrons jouer la première.

Les théâtres et les programmateurs qui travaillent tous comme des fous sur les reports des représentations, les calendriers perdant toute logique, des programmations parisiennes en sursis… Sans plus d’information du gouvernement, tous sont à court d’idées pour le moment. Tenus dans l’ombre, sur le qui-vive, prêts à saisir la moindre occasion, et nous accrochant à la moindre lueur d’espoir.

Aujourd’hui, nous ne naviguons même plus à l’aveugle. Aujourd’hui, le secteur culturel hurle sa douleur, son incompréhension, exprime sa colère et multiplie les appels à l’aide à un gouvernement qui nous ignore. Tout simplement.

C’est intolérable.

Et au même moment, qu’avons-nous vu ? Des magasins bondés pendant les fêtes pour surtout que nous ne perdions pas Noël et l’économie qui va avec, « achetez surtout et dépensez votre argent messieurs dames ! » Des lieux de culte ouverts pour ne pas fâcher les fidèles. Des transports en communs surchargés où les gens se collent les uns aux autres ne pouvant pas faire autrement.

Comment les métiers de la culture, de la restauration et tous ceux qui ne peuvent plus travailler ne pourraient-ils pas sentir cette injustice terrifiante, face à tant d’aberrations ?

L’année blanche a certes été un soulagement et une bénédiction, elle était nécessaire. Mais la fin août arrivant à grand pas et l’avenir de ces prochaines semaines étant de plus en plus incertain, comment les acteurs du secteur culturel vont-t-ils pouvoir comptabiliser suffisamment d’heures de travail pour ne pas perdre ce régime si précieux qu’est l’intermittence ? 

Je suis de plus en plus inquiète car je sais que les professionnels du secteur culturel ne pourront plus décaler les calendriers indéfiniment.

La Culture est au centre de nos existences. N’en déplaise à certains, elle est essentielle. Elle est même le meilleur antidépresseur qu’on n’ait jamais inventé. Et nous en sommes privés. Aucune société dans l’histoire de l’humanité n’a pourtant pu survivre sans elle. Elle représente aujourd’hui des milliers d’emplois. Et faut-il rappeler qu’avec l’Éducation, elle reste l’un des meilleurs remparts contre l’obscurantisme et son cortège de violences ?

Le théâtre comme le cinéma, la musique ou la danse, c’est la force du collectif. C’est une invitation au partage et à la rencontre de l’autre. 

L’Art sous toutes ses formes, c’est la soif de donner un corps au rêve. C’est faire exister ce qui n’existe pas pour aider l’homme à avancer, à voir plus grand, à se dépasser et à grandir.

Alors, réveillons-nous et n’attendons plus. Ouvrons les salles dans le plus grand respect des mesures barrières, mais ouvrons !!

Salomé Villiers

 

Depuis bientôt dix mois, tout est arrêté. Les choses se sont stoppées, d’un coup. Elles ont repris, doucement. Puis se sont figées à nouveau. La Culture est fermée, interdite. Qui tente d’ouvrir un théâtre prend le risque de la sanction. On est toutes et tous impactés. La panne est générale. Et elle dure.

En septembre dernier, alors que des théâtres faisaient leur rentrée en ayant arrangé, calculé, réfléchi, investi afin d’être conformes aux normes qui entraient alors en vigueur,  je remontais sur scène pour entamer la tournée prévue de La Souricière, la pièce d’Agatha Christie que Pierre-Alain Leleu a adaptée et dont Ladislas Chollat a signé la mise en scène.

L’appréhension de trouver des salles très vides d’un public en proie à la crainte d’une contamination (d’ailleurs bien compréhensible, on aurait voulu nous faire peur qu’on ne s’y serait pas pris autrement) a vite été balayée par le constat revigorant que les spectateurs répondaient présent.

Leur nombre était bien sûr obligatoirement divisé par deux pour respecter cette la « jauge covid », mais la plupart du temps, s’ils avaient pu remplir la salle dans sa totalité, ils ne se seraient pas faits prier. Je l’ai constaté dans le lancement de cette tournée mais aussi dans tous les théâtres que j’ai immédiatement recommencé à fréquenter en tant que spectateur.

Sur les 25 dates de tournées, nous avons pu en assurer 6. Le virus s’est invité au Manoir de Monkswell, imposant isolements, quarantaines et flopées de tests PCR. La réalité a fracassé le quatrième mur, nous avons annulé les représentations de Fréjus et Monaco.

Quelques jours plus tard, tous debout et prêts à en découdre, un nouveau couperet tombe, puis un deuxième. Le premier est un petit nouveau, le couvre-feu, jamais entendu parlé (à part dans les livres d’Histoire). Le second a un goût dégueu de déjà-vu, le « confinement II », comme la suite d’un film à gros budget américain dont on avait déjà détesté le premier opus.

Qui dit confinement en 2020, dit fermeture totale et sans délais de tous les théâtres. C’est donc bien là que nous en sommes aujourd’hui encore. Après un déconfinement, une ouverture de tous les magasins, les dindes de Noël et les trains bondés, la panne sèche de la Culture en France sévit toujours.

Il suffirait pourtant de remettre un peu d’huile mais les autorités gouvernementales ne semblent pas prêtes à jouer les mécanos. Le résultat est sans appel, la tournée 2020 est reportée en 2021. En d’autres termes, ce que nous devions vivre en 2020, se vivra, et encore il est recommandé pour cela de croiser les doigts très fort, en 2021.

Si je comprends bien, les artistes ont dorénavant et définitivement un train de retard sur les projets qu’ils comptaient mettre en place. Mais ce train sera particulièrement bondé et tout le monde ne pourra pas monter dedans. 

Une fois ce constat pas marrant-marrant dressé, je veux affirmer que je n’ai aucune inquiétude quant au sort du Théâtre en France (et pas que). Les théâtres ont historiquement ouvert, fermé, puis rouvert. Ils ont parfois même été détruits, mais ils ont toujours su renaître.

Les gens vont au théâtre et continueront à y aller, je n’ai pas l’ombre d’un doute. Pour se divertir ou s’ouvrir au monde. Pour se réunir, vivre une émotion et plutôt ensemble que séparément.

Je me dis qu’après avoir été autant isolés, ils éprouveront le besoin urgent d’être à nouveau rassemblés autour d’une même histoire. J’espère juste que les ampoules des servantes restées allumées depuis 9 mois sont à basse consommation. Mais je n’en ai pas la certitude.

Je suis pressé. Je suis confiant. Et ça, je le sais.

Brice Hillairet

 

One thought on “Journal d’une Pandémie : Seuls sans Scènes-3

  1. Un très bel article, très triste aussi. L’émotion est partagée. Et comme Brice, j’ai bon espoir que l’after COVID sera synonyme de bonheurs retrouvés et partagés que nous honorerons… au centuple !
    Courage à vous les artistes, les talents.
    Rassurez-vous, tenez bon.
    Nous serons présents. Nous, ce public que vous aimez tant.

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