Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Un Tramway nommé Désir d’Elia Kazan d’après Tennessee Williams.
C’est l’histoire d’un trio infernal, dès l’arrivée de Blanche Dubois, dans un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans, chez sa sœur Stella Kowalsky.
Héritière ruinée, un peu nerveuse, Blanche s’installe dans l’appartement délabré de Stella, qu’elle n’a pas revue depuis dix ans, et de son mari. Professeur d’anglais surmenée, c’est de réconfort dont elle a besoin et de présence, afin de pouvoir soigner ses nerfs.
Mais Stanley, ouvrier, ancien sergent-chef du génie, porté sur l’alcool, les parties de poker et de bowling, ne voit pas d’un bon œil l’installation de sa belle-soeur chez lui. Les manières sensuelles de celle-ci, sa façon de minauder, son goût prononcé pour les bains chauds, l’agacent.
Son bon sens pragmatique lui fait percevoir assez rapidement les omissions et les mensonges de Blanche. Décidé à en savoir plus sur son passé énigmatique, il mène l’enquête et finit par découvrir ses penchants sexuels sulfureux.
Blanche, de son côté, essaie de persuader Stella de quitter cet homme frustre, dénué de toute éducation, qui la brutalise alors qu’elle attend un bébé de lui. Un ami de Stanley, Mitch, lui fait la cour et lui redonne l’espoir en la possibilité d’une nouvelle union. Cet homme galant lui ferait peut-être oublier son mariage tragique, le suicide de son jeune mari et sa solitude de femme sans appui.
Las ! Stanley informe son ami Mitch du passé douteux de Blanche, et ce dernier se détourne d’elle. Seule Stella continue d’apporter à Blanche amour et soutien.
Mais lorsque celle-ci s’absente pour accoucher à la clinique, Blanche se retrouve seule à seule avec Stanley. Enfin démasquée, celui-ci la violente : sous ses airs de femme distinguée et cultivée, elle n’est à ses yeux qu’une femme vénale, aux mœurs légères. Sombrant peu à peu dans la folie et l’alcool, Blanche perd pied.
Stanley organise son internement sans son consentement, ni celui de sa soeur. Stella, folle de rage, décide alors de quitter le domicile conjugal avec son nourrisson, alors que retentit le cri, désespéré, de Stanley.
Elia Kazan a su restituer dans ce beau film en noir et blanc, le climat du Sud, cher à Tennessee Williams, où la pauvreté, la fournaise, les nuits de jeux et d’alcool du quartier populaire de la ville, se lient à la saleté des rues et à leurs odeurs, que l’on devine pestilentielles.
C’est dans ce décor rude, rythmé par les bruits de vapeur du tramway nommé Désir, que Blanche apparaît, telle une femme au charme un peu éthéré, à l’esprit cultivé et romanesque.
Vivien Leigh prête son merveilleux visage de femme, rendu méconnaissable et vieilli par un sombre secret qui la torture intérieurement. Si sa sœur, au tempérament soumis et généreux, jouée par la sensible Kim Hunter, l’accueille sans conditions, Stanley est d’emblée sur la réserve dès qu’il apprend que Blanche a dû se séparer de la maison de campagne, pour régler les dettes de famille.
Son bavardage incessant, ses toilettes extravagantes, ses manières de femme du monde, et son insistance à s’imposer dans leur couple avec ses propres désirs, déclenchent en lui des réactions de plus en plus hostiles.
En effet, Stanley, incarné par un Marlon Brando tout en sensualité animale, regarde Blanche en femme ennemie, qui bouleverse sa tranquillité de maître de maison, assuré de posséder l’amour de sa femme à n’importe quel prix, fut-ce par la violence verbale et les coups. Il n’aura de cesse de vouloir opposer Blanche à son double-jeu, tissant jour après jour la toile d’araignée dans laquelle elle finira par s’immobiliser.
La confrontation des personnages nous offre des portraits d’êtres complexes, aux mobiles amoureux inconscients. Si Blanche peine à exister dans son identité de femme lettrée et séduisante face à la sauvagerie de Stanley, elle lui tend, sans le savoir, un miroir qui met à nu ses pulsions de domination et de prédation par le sexe et le mental.
Lui-même, tout occupé par son égoïsme, ne saura rien de la culpabilité qui la ronge, ni de son idéal amoureux romanesque qui viendrait la sauver de ses remords et de son sentiment d’abandon. Seule Stella semble accueillir sa détresse, sans aucune demande d’amour en retour.
Mais Stella, la douce femme oblative, terriblement fascinée par la puissante et ténébreuse vitalité de Stanley, prête à pardonner tous ses écarts de violence pour elle-même, ne lui pardonnera pas l’internement de sa sœur.
Blanche, la femme au lourd fardeau, et Stella, l’étoile au cœur pur, deux sœurs brisées par le même homme, Stanley, dont le cri animal retentit avec les bruits de vapeur du tramway Désir, sont deux destins tragiques, tendrement dépeints par un Tennessee Williams sensible à la vie amoureuse des femmes.
Une vingtaine d’années plus tard, un réalisateur américain, du nom de John Cassavetes, saura nous rappeler, à travers le personnage de Mabel d’« Une femme sous influence » que la condition des femmes, entretemps, n’aura guère évolué.
Totto Chan
Un Tramway nommé Désir est un film américain réalisé par Elia Kazan, sorti le 18 septembre 1951. Le scénario est adapté de la pièce de Tennessee Williams, « A Streetcar Named Desire ». Le film remporte quatre Oscars en 1952, dont celui de la meilleure actrice pour Vivien Leigh.
Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !