Georges Brassens aurait eu 100 ans aujourd’hui et ça ne se fête pas seulement, ça se célèbre ! Avec en partage, quelques chansons choisies au parfum d’éternité.
Nous ne sommes pas encore en hiver et pourtant, la période est bien sombre. Nous vivons masqués, pour le plus grand plaisir des sado-maso qui aimeraient bien qu’en plus on soit fouettés. Nous devons prendre un laissez-passer pour aller dans un bar boire une bière fraîche. Un certain Monsieur Z., dont on n’a vraiment pas envie de prononcer le nom, squatte en continu les chaînes d’info.
Et comme si ça ne suffisait pas, les maisons s’envolent et les toitures s’écroulent dans certains coins de France à cause d’une tempête prénommée Aurore. C’est pourtant un joli prénom, Aurore. Aussi beau que Jeanne ou Margot, charmants prénoms chantés par Georges Brassens. L’artiste originaire de Sète aurait eu 100 piges aujourd’hui !
Georges Brassens, lui qui osait employer des mots comme Putain avec le morceau P… De Toi, en 1954, à une époque où il était hors de question d’entendre de tels mots dans des chansons. Lui qui parlait de cul crûment avec Quatre-Vingt-Quinze Pour Cent.
Lui qui osait parler du Pornographe, ou qui faisait si subtilement, délicatement et férocement, une Non-Demande En Mariage. Cette chanson d’ailleurs, est si violente, qu’elle est une sorte de rock’n’roll caché sur une rythmique où chaque note de violoncelle pourrait plomber l’ambiance du congrès annuel des clowns lozériens.
Qui serait capable d’écrire aujourd’hui «J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main / Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin?» Certainement pas les pseudos stars de télé-réalité dont le seul but est d’être célèbres quoi qu’il en coûte, et qu’importe la chanson ou la musique pourvu qu’on ait du like.
Autre morceau sublime, Mourir Pour Des Idées. Parue en 1972 sur l’album Fernande, cette chanson est plus que jamais d’actualité. Elle traite de l’obsession, du fanatisme, qui peut conduire jusqu’à la violence, voire pire… Une chanson qu’on pourrait qualifier d’antimilitariste et d’anarchiste, même si Brassens détestait les gens partisans.
Il n’était ni partisan, ni anarchiste. Il écrivait simplement ce qu’il ressentait, sans filtre. C’est sans doute pour ça qu’il avait écrit Le Temps Ne fait Rien À L’Affaire. Il avait plus que raison en répétant «Quand on est con, on est con.»
Mais Brassens, ce n’était pas que cette violence sublime, c’était aussi de la douceur. Heureux Qui Comme Ulysse en est peut-être le plus bel exemple. C’est vrai «qu’elle est belle la liberté», même si on n’est pas en Camargue, son pays auquel il fait référence dans cette chanson.
Quand il évoque Pauvre Martin, ou la vie triste et misérable d’un paysan des années 50, là encore on ne peut que se dire que Brassens, contrairement à bon nombre d’artistes, pouvait s’adapter à tous les registres.
La Prière, qui met en musique le Rosaire, de Francis Jammes, est tellement émouvante. Elle file des frissons, plus de 60 ans après sa sortie. Brassens savait brillamment adapter les textes des autres. Il avait aussi adapté de nombreux autres textes dont Il N’Y A Pas D’Amour Heureux, d’Aragon. Là encore, il avait fait mouche en rendant ce poème encore plus sombre.
En réécoutant Le Bistrot, on se dit qu’on aurait franchement bien aimé se retrouver accoudé à un comptoir de bar, dans «un vieux bouge» avec lui à enchaîner des ballons de rouquin qui tâche, en discutant de choses plus ou moins importantes. Cette chanson est une sorte de mode d’emploi du bistrot qu’il est bon de respecter. Une véritable observation de ce qui peut parfois encore s’y passer.
Le Mauvais Sujet Repenti est une chanson qui elle aussi sent le réalisme. Un de ces morceaux qui sent le vécu, écrit avec cet humour féroce qui définit si bien Brassens. Il suffit d’écouter Le Cocu, Misogynie À Part et son refrain extraordinaire «Elle m’emmerde vous dis-je», ou Marinette pour comprendre que le sérieux avait ses limites pour le chanteur sétois.
Le 6 janvier 1969, lorsque Georges Brassens se retrouve à la même table que Jacques Brel et Léo Ferré pour une interview mythique organisée par un jeune pigiste de Rock & Folk, dont une très célèbre photo fut tirée, l’interprète de La Ronde Des Jurons expliquait simplement «Moi je fais des chansons, je ne sais pas si je suis poète.»
Léo Ferré, qui allait dans le même sens, expliqua que «chaque fois que je rencontre une putain, si elle me reconnaît, elle ne me fait jamais l’article, parce que je fais le même métier qu’elle.» Ce à quoi Brassens acquiesça…
Georges Brassens est mort le 29 octobre 1981 dans l’Hérault. Il est aujourd’hui une véritable légende. Pour preuve, bon nombre de ses chansons ont été adaptées en anglais, en allemand, en italien, et même en créole martiniquais et en basque !
Georges Brassens a laissé derrière lui une œuvre considérable à laquelle s’est d’ailleurs brillamment attaqué Maxime Leforestier, son fils spirituel et artistique, qui a même interprété quelques inédits.
Évidemment, on pourrait passer des jours et des nuits à évoquer la mémoire de l’artiste, ses différentes périodes artistiques, ses engagements, ses violences et douceurs… Évidemment, tout n’est pas dit ici. Loin de là… Mais le principal, n’est-il pas de rendre hommage à Monsieur Georges Brassens ? Laisser tomber dans l’oubli un tel artiste serait, au-delà de la grave faute de goût, une erreur monumentale.
Et comme il le disait si bien : «Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps / Le beau temps me dégoûte et m’fait grincer des dents»… Dit comme ça, on finirait presque par trouver du talent à notre automne monotone.
Laurent Borde