Quatre fois vingt ans et l’oeil qui s’allume comme au premier matin, Jean-Pierre Kalfon n’a jamais appris à ronronner en rond. Rencontre avec un homme qui nous plaît.
C’est d’abord une gueule. Belle à faire peur. Angélique et démoniaque, la beauté du diable. Ensuite, c’est une voix. Dont il devrait songer à déposer le brevet et que le temps, la vie, et sans doute aussi pas mal d’excès, ont modelée, patinée. Un malt hors d’âge, un rhum ambré, du millésimé, c’est Kalfon.
Au fil des rencontres, au gré de ses envies, au rythme de ses fulgurances, il vagabonde dans le cinéma, le théâtre, la télé et le rock’n’roll depuis soixante ans. Et il se marre bien depuis au moins autant. On s’est marrés tout autant à le rencontrer quelques semaines avant qu’il ne publie sa biographie.
« En ce moment ? En ce moment, je mets la dernière main à ma bio. Enfin, il y a quelqu’un qui vient chez moi, qui me pose des questions, qui enregistre, bref qui fait tout ce qui me fait chier. Après, il tape tout ça, il m’envoie et je pourris le truc (rires). D’ailleurs, ce sera marqué sur le livre : Tout va bien M’man, propos recueillis par Philippe Rège et déformés par Jean-Pierre Kalfon (rires) ! »
Sa bio est finalement parue en octobre dernier aux éditions de l’Archipel. Le moment était venu pour lui de prendre le temps du coup d’oeil dans le rétroviseur.
Sans se laisser aller au blues de l’horloge qui tourne, ça le pince un peu quand même. Évidemment, les copains d’avant sont partis. Inévitablement, les bandes se sont effilochées. Mais il a appris à composer avec ces moins qui s’additionnent. Ce qui l’ennuie, c’est de constater que le principal est fait. Ce qui sans doute lui permet de garder le sourire, c’est de se dire qu’au fond il a eu raison de n’attendre personne, encore moins d’avoir la permission.
Et ça l’a pris tout jeune. Il revoit le môme de quinze ans qu’il était et que ses parents destinaient à une carrière de médecin alors qu’il voulait surtout faire du rock. Une première fugue comme un acte fondateur et les premiers arrangements avec la règle du jeu qu’il ne voulait pas jouer. S’en sont suivis quelques mois de cellule et un séjour en centre de redressement. Heureusement, il y a eu aussi l’amour de sa mère. Alors, le gamin qui n’avait pas encore lu René Char s’est relevé, a imposé sa chance et mis le cap sur son risque.
L’école Penninghen de la rue Falguière, antichambre à l’époque des grandes écoles d’art, et puis le théâtre au cours Dullin avant de faire le boy aux Folies Bergère et de revenir finalement sur les planches. Celles du TNP de Jean Vilar, où il côtoiera au moins du regard Alain Cuny et Gérard Philipe, où il découvrira surtout les grands textes classiques. Dans ses premiers temps, il prend aussi celui de fonder sa propre compagnie, théâtre 15, s’offrant déjà le choix de pouvoir faire comme il l’entend.
« J’ai appris très tôt à essayer de provoquer des choses, qu’il se passe quelque chose. Même si je sais pas faire, faut y aller, faut le faire. Et j’ai commencé sans savoir rien faire, de toute façon (sourire). J’ai fait de la mise en scène, j’avais même pas été acteur ou à peine. Mais plutôt que d’attendre qu’on vienne te chercher, il faut faire. Si tu bouges pas ton cul, il ne va rien t’arriver ! Par contre, si tu commences à faire un truc, il y aura toujours quelqu’un d’attiré par ce que tu fais. Il y a toujours quelqu’un qui répond… c’est un métier où tu vas à la pêche. Après, j’ai eu la chance que ça s’enchaîne bien. Mais il y a des moments durs. Tu fais une pièce, tu fais un film, tu te retrouves surchargé et tout d’un coup, plus rien. Le vide, le trou. Alors, il faut savoir s’occuper. Ensuite, je suis acteur, bon. Mais quand tu es acteur, tu es à la merci du texte, du scénario, du metteur en scène ou du réalisateur, des partenaires. Alors, c’est un plaisir d’entrer dans la tête, dans le coeur d’un personnage, seulement, à un moment, c’est frustrant. Parce que c’est pas toi qui domines l’histoire. Quand je fais de la musique, justement, c’est là où je suis le patron. C’est moi qui choisis les musiques, les chansons, c’est moi qui les écris ou les fais écrire et j’ai peut-être pas de maison de disques… mais je fais quand même des concerts (sourire) ».
Acteur chez José Bénazéraf, Claude Lelouch, Romain Gary, Barbet Schroeder, Philippe Garrel, comme chez François Truffaut, Claude Chabrol, Yves Boisset, Pierre Granier-Deferre ou Hennri Verneuil, même chez Walt Disney, mais acteur avant tout de sa propre histoire, Jean-Pierre Kalfon.
« Et encore, j’ai refusé beaucoup de choses ! Pourquoi ? Parce qu’une fois que j’avais fini un film, je voulais passer à autre chose. Quand tu es jeune et que tu passes deux mois sur un tournage, à attendre, ça démange !
Moi, j’ai rêvé avec le cinéma noir américain, Howard Hawks, Jules Dassin, Nicholas Ray. J’ai rêvé avec le grand cinéma français, Pierre Brasseur, Jules Berry, Michel Simon… moi je rêvais de ça ! Et je me retrouve avec la Nouvelle Vague, où ils te prennent toi comme tu es. Où tu n’as pas à jouer pratiquement (sourire) !
Ceci dit, ça m’a appris beaucoup de choses. Ça m’a appris l’humanité. Parce qu’avec eux, c’était plus personnel. Par exemple avec Jacques Rivette, pour l’Amour Fou, le film dure 4h15, il n’y en a pas beaucoup qui l’ont vu, mais il y avait un scénario de sept pages ! On arrivait le matin, on nous disait « bon, qu’est-ce que tu dirais dans cette situation là ? » Alors avec Bulle (Bulle Ogier, ndlr) on disait un truc, on écrivait, on apprenait et l’après-midi, on tournait.
J’ai appris beaucoup aussi avec Lelouch. Parce que Claude, il te surprend. Tu n’as pas le temps de préparer. Il te prend au dépourvu. Et ça c’est intéressant, ça il ne faut jamais le perdre ! C’est ici et maintenant. C’est la spontanéité ! »
Jean-Pierre Kalfon a parfois le sentiment d’être passé à coté de ce qu’il appelle une « grosse carrière » au cinéma. À cause de ses refus certes, mais dictés au fond par une envie plus forte que toutes les autres. Celle d’être libre. Libre de retrouver ses potes musiciens dans des caves à répéter des morceaux qui n’ont jamais été joués faute d’avoir été écrits. Libre de fuguer à nouveau, parce qu’il ne s’entendait plus avec sa compagne.
C’est d’ailleurs comme ça qu’il s’est retrouvé à New-York, en 1973, à jammer toute une nuit avec sa basse et un jeune artiste que personne ou presque ne connaissait encore, et qui venait de sortir son quatrième album, Catch a Fire. Il s’appelait Bob Marley. Et Kalfon, ce soir-là, joua du reggae sans même le savoir.
Quelques années plus tôt, aux côtés de Jean-Luc Godard, qui tournait One plus One et avec qui il était bon ami, il avait même rencontré les Stones. Assistant, heureux homme, à l’enregistrement du mythique Sympathy for the Devil, échappant aussi à l’incendie qui ce jour-là embrasa le plafond des Olympic Studios, près de Londres.
Il a bonne mémoire Kalfon, et des trésors de souvenirs. Mais il ne s’égare pas dans la nostalgie, pas plus qu’il ne s’admire dans le miroir. Sa voix, sa gueule, sa présence si forte à l’écran et l’empreinte, belle et singulière, qu’il a malgré tout tracée dans le paysage et l’histoire du cinéma français, tout ce que d’autres entretiennent avec soin, comme leur propre mystère, soucieux de nourrir la légende, il s’en étonne presque, confie ne l’avoir jamais cultivée et glisse n’avoir même jamais regardé où était la caméra. Il se sera contenté de faire.
Récemment, il s’est fait de nouveaux copains. Des Youtubeurs. Daniil le Russe et son pote Momo Bente. Il s’est marré. Et il n’en revient pas.
« Un million d’abonnés !! On a fait une séance chez le psy, je jouais le psy (rires), en deux jours il y avait plus d’un million de vues !! …Tu sais, j’ai pas de théorie. Je vais là où le vent me pousse. Une rolling stone. Même si je n’ai rien amassé dans ma vie, c’est ça, je suis une pierre qui roule. J’ai toujours bien conjugué le verbe être… j’ai jamais su conjuguer le verbe avoir. »
O.D
Tout va bien, M’man, avec Philippe Rège, bio parue aux éditons l’Archipel.
Ne passez pas à côté non plus de la belle rétrospective que lui consacre la Cinémathèque du 11 au 16 septembre, dix films à voir et à revoir !!
Jean-Pierre sera également en concert avec son Band, le 27 septembre au Grillen à Colmar.
Et Kalfon jouant le psy chez Daniil le Russe, ça vaut aussi le détour et c’est Ici
Bel article sur mon discret voisin …
J’ai eu la chance de le voir sur scène dans une pièce de Copi.
(Un autre homme inclassable.)
C’est vrai que Kalfon est atypique.
Il aurait pu faire partie de la bande Daudé-Marion… une degaine, une façon de vivre, un intérêt pour les autres, un rocker.
Superbes photos!!!
Bel et bon article qui semble assez fidèle…. de ce que j’en connais !
J’acheterai la biographie.
Bisous JPK.