Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Little Big Bob
Quand j’avais une vingtaine d’années, j’étais guitariste de Little Bob. Little Bob et le Crazy Road, ça s’appelait à l’époque. C’étaient mes vrais débuts de guitariste et Bob m’avait bien mis dans le bain avec des scènes rock et des tournées épiques.
Au sein du Crazy Road, j’étais un guitariste arrogant et désinvolte. Je branchais mon jack et je jouais facile. Faut dire qu’avec la voix de Bob je ne me sentais pas à poil et je m’autorisais des audaces que je ne me serais pas permises derrière Patrick Juvet. C’étaient mes débuts et ma période Havraise.
Le Havre, ville rock et sans concessions à la poésie portuaire dépouillée, aux géométries à la fois chaleureuses et dissuasives. Ville que Bob avait chevillée à l’âme et au corps depuis toujours et que j’avais adoptée par lui et pour lui. Pourtant un jour, jeune connard que j’étais, aussi arrogant que mon jeu de guitare, j’ai décidé avec les autres musicos de faire un « super groupe ». Ça se faisait beaucoup dans les années soixante-dix de prendre le batteur d’un groupe phare, de le mettre avec le guitariste d’un autre et le bassiste d’un troisième, et de constituer le groupe idéal. Tout du moins sur le papier.
Un jour donc, on a décidé de faire un « super groupe », ses musicos et moi . Mais sans Bob. On s’est réunis et on lui a dit qu’on le lourdait. Le monde à l’envers. C’était lui la star, petit poucet à la voix aussi rauque que rock et on s’en séparait. Comme si on décidait de virer le grand Zampano de La Strada ou Rocco Siffredi de Prends-moi par tous les trous et fais m’en d’autres. On n’avait pas compris que c’était lui l’attraction, que c’était lui LA voix, que son talent était aussi grand que sa taille était modeste. Comme lui. On le virait et c’était un peu l’image du mec qui, voyant le piano très éloigné de sa chaise, déplace le piano à queue jusqu’à la chaise au lieu de faire le contraire.
On lui avait annoncé ça dans sa cuisine. Il avait pleuré devant nous, de toute son incompréhension, avec une peine immense. Qu’il a dû retouver au centuple en perdant sa Mimie récemment.
On a tourné deux ou trois fois en faisant quinze entrées à chaque fois. Lui s’est reconstitué une équipe dans la foulée et à tracé brillamment sa route.
Je l’ai revu un jour, 25 ans plus tard dans le train Paris-le Havre. Je voulais me mettre à jour avec lui de cette saloperie qui me restait sur le coeur et je lui ai demandé de me pardonner. Non seulement j’ai pu constater qu’il l’avait fait depuis longtemps, mais en bonus il m’a confié que j’avais été un de ses trois meilleurs guitaristes. « Et pourtant j’ai eu des Anglais » , m’a-t-il dit, l’oeil allumé.
Bob, si par hasard tu lis ça… chapeau bas, mon Pote ! Et bonne crazy road !! Elle ne finira jamais, sois tranquille.
Mon pote Max et Brassens
J’avais un pote, Max, décédé maintenant. Le Max dont j’ai déjà parlé dans cette rubrique, qui était rentré avec sa R16 sous un chapiteau où je faisais bal, et qui avait mis en déroute une bande de 30 lascars qui foutaient la merde et qui voulaient casser notre matériel.
Ce Max donc faisait un peu de tout : mac, brocanteur, recèleur, éleveur, monte-en-l’air. Ce mec avait le code d’honneur des voyous à l’ancienne. Hors-la-loi mais une parole et l’amitié à la vie à la mort.
Dans les années 80, j’ai connu une période de vaches maigres et j’ai emprunté de l’argent à un usurier du Marais. Le deal était de rembourser le plus vite possible sinon, en ne remboursant pas la totalité, ça coûtait dix pour cent du capital emprunté à verser tous les mois. J’en étais au point où j’avais payé le capital mois après mois mais où je le devais toujours.
Max m’envoyait des mandats à Pigalle où j’habitais dans un gourbi où je couchais sur un matelas en billes de polystyrène avec, comme éclairage, une ampoule nue au bout d’un fil de fer. Au sol, des journaux pour faire moquette.
Verbeke qui était venu me voir un jour pour qu’on travaille ensemble avait cru que je repeignais le plafond. Non non. Il avait considéré le tableau et m’avait dit : « Je croyais être rock n’roll mais finalement à côté de toi, je me sens un peu embourgeoisé. » Voilà où j’en étais. Survivant avec les mandats de Max.
Il est venu me voir un jour et m’avait cuisiné pour savoir pourquoi je n’arrivais pas à me démerder mieux que ça. J’ai fini par lui expliquer l’usurier. « On peut le trouver où ce garçon-là ? » il m’a demandé. « Ben dans un bar du Marais…c’est là où je lui remets le pognon tous les mois » « Mais quel bar ? » il a insisté. « Un bar…pourquoi, qu’est-ce tu vas lui faire? » « Rien. Je vais juste lui passer une bastos dans le chignon. »
Il l’aurait fait. Par amitié pour moi. C’est sûr que les amis facebook comparé à ça, c’est un peu… maniéré. Finalement, une relation du show-biz m’a filé la somme et j’ai soldé. Mais Max l’aurait fait. Il aurait tué pour moi. Avec son casier inavouable, c’était la taule pour un paquet d’années.
À une époque, il « cassait les baraques », comme il disait. Il s’introduisait dans les résidences secondaires et raflait les beaux objets. Sa fierté était d’avoir un jour « cassé » la maison de Brassens. Il s’était aperçu que c’était lui à cause d’une guitare, de photos, de papiers. Il avait bien choisi les objets de valeur à emporter, laissant la guitare.
Suite à ce casse, le grand Georges avait écrit ses « Stances à un Cambrioleur »
« Tu ne m’as dérobé que le strict nécessaire / délaissant dédaigneux l’éxécrable portrait/que l’on m’avait offert pour mon anniversaire / quel bon critique d’art mon salaud tu ferais »
Et plus loin :
« Respectueux du brave travailleur tu n’as/ pas cru décent de me priver de ma guitare »
Max m’avait dit tout ça. Modestement, au coin d’une confidence. Il ne se vantait jamais de ses incartades. Il me manque. Comme Langolff me manque dans cette époque où le consensuel et la tiédeur m’étouffent.
Max, elle est à toi cette chanson, toi le voyou qui sans façons…
Pourquoi il te lance pas Michel Delpech ?
Ma mère ne comprenait pas trop mon métier de parolier. Malgré toutes ces chansons que j’avais écrites pour plein d’artistes français et canadiens célèbres, elle considérait que je n’avais pas réussi à « percer ».
Pour elle, la réussite c’était le « vu à la télé « . Pour beaucoup d’ailleurs. Mais elle, elle avait l’excuse d’être âgée et d’aimer son fils au point de vouloir qu’il soit partout. Comme Dieu. Ou à peu près. J’avais beau lui expliquer que ce métier de l’ombre me convenait très bien, que je n’avais pas besoin d’aller faire le guignol sur les plateaux télé avec le sourire crispé et le trou de balle en stand-by, je ne la convainquais pas. Avec tous les gens « haut placés » – comme elle disait- que je connaissais, elle ne comprenait pas mon anonymat.
Quand j’allais la voir et que je déjeunais avec elle, au dessert elle me regardait avec tristesse et me lâchait : « Pourquoi il te lance pas, Michel Delpech ? » Elle imaginait son fils chéri « lancé » par Delpech en plein prime time : « Je voudrais vous présenter maintenant un garçon exceptionnel qui, en plus d’être un parolier de grand talent, sait chanter, jouer de la guitare, écrire des sketchs, faire rire, déménager ses amis avec ses gros bras, subvenir aux besoins de sa vieille maman, faire les pipes…non, pas les pipes, sinon il aurait « vraiment » réussi depuis longtemps sans que j’aie besoin de vous parler de lui ce soir devant cinq millions de téléspectateurs, j’ai nommé FRAAAAAANNNNCIIIIIS BAAAAASSSSET !!! »
Alors là, elle aurait vraiment été heureuse ma maman de voir son fils lancé comme ça par Michel Delpech. Et que le lendemain chez le boucher on lui dise : « On a vu votre fils à la télé hier soir, madame Basset… c’est une star ! Vous devez être fière !! »
Tu parles qu’elle aurait été fière Marianne Glowaczyk la Polonaise. Elle qui m’avait enseigné le profil bas et le « dis bonjour à la dame, c’est des gens bien. » Elle aurait pris sa revanche sociale par mon truchement. Pleins feux sur le fiston à la télé.
Au lieu de ça, fallait prendre une loupe pour voir son nom comme parolier sur les CD déjà illisibles pour les plus de 50 balais ayant négligé Afflelou. Du coup, elle est morte un peu frustrée, maman. Personne n’avait lancé son grand.
Mais tu sais Marianne, je vais te dire, maintenant que tu as pris du recul dans le ciel, j’en ai jamais rien eu à foutre d’être lancé. Et j’irai même jusqu’à dire que j’en suis heureux. Si tu savais à quel point…
Francis Basset