Silence, rideau, on ne joue plus !

Rideau Baissé-ParisBazaar

En les privant de leur public, la crise sanitaire les a mis eux aussi au chômage forcé. Partagés entre sidération et tristesse, espoir et incertitude, les artistes, comme vous, font face. Parfois avec humour. Pour Paris Bazaar, ils témoignent et racontent.

Le virus pandémique a donc pour l’instant remporté la première manche en tirant le rideau sur notre quotidien. Théâtres, cinémas, musées, salles de concerts et de spectacles… tous ces lieux qui, il y a quelques jours encore, nous rassemblaient ont dû fermer leurs portes. Les restos où l’on célébrait le bonheur d’être vivants ont mis le verrou. Les bistrots qui nous invitaient à rêvasser ou à blanchir nos nuits en refaisant le monde ont de la même façon  éteint leurs feux. Et chacune, chacun d’entre nous se retrouve assigné à résidence.

On les entend peu mais les actrices et les acteurs du monde culturel sont pourtant eux aussi directement et parfois durement touchés par cet épisode inédit dont nul ne connaîtra jamais le mauvais auteur. Ce n’est évidemment pas exhaustif mais ceux que nous avons joints portent chacun à leur façon, comme beaucoup d’autres auxquels nous pensons, le récit d’une profession que ces derniers mois ont fragilisée et qui s’efforce de faire front.

Mario Luraschi 

Mario Luraschi-le Cavalier Éclectique-Avec son cheval-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

La légende de la cascade équestre se préparait à donner à Lyon, Nantes et Paris le spectacle couronnant ses plus de cinquante ans de carrière au cinéma. La tournée de Fascination n’est pas annulée mais les dates prévues sont reportées en septembre. Les frais déjà engagés pour autant restent dûs.

« Nous, on le vit comme une catastrophe ! 22 000 personnes avaient déjà réservé. C’est un manque à gagner monstrueux ! Compte tenu de ce qui a déjà été versé pour retenir les salles et de la grande incertitude dans laquelle se trouve le monde du spectacle concernant d’éventuelles indemnisations, on se retrouve dans une situation très difficile… Plus merdique, y a pas ! 

Nous on reste confinés et on continue de travailler avec les chevaux. Mais à partir d’aujourd’hui et pendant au moins les deux prochains mois, on sait qu’on ne sera pas payés… Une partie de mes équipes est indemnisée mais pas tous…

Oh, je survivrai ! Je vis à la campagne (sourire) et ce week-end, je me suis promené à cheval, dans les bois, en gardant le moral… Ici, ça va… On peut encore vivre normalement… Mais j’ai vu ça à la télé, ces gens qui font des stocks de papier-cul… c’est débile !! Ils peuvent pas se laver le cul à l’eau ??!! (rires) »

 

Gérard Darmon

Gérard Darmon-Au Bel Âge du Lâcher Prise-Def 2-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« J’ai assez vite été conscient de l’ampleur que ça pouvait prendre et on n’est qu’au début… Et je suis infiniment, totalement atterré par le manque de radicalité dans les décisions qui ont été prises jusque là… En ce moment et dans ce genre de situation, je suis soviétique et chinois en même temps (sourire)…

Ce premier tour des Municipales est une foutaise terrible ! Et les mômes qui se roulaient des pelles sur les pelouses des parcs ou sur les quais de Seine… c’est une rébellion d’imbéciles ! Je suis d’autant plus énervé que je fais partie de ceux qui sont au premier rang !

Je reste confiné dans ma maison, je fais très attention… Je me lave les mains quinze fois par jour et je ne vois plus personne… J’attends de pouvoir filer dans le Sud…

Je déteste les Cassandre qui nous gonflent avec leurs discours alarmistes, je ne lis pas les fake-news, Nadine Morano qui joue les pompiers pyromanes comme l’autre soir mais qu’elle se taise ! Écoutons les gens sérieux !

Si on ne prend pas des mesures drastiques, on va dans le mur. On a en France un problème avec l’autorité mais là, il faut juste fermer sa gueule ! Les Chinois s’en sont sortis comme ça, je suis pour cette radicalité, c’est la seule façon de faire tomber cette épidémie qui se répand… les chiffres sont effrayants.

Le déni des premiers jours était peut-être une une façon de nous protéger mais là, on n’en est plus au stade la rigolade… Si j’étais frappé, ce serait grave… pour moi et ma famille. »

 

Bruno Putzulu

Bruno Putzulu-un comédien sachant rêver-Paris Bazaar-1©Jean-Marie Marion

Le comédien Bruno Putzulu était jeudi soir encore à l’affiche du théâtre Hébertot pour Douze Hommes en Colère et de la Scène Parisienne pour les Ritals. Vendredi, il a donc été décidé que le rideau tomberait plus tôt que prévu.

« J’ai joué la dernière de deux pièces sans le savoir ! Jeudi, à Hébertot, pour « Douze Hommes en Colère », on s’est dits « au revoir, à demain ! » et paf, on a appris le lendemain que les salles accueillant plus de cent personnes devaient fermer… J’ai pas revu mes camarades. Et vendredi, j’ai joué « les Ritals » pour la dernière fois, pareil, sans le savoir… Depuis, je suis chez moi, abasourdi, assommé.

J’avais un autre projet pour la télévision, c’est reporté, on verra ça plus tard. Ce n’est rien évidemment à côté des gens qui sont malades mais tout d’un coup, voilà, ça s’arrête et on ne sait pas quand ça va reprendre… On est dans l’expectative… Ça a été tellement vite… J’ai encore mes affaires  dans ma loge…

Là, je reste chez moi… Je dois continuer à faire mes gammes, à m’exercer alors je continue à travailler mes textes mais sans savoir, sans visibilité… j’ai travaillé tout à l’heure… j’ai eu envie de pleurer…

Je ne sais pas encore ce que je vais faire… Je voudrais être prés de ma maman et la rejoindre en Normandie mais je ne sais pas si je suis porteur sain ou non… On pense à tout ça… C’est difficile.

Et quand je mets la radio, je suis comme un enfant, j’attends que quelqu’un nous dise qu’on a trouvé l’antidote… C’est la déformation du théâtre et du cinéma, je crois à la magie… Même si les jours sont chaque jour un peu plus gris, je m’attends à quelque chose de magique (sourire)… »

 

Mathilda May

Mathilda May-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Moliérisée pour la mise en scène du Banquet dont elle est également l’auteure et qui était à l’affiche du Théâtre de Paris cependant que sa nouvelle création, Monsieur X avec Pierre Richard, se jouait au Théâtre de l’ Atelier, c’est une Mathilda May souriante mais fiévreuse et fatiguée qui nous répondu.

« Oui, j’ai une petite voix… Ça fait trois jours que je ne suis pas au meilleur de ma forme. Pour l’instant, je n’ai pas de difficultés respiratoires, donc je ne sais pas… Je prends du paracétamol et je parle à mon fils qui est à la maison… mais de loin… on se croise (sourire)… J’espère que la troupe n’est pas contaminée, on a passé du temps ensemble l’autre soir…

Je sais ce que pensent les gens : « Les artistes sont des privilégiés » Mais là, on vient de perdre nos jobs… Je ne pense pas forcément à moi, mes deux spectacles se sont arrêtés au moment prévu, c’est un timing incroyable ! Mais il y en a d’autres qui venaient juste de commencer et qui ont été stoppés net !

Je pense notamment à Marie-Paule Belle qui s’apprêtait à faire son retour avec des dates à la Nouvelle Ève… Elle était tellement contente de revenir… 

Si on pouvait en profiter pour arrêter les comparaisons entre les malheurs des uns et les malheurs des autres… L’économie de notre métier a déjà été tellement fragilisée ces derniers mois… Je ne sais pas encore comment on va pouvoir s’en remettre. »

 

Alain Figlarz

Alain Figlarz-Maître du Pain-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

L’acteur et chorégraphe de combats attitré d’Olivier Marchal et de Luc Besson, entre quelques autres et non des moindres, encaisse le coup pour mieux se concentrer sur l’essentiel.

« Je suis en mode survie et je me confine de chez confinachaud (rires) ! On aurait d’ailleurs dû faire ça il y a un bon moment déjà. Mais en même temps, on vit dans un pays libre. On est des Français, on est comme ça. Même quand il y avait les Allemands, on trouvait le moyen de faire la fête (rires)… Mais il faut vraiment faire gaffe, c’est hyper chaud ce qu’on vit, ils ne se rendent pas compte !

J’avais déjà un tournage en Nouvelle-Zélande repoussé mais pas à cause du virus, j’en avais un autre qui à cause de ça a été reporté au mois de mai, mais à mon avis, ça ne se fera pas avant fin août minimum… Et je connais l’histoire, si ça se fait, ils vont se servir du truc pour nous le faire au rabais et renégocier les contrats à la baisse… Pourtant, j’avais en principe du boulot jusqu’à l’automne… 

Dans ce métier, on a aussi l’habitude de rester sans bosser. Il y a toujours des différences de revenus. J’ai toujours eu faim et j’ai encore faim, donc j’ai toujours mis de côté. Et j’ai zéro crédit sur le dos… Je suis dans une période sans tournage ? Bon, j’ai l’habitude. Et avant tout, ce qui compte c’est la santé. Le reste, je m’en bats les couilles. 

Et puis au moins, là, j’ai pas à me prendre la tête comme les autre fois où je ne travaille pas. À me demander ce que j’ai fait de mal, à douter de moi… Là, je n’y suis pour rien. Le matin, quand je me lève, j’ai pas de boule au ventre… J’ai appris qu’entre Amazon et Netflix, ce sont sept tournages qui viennent de sauter !

Un artiste qui ne travaille pas, il est malheureux… Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression qu’il n’y a pas de futur… Mais il y a un virus, il faut faire face et protéger les siens… Oui, on est en guerre, il faut se défendre… C’est ce que je me dis : « Protège ta famille, le cinéma on verra après ! »

 

Philippe Lellouche

Philippe Lellouche-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Le Théâtre de la Madeleine dont il est le directeur artistique a lui aussi fermé ses portes. Et Lellouche à l’Affiche, son émission quotidienne sur RMC a été mise en congés forcés pour faire place, comme sur d’autres antennes, à l’info et à une interactivité plus en phase avec le moment.

« C’est anxiogène, on s’attend à un confinement de plusieurs semaines… Sur ce coup-là, tous les scénaristes ont été pris de court ! 

Et comme l’histoire nous l’a déjà montré en pareilles circonstances, on voit le meilleur et on voit le pire. Le meilleur, ce sont tous ces personnels soignants qui se mettent en quatre. Le pire, ce sont tous ces cons qui vont jusqu’à se battre pour des pâtes ou des rouleaux de papier cul !

Les gamins qu’on a vus dimanche sur les quais, en même temps il y a un truc genre rien à foutre qui me séduit… C’est tellement français… Mais bon, quand on élit un mec, on l’écoute ! Évidemment, c’est plus facile en Chine (sourire). Mais je trouve que pour l’instant, Macron fait un sans-faute.

Et j’observe que toutes les années 20 ont aussi été dans l’histoire des années de joie, des années folles. Je crois, je suis un optimiste, qu’il y aura quelque chose de positif dans l’après. On sait que ça a pu conduire à des tragédies… mais je pense que ça peut aussi déboucher sur du merveilleux. »

 

Olivier Marchal

Olivier Marchal-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« Je tournais mais ils ont interrompu… Je crois que je vais être bloqué dans les Landes pour quelque temps… Là, ils m’ont mis dans une petite maison au milieu des pins… Je suis tout seul.

J’ai fait des provisions, foie gras, pâté de campagne, bières et Gevrey-Chambertin… que des produits de première nécessité ! (rires)… En revanche, j’ai oublié le riz et le papier cul (rires)…

Sur le tournage, non, jusque là, on n’a pas pris de précautions particulières. On s’est fait la bise, on a fait la fête… Pas un de nous s’est dit que c’était grave… C’est toujours facile de dire qu’on est indisciplinés mais c’est comme si t’étais en train de baiser et que d’un coup on te disait : « Stop ! »

Je ne peux plus remonter sur Paris, je vais rester ici. Je ferai un peu de bécane. J’irai sur la plage… Il doit y avoir un surfer qui fume son bédo toutes les dix bornes (rires)… On est juste emmerdé par les sangliers et les chevreuils (rires) !… Je vais surtout en profiter pour écrire mon prochain film… Quinze heures par jour, je vais bien avancer… 

Si ça dure jusqu’en juin, là je suis mal… Et si je dois faire un noeud à ma bite pendant trente jours, là ça va être chaud (rires) !

 

Thierry Outrilla

Moulin Rouge-ParisBazaar-Outrilla

D’abord danseur et puis assistant-chorégraphe avant de devenir directeur de la scène, Thierry Outrilla vit et travaille au Moulin Rouge depuis quarante-cinq ans. Il en est tout à la fois la mémoire vivante et le sourire incarné. Ce qu’il vit depuis quelques jours est inédit dans l’histoire de ce lieu mythique de la nuit parisienne.

« On n’a jamais connu de situation comme celle-ci. Il est arrivé par le passé que le Moulin ferme cinq semaines parce qu’il fallait faire place nette pour accueillir une nouvelle revue. Tout était alors vidé, on sortait les décors, on refaisait tout, la salle était un vaste chantier et on allait répéter ailleurs dans des salles louées par le Moulin.

Le cordonnier avait cinq semaines pour confectionner huit cents paires de chaussures est les habilleuses devaient elles aussi en à peine un mois ajuster les mille costumes sur la troupe. C’était une ambiance folle pour que tout soit prêt pour la réouverture à la date prévue.

On a aussi fermé une fois, je m’en souviens, juste un soir en 1981, pour offrir la revue à la reine Elizabeth. Mais ce qu’on vit aujourd’hui… 

J’ai appris ça l’autre jour dans l’après-midi, vers 16 heures. Je n’avais pas regardé le JT. J’ai allumé la télé et j’ai compris que la veille, on avait donné la dernière représentation. On s’est tous envoyés des messages. C’est comme si on avait reçu un missile… J’avais la gorge nouée.

On avait encore huit cents personnes… Ce qui a été merveilleux, c’est que les gens étaient heureux, faisaient des selfies et nous disaient merci… 

J’ai vu comme tout le monde des gens avoir parfois des comportements irrationnels mais j’ai confiance en nous. Je pense que les Français, comme les Italiens ces derniers jours qui chantent sur les balcons de leurs immeubles, vont se montrer imaginatifs et nous étonner… C’est l’occasion d’être plus solidaires. Et on ne peut pas museler l’Art.

Et puis, le Moulin est fermé mais ses ailes vont continuer à tourner et à briller dans la nuit. Comme il y a 130 ans ! C’est avec la Tour Eiffel, l’un des premiers endroits de la Capitale à avoir été électrifié… Oui, il va rester allumé… Le Moulin Rouge, c’est un phare… Notre phare à tous ! »

O.D

 

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